La scène se déroule au marché de Biyem-Assi Acacias. Une foule de femmes, des vendeurs à l’étalage, communément appelées Bayamsellem, est massée autour d’un homme, qui crie et psalmodie des paroles à tue-tête. De temps à autres, il pousse un « Au nom de Jésus » et la foule, visiblement sous le charme répond en choeur : « Amen » ! Ce type de scène est désormais banal dans nos espaces publics, rues, marchés, école, universités, et même dans certains bureaux. Des hommes et des femmes se livrent de plus en plus souvent en spectacle de démonstration de croyance et de foi. C’est le phénomène des églises pentecôtistes, dites « Eglises Réveillées », dont les actions et les conséquences sur notre société ainsi que nos personnalités font débat, et attise des passions.
Précarité et besoin de solidarité irrationalité des populations comme fonds de commerce
La fin des années 80 a été marquée en Afrique par des crises socioéconomiques et sociopolitiques, qui ont engendré des troubles profonds dans le mode de vie ainsi que les valeurs des populations du continent. Les bases sur lesquelles fonctionnaient ces sociétés jusqu’alors ont été profondément bouleversées, pendant que les conditions de vie des populations se sont durcies. La mondialisation en cours depuis le début des années 90 n’a pas du tout arrangé les choses dans ce domaine.
Les populations africaines, comme dans bien d’endroits au monde, font face à des difficultés existentielles importantes. La pauvreté, le chômage, l’instabilité familiale, la rupture des liens sociaux de solidarité, etc., engendre la peur d’aujourd’hui et du lendemain. Pendant ce temps, l’éducation et surtout la culture scientifique recule par absence ou insuffisance de moyens personnels ou étatiques. Cet ensemble de facteurs faisant alors le lit de l’irrationalité, et poussant les populations à renouer avec certaines formes d’obscurantisme, telles que la croyance en la sorcellerie, aux miracles divins tous azimuts.
Délaissant ainsi les voies normales et logiques pour faire face à leur situation précaire. C’est sur cette vague de désespoir due à précarité des populations, et surtout d’irrationalité qui découle du recul de l’esprit critique, que ces nouveaux « hommes de Dieu » surfent, pour endoctriner de centaines de milliers de personnes sur le continent Africain. Avec des conséquences et des risquent très dangereux pour les citoyens et les Etats.
L’Adhésion en masse des populations à ces églises réveillées engendre souvent des conséquences très déplorables pour les personnes qui s’y aventurent, ainsi que pour leur entourage. En effet, ils sont très nombreux à mettre en danger leur propre santé et celle de leur entourage, sur la base des enseignements de leurs « gourous ». L’on se souvient à juste titre de ce père de famille qui a conservé à son domicile la dépouille de son épouse, durant plus de 6 mois courant 2013, en attendant qu’elle … ressuscite ! Empêchant ses enfants de se rendre à l’école, ce Monsieur, visiblement endoctriné jusqu’à la moelle, passait ses jours et nuits en prière auprès d’un corps en putréfaction avancée, avec lequel il se couchait, au mépris de toutes les règles d’hygiène élémentaire. Les risques sanitaires pour lui et ses enfants qui l’accompagnaient dans ses lubies est certain. Surtout que son épouse serait décédée de suites de maladie, après qu’il ait refusé d’aller à l’hôpital, préférant la guérison mystique par voie de prières.
Cette situation est très loin d’être un incident isolé. Ils sont nombreux qui se livrent ainsi à des comportements d’illuminés, au prétexte de la croyance en Dieu. Entre refus de transfusion sanguine et des médicaments, tentatives de jeun de 100 jours, essaie de marche sur l’eau, etc., les actes de dévotion apparaissent de plus en plus dangereuses pour « le croyant » et son entourage. Ce risque physique et psychologique, s’accompagne également de consé-quences sociolo-giques déplorables. Ainsi, les membres des églises réveillées, se coupent le plus souvent du monde réel, qu’ils qualifient de « Monde de Mondains ». Ils se réfugient au sein de leurs organisations, ne fréquentent que leurs semblables, et n’hésitent nullement à quitter famille, amis, boulot, pour « embrasser le seigneur ».
Surtout que généralement, leur entourage est souvent accusé de sorcellerie par leurs pasteurs, qui les incitent à les fuir, ou tout simplement à les « détruire ». Cette rupture de tout lien social avec les autres qui ne sont pas « nés de nouveau », a des conséquences économiques exécrables. Tout d’abord parce que leur engament religieux fait des longues journées et nuits de prières engendre une nette réduction de leurs revenus, voire même une disparition de ceuxci. Ensuite, leur nouvelle foi leur coûte souvent très cher car les pasteurs et autres « prophètes » sont souvent très loin d’avoir fait voeux de pauvreté.
Des « hommes de Dieu » qui sont très loin d’avoir fait voeux de pauvreté
Le moins que l’on puisse dire est que le métier de « pasteur d’église réveillée » nourrit bien son homme. Nombreux sont ces pasteurs qui roulent carrosse, au méprit de la célèbre assertion du Christ « Heureux sont les pauvres, car ils verront Dieu… .». Etalant leurs richesses souvent accumulées en un laps de temps, ces pasteurs et « prophètes », ignorent allègrement le conseil du Christ qu’ils prétendent servir et qui veut que « il sera plus difficile à un riche d’entrer au Royaume des cieux, qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille ». Ils réservent soigneusement ces incitations à l’ascèse à leurs fidèles à qui ils recommandent de se dépouiller des « biens de ce monde » pour atteindre le paradis. Et pour les amener à se délester de leurs biens, les méthodes ne manquent pas.
Entre « séminaires », « croisades de libération », « nuits de prières et de délivrance », « eau bénite », « mouchoirs bénis », « bibles bénites », « brochures d’enseignements », et autres « prières personnelles » et « consultations spirituelles », qui sont tous payants, les techniques sont légion. Il s’ensuit alors un accroissement de la précarité des populations qui peuvent faire le lit d’une déstabilisation sociale globale.
Des risques certains pour la préservation de l’Etat en Afrique
A l’instar du renouveau charismatique en Islam et dans l’Indouisme, le pentecôtisme chrétien constitue un réel souci pour la préservation de la stabilité des Etats en Afrique. Avec leur emprise de plus en plus grandissante, les églises réveillées constituent de nos jours un pôles de pouvoir avec lesquels les pouvoirs en place sont obligés de composer voire de transiger. Si au Cameroun, les autorités filent encore le parfait amour avec ces églises qui appellent d’ailleurs très régulièrement à prier pour elles, il n’en demeure pas moins que les choses pourraient tourner au vinaigre un de ces quatre. L’épisode de la mi-2013, où des sous-préfets ont lancé une campagne de fermeture des églises clandestines, en a donné une esquisse, avec des menaces à peine voilées de certains pasteurs très célèbres qui prédisaient non moins que la disparition de certains quartiers entiers ; de là à prédire celle de l’Etat tout entier, le pas est vite franchi.
Dans des pays tels que la RDC, l’Ouganda ou encore la Côte-d’Ivoire, l’immixtion de ces « hommes de Dieu » sur la scène politique a engendré ces dernières années des troubles considérables, allant parfois jusqu’aux conflits armés comme on l’a vécu avec les partisans de Bundu dia Kongo ou encore le pasteur Frédéric Bintsamou alias Pasteur Ntumi, en RDC. Les pays africains gagneraient alors à être très vigilants face à ces « bons pasteurs » et ces « bonbons pasteurs ».
© Source : The Spark
Paru le Samedi 01 Mars 2014