Depuis une trentaine d’années, le gourou apocalyptique présidait au destin de plusieurs milliers de fidèles. Il est accusé de leur avoir extorqué de l’argent et d’avoir exercé des « violences psychologiques ».Comme Jésus, il a été emmené par des soldats. Mais la comparaison s’arrête là. Vissarion, le « messie » sibérien, qui depuis le milieu des années 1990 présidait aux destinées de quelques milliers de disciples le considérant comme la réincarnation de Jésus-Christ, ne vivra pas sa « Passion », au sens biblique du terme. Ce gourou aux airs d’icône russe a été interpellé, mardi 22 septembre, par des policiers russes accompagnés de membres du FSB (le principal successeur du KGB soviétique), armés et casqués, comme le précise le site Taïga Info.
A la fin du XXe siècle, Vissarion s’était retranché avec des fidèles dans une zone isolée de Sibérie pour en faire une sorte d’arche de Noé destinée à sauver l’humanité d’un cataclysme provoqué par l’homme. Mais c’est par les cieux, dans un hélicoptère de l’armée, qu’il a rejoint la prison où il a été placé en détention provisoire pour deux mois sur décision d’un tribunal de Novossibirsk (Sibérie occidentale).
Deux de ses proches ont connu le même sort. Les trois hommes sont accusés d’avoir utilisé la secte pour extorquer de l’argent à leurs disciples, d’avoir exercé des « violences psychologiques » sur eux, entraînant des « dommages graves à la santé ». L’agence russe Interfax ajoute que des perquisitions et des auditions de ses fidèles ont eu lieu au cours du mois de février dans le cadre d’affaires de corruption et de fraude.
« Vissarion, Jésus-Christ revenu »
Vissarion, de son vrai nom Sergueï Torop, est né le 14 janvier 1961 à Krasnodar, dans l’ouest de la Russie. A l’âge de 18 ans, il entame son service militaire obligatoire dans l’Armée rouge. Pendant deux ans, il va travailler sur des chantiers de construction en Mongolie. Il devient ensuite ouvrier métallurgiste dans une usine à Minoussinsk, en Sibérie orientale, avant d’officier comme agent de la circulation, fonction qu’il occupe pendant cinq ans. En 1989, au moment où l’Union des Républiques socialistes soviétiques commence à vaciller, il perd son emploi.
Sergueï Torop a alors une révélation. Nous sommes en 1991. Il renaît sous le nom de « Vissarion, Jésus-Christ revenu » et commence à prêcher. Il ne prétend pas être Dieu, il se contente de transmettre le « verbe de Dieu ». En 1994, il s’installe à Tiberkoul, dans la taïga. Un an plus tard, il enregistre auprès des autorités russes l’Eglise du Dernier Testament et commence la publication de plusieurs tomes de sa théologie.
Des fidèles rejoignent la secte, vendant tous leurs biens avant de commencer à vivre dans une ère nouvelle, qu’ils datent de la naissance de Vissarion, en 1961. Ils abolissent Noël, remplacé par le 14 janvier, jour de naissance du fondateur. Mais la plus grande célébration de l’année tombe le 18 août, date anniversaire du premier sermon de Vissarion en 1991.
Collectivisme, bouddhisme et écologie
Sa religion mélange allègrement des éléments de l’Eglise orthodoxe russe, du bouddhisme, du collectivisme, des croyances apocalyptiques, le tout mâtiné de valeurs écologiques. Au sein de la communauté, ils suivent des lois strictes, sont végétariens et n’ont le droit de consommer ni tabac, ni alcool. L’argent est banni.
En 2002, le Guardian décrivait ainsi le périple pour rejoindre la communauté :
« Pour trouver Vissarion, il faut prendre l’avion à Moscou puis voler 3 700 km vers l’est, jusqu’à la ville d’Abakan, dans le sud de la Sibérie, au nord de la frontière avec la Mongolie. Ensuite, il faut rouler pendant six heures sur des routes en mauvais état, qui traversent une suite de villages. Puis la route se termine par une série de cratères. Il faut alors marcher à travers des tourbières, s’enfoncer dans la boue et la glace jusqu’aux genoux pendant trois heures avant d’atteindre une dernière pente pour rejoindre le “sauveur”, une heure d’ascension sur un chemin de montagne raide. »
Pendant des siècles, la Sibérie a attiré « les sectaires, les farfelus et les anticonformistes », rappelait à l’occasion le quotidien britannique.
Vissarion conduisant une cérémonie, en 2010. Ilya Naymushin / REUTERS
Le « messie » a six enfants issus de deux mariages. Il a répudié sa première femme et s’est remarié avec une jeune fille de 19 ans, qui vivait à ses côtés depuis l’âge de 7 ans. Aujourd’hui, la communauté regroupe près de 5 000 fidèles, qui vivent en autarcie autour des villages de Petropavlovka et Cheremshanka. Néanmoins, le nombre réel de ses disciples est inconnu, car la communauté recrute au-delà des frontières de la Russie, en Allemagne notamment, où les écrits de Vissarion sont traduits.
En France, le nom de l’Eglise du Dernier Testament apparaît dans plusieurs rapports. « La période de la “Perestroïka” [nom donné aux réformes économiques et sociales menées par le président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev d’avril 1985 à décembre 1991] et les années 1990 ont vu déferler sur la Russie une vague très importante d’organisations à caractère sectaire profitant du desserrement de l’étau idéologique communiste et athée », écrivait la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans son rapport de 2007 (page 133).
En 2009, la Miviludes soulignait – toujours à propos de la Russie – que « plusieurs groupes, d’inspiration “naturiste” ou fondés sur la pratique de diètes sévères, font aujourd’hui l’objet de signalement, comme Vissarion » (page 146).
Une secte surveillée
L’Eglise orthodoxe russe a toujours suivi de près les activités de l’Eglise du Dernier Testament. En 1999, Alexandre Dvorkin, un de ses responsables chargé de surveiller les sectes, expliquait au Guardian : « Je vois des ressemblances frappantes entre ce que fait Vissarion aujourd’hui et ce que Jim Jones a fait avec son Temple du peuple il y a un peu plus de 20 ans. » Le 18 novembre 1978, 918 membres de cette secte américaine sont morts au Guyana, au cours d’un suicide de masse ordonné par le gourou.
« Une croyance fondamentale des vissarionites est qu’une grande inondation approche, et quand elle surviendra, seuls ceux qui appartiennent à la secte survivront. Les survivants sortiront de “la Terre Promise”, comme ils appellent leur territoire, pour repeupler la Terre et l’Univers », racontait en 2015 la photographe allemande Julia Sellman, qui a documenté le quotidien de la communauté.
En attendant l’inondation et en l’absence de leur gourou, les fidèles peuvent toujours se rabattre sur les autres prophètes qui, à travers le monde, du Japon au Brésil, sont convaincus d’être le messie.
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