Est-il nécessaire de modifier la loi de 1881 sur la presse pour mieux réprimer la haine sur Internet ?
L’idée d’inclure l’injure et la diffamation dans le droit pénal commun est inquiétante. Le principe même de cette loi est de protéger la liberté de la presse. Elle prévoit des dérogations avec l’idée qu’en matière d’expression, la liberté est le principe et le traitement pénal, son exception. De plus, l’injure et la diffamation participent d’un droit formaliste qui nécessite d’indiquer très précisément le propos qu’on poursuit. Aussi, les délais de prescription sont plus courts et la comparution immédiate, qui est au cœur du débat, n’est pas applicable. En faisant sortir l’injure et la diffamation de ce régime protecteur, même avec les meilleures intentions du monde, on risque de porter des coups sévères à la liberté de la presse. Et même à la liberté d’expression de tout un chacun.
Les magistrats auront-ils plus de pouvoir si ces délits entrent dans le droit commun ?
Les délits qui relèvent de la loi de 1881 sont traités essentiellement au tribunal de grande instance par des sections spécialisées, comme la 17e chambre à Paris, considérée comme celle de la presse. Je ne pense pas que les faire passer dans le droit commun entraînera une meilleure spécialisation des magistrats. De plus, le parquet ne peut pas poursuivre sans plainte de la personne concernée par le propos litigieux, et je ne suis pas persuadé que les magistrats du parquet le feraient d’eux-mêmes s’ils en avaient la possibilité. Ils traitent 1 500 cas par an, ils ont assez de travail.
Quel est le risque de supprimer les garanties dont sont assortis ces délits ?
Principalement le fait que n’importe qui pourra en profiter pour entamer des procédures en diffamation contre tout ce qui ne lui plaît pas. Si on affaiblit la liberté d’expression en abaissant le niveau de garanties présent dans cette loi, on facilite la tâche à tous ceux qui veulent faire taire les journalistes. Il faut donc toucher à cette loi avec énormément de prudence, car elle a su démontrer depuis plus d’un siècle qu’elle permet le maintien de la liberté d’expression tout en punissant ses abus. Ces garanties ne peuvent être supprimées sous la pression du sujet du moment. Rappelons-nous que l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions.