Me Maleine PICOTIN-GUEYE et Me Ophélie Rodriguez représentent des parties civiles au tribunal correctionnel de POITIERS
Un professeur de yoga et sa femme sont accusés d’avoir exercé une emprise de type sectaire sur un groupe d’adeptes. Leur procès a débuté le 17 mars 2021.
La justice s’est donnée deux journées complètes d’audience, jeudi et vendredi, pour plonger dans le fonctionnement d’une communauté rassemblée autour d’un professeur de yoga passionné de peinture afin de décider s’il était un gourou assurant avec sa femme son emprise sur le groupe.
Le procès promet un âpre combat juridique dans ce dossier qui occupe enquêteurs et magistrats depuis déjà huit ans. C’est en septembre 2013 qu’une femme médecin qui a rencontré le professeur de yoga en 1986 avant d’intégrer la communauté décide de quitter le groupe parti de Picardie pour aller chercher le soleil en Charente-Maritime.
La notion d’emprise sera au cœur des débats Ils avaient participé à l’achat et à la réfection du nouveau domicile du maître yogi à Lizant, dans le sud Vienne, et à l’aménagement du site où vivaient les adeptes, à Aumagne, entre Saint-Jean-d’Angély et Matha, en Charente-Maritime.
Elle raconte aux enquêteurs de l’Office central pour la répression des violences faites aux personnes qu’elle a été abusée, que l’on a profité de son argent… et de son corps.
Elle dénonce des violences et des pratiques sexuelles mêlant échangisme, scatologie et même zoophilie, le tout dûment filmé et annoté. Une autre femme viendra abonder dans son sens dénonçant le même fonctionnement.
En mars 2016, les enquêteurs qui estiment avoir accumulé suffisamment d’éléments, déboulent à Lizant et à Aumagne, saisissent de nombreux documents et quelque deux cent cinquante cassettes mettant en scène les ébats débridés. Christian Ruhaut et sa compagne, Catherine Brocq, sont mis en examen et écroués. La justice les soupçonne d’abus de faiblesse dans un cadre sectaire, de blanchiment, de chantage et de violences mais aussi de viols et d’agressions sexuelles.
Les défenseurs du couple avaient obtenu en octobre et novembre 2016 leur remise en liberté tout comme le visionnage des 800 heures filmées. Il s’agissait alors d’établir si les pratiques sexuelles des membres de la communauté étaient bien consenties. La justice l’a considéré. Le couple n’est donc pas poursuivi pour les viols et les agressions sexuelles (lire par ailleurs).
Le cœur du débat va désormais se concentrer sur la notion d’emprise et de dérive sectaire. Le groupe formé par des personnes dotées du discernement leur permettant d’exercer dans des professions médicales ou d’enseignement était-il dans le même temps totalement anesthésié par la sujétion exercée par le couple Ruhaut-Brocq ? Le groupe a-t-il été exploité financièrement et sexuellement ? Deux repenties l’assurent. Le reste du groupe l’a contesté. Le couple poursuivi aussi. Et il le conteste encore.
repères
La défense dénonce un conflit financier instrumentalisé
Ce procès, il n’aurait jamais dû avoir lieu ! Me Takhedmit qui joue en défense avec Mes Lynda Sabilellah et Édouard Martial, dénonce un conflit civil, un différend financier au sein de la société civile immobilière La Source créée en 2001 et propriétaire des vastes demeures de Lizant et d’Aumagne. L’une des plaignantes assure y avoir perdu près de 600.000 €, l’autre 100.000 €.
La défense balaye aussi les accusations d’exploitation sexuelle. Les autres adeptes interrogés ont toujours affirmé qu’ils étaient consentants, que c’était du libertinage, qu’ils assumaient leurs fantasmes. Et les « sanctions » à caractère sexuel ? C’est le groupe lui-même qui les avait instaurées, pas le maître yogi, rappelle la défense.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers avait d’ailleurs coupé court aux investigations sur les faits de viols et d’agressions sexuelles en 2017 en prononçant une annulation de mise en examen et une démise en examen. Ces accusations de viols, passibles de la cour d’assises, et qui figuraient encore sur les convocations reçues par les personnes convoquées au procès, posaient la question du consentement des ébats croisés au sein du groupe d’Aumagne.
Elles sont évacuées, mais la défense s’offusque qu’elles reviennent par la petite porte. « Les poursuites pour abus de faiblesse sectaire visent l’aspect économique mais aussi les activités sexuelles », note Me Takhedmit. « D’un côté, la justice a tranché et dit qu’il n’y a pas eu de problème de consentement pour les relations sexuelles puisqu’il n’y a eu ni viol ni agression sexuelle, et, de l’autre, les juges nous disent qu’il y aurait eu un abus de la faiblesse de ces mêmes personnes pour leur faire consentir à ces relations ! Elles sont consentantes ou pas ? C’est quoi la différence ? Ça pose un vrai problème juridique ».
Le ménage à trois, du sexe, du pouvoir et de l’argent
Sexe, pouvoir et argent, c’est le mélange détonant et le ménage à trois autour duquel tournent les accusations portées par deux anciennes membres de la communauté.
Au fil de leurs accusations, Marie-Antoinette et Marie-Hélène, dénoncent une dérive. Celle d’un groupe d’élèves qui voulaient vivre leur passion en autonomie auprès d’un professeur adulé.
Mais, le yoga, il n’y en avait plus. Plus de cours. Plus de stage. Plus de conseils personnalisés. Seulement des injonctions et des brimades, des ateliers sexe qui poussaient très loin le « dépassement de soi » ou venaient sanctionner des règles non respectées.
Les deux plaignantes dénoncent un jeu de pouvoir pervers où chaque membre de la communauté peut prendre un ascendant sur les autres dans une quête frénétique de l’approbation du « maître ».
Un professeur dont ils disent avoir assuré le gîte et le train de vie en vidant leurs comptes et en accumulant les heures de travail.
Chaque membre du groupe qui avait suivi Christian Ruhaut et sa femme avait signé un « engagement initiatique vers la liberté en acceptant de se soumettre ».
Tous ces éléments, contestés par la défense, confirment la dérive sectaire pour Me Maleine Picotin-Gueye.
Elle assure, avec Me Ophélie Rodrigues et le bâtonnier Benoît Château, la défense des deux femmes qui ont dénoncé le système. Les autres ont maintenu leur confiance au couple poursuivi, assurant que cette communauté, c’était leur choix de vie
« Dans ce dossier, on retrouve toutes les caractéristiques de la dérive sectaire », estime Me Picotin-Gueye. « On retrouve quelque chose de très actuel, même si, dans cette affaire, cela remonte à loin. Cette recherche du bien-être au travers de la pratique du yoga, c’est la porte d’entrée. La conséquence préjudiciable pour ces deux femmes, ce n’est pas seulement l’aspect financier. Il y a tout le reste aussi, tout ce qu’elles ont subi… »
Elle regrette d’ailleurs que la justice n’ait pas retenu les accusations de viol.
source: https://www.lanouvellerepublique.fr/vienne/commune/lizant/vienne-un-professeur-de-yoga-accuse-d-etre-le-gourou-d-une-secte