Enseignant dans une école Steiner-Waldorf sous contrat dans l’Essonne, Charles Le Goff tient, sur YouTube, une chaîne occultiste et racialiste. Inquiétant.
« Si vous ne voulez pas un front de personne qui fasse un bac pro – bon, il faut des personnes qui fassent un bac pro –, mais quand je vois un jeune dont le front s’arrête là (il montre un front bas), je sais qu’il ne pourra pas faire un bac général. Parce que, s’il n’y a que la partie inférieure du front, cette personne a une intelligence concrète. » Mêlant ésotérisme, techniques d’autoguérison et références à Rudolf Steiner (fondateur de l’anthroposophie) ou à Peter Deunov (gourou théosophe qui a initié la Fraternité blanche universelle), le youtubeur « Charles spiritualité » multiplie les vidéos délirantes. Il y explique notamment comment notre apparence physique n’est que le reflet de notre karma. Autrement dit, « Charles spiritualité » est adepte de morphopsychologie, pseudoscience prétendant établir une correspondance entre la morphologie des traits du visage et la psychologie de l’individu. Dans une autre vidéo, « Choisissons-nous notre apparence ? », qui, prévient-il, « va à contre-courant de la pensée unique de notre société », « Charles spiritualité » explique que le nez africain moyen correspond à un nez « terrestre » qui « évoque de la chaleur et de la bonne humeur », soit des personnes « spontanées » et « primaires » qui aiment les choses concrètes (traduction : pas de grands intellectuels). Ailleurs, il assure que le nez des Arabes ou des juifs est, lui, en général, sous influence lunaire, c’est-à-dire proche de celui des bébés, ces « personnes qui gobent absolument tout ». Le nez « mercurien », qui se reconnaît à sa forme pointue, serait, lui, marqueur de personnalités intellectuelles, à l’image du sien. Toujours souriant, Charles prend soin de préciser qu’il a un colocataire camerounais et que « c’est une joie ».
L’homme qui fait la promotion de ces délires racialo-ésotériques et prétend savoir si un élève a un physique intelligent ou non se nomme Charles Le Goff. Il exerce le métier d’… enseignant. Professeur des écoles, il travaille depuis septembre à l’école Waldorf-Steiner de Verrières-le-Buisson (Essonne), une école sous contrat avec l’État. Charles Le Goff est aussi anthroposophe depuis 2017, comme le prouve un numéro du bulletin Nouvellesde la Société anthroposophique en France. Contactée, l’école nous fait savoir par mail que « Monsieur Le Goff a été embauché à la rentrée dernière, et durant l’année scolaire, nous avons découvert ses opinions personnelles. Il n’a jamais fait état de ces dernières dans le cadre professionnel, néanmoins, elles ne sont pas compatibles avec les objectifs pédagogiques de notre établissement. De fait, la direction a pris la décision d’une séparation, et l’information a été officiellement communiquée aux parents ce 18 juin. D’autre part, sachez que les raisons de cette séparation – et son processus – sont pleinement connues de l’Éducation nationale. » En interne, on était au courant de l’existence de cette chaîne depuis au moins décembre, et on craignait que cela ne nuise à l’image de l’anthroposophie, sous le feu des critiques rationalistes. Charles Le Goff a officiellement fait l’objet d’un protocole d’accord de rupture conventionnelle, en raison d’une demande de stage non approuvée par l’établissement.
Méthodes controversées
Les écoles Steiner-Waldorf ont été créées par Rudolf Steiner (1861-1925), occultiste autrichien et père de l’anthroposophie, doctrine mêlant syncrétisme religieux, réincarnation, rejet du matérialisme, biodynamie… Rudolf Steiner croyait notamment que les groupes raciaux représentent des stades différents de l’évolution spirituelle. Les responsables des écoles Steiner affirment que l’anthroposophie n’est pas enseignée dans leurs établissements. Mais, pour Grégoire Perra, ex-anthroposophe et enseignant en école Steiner devenu le critique le plus farouche de cette mouvance en France, les théories ésotériques et pseudo-scientifiques de Steiner sont inculquées de façon insidieuse aux élèves. Selon d’autres anciens élèves en revanche, la pédagogie Steiner n’a rien à voir avec l’anthroposophie. Cette ambiguïté se retrouve sur le site même de l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson. Dans la présentation de sa pédagogie, l’établissement commence par évoquer l’anthroposophie de façon très avantageuse : « Cette philosophie se base sur une compréhension élargie de l’homme, intégrant sa dimension spirituelle, et cherche à répondre aux défis posés par un monde en transformation. Ainsi, le travail de Rudolf Steiner a fécondé de nombreux domaines de la vie pratique comme la pédagogie, mais aussi la médecine, la pharmacie, la pédagogie curative, l’agriculture, l’architecture et l’art. » Mais, ensuite, l’école précise que « l’anthroposophie n’est cependant pas enseignée aux élèves, car la pédagogie Steiner-Waldorf n’a pas vocation à transmettre une vision du monde. Elle s’emploie au contraire à développer la sensibilité et l’intelligence, fondements de la liberté de penser. »
On constate les mêmes contradictions dans la réaction de la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf en France à la suite de l’interview publiée sur Le Point de Grégoire Perra. Après avoir expliqué que « l’intention fondatrice de la pédagogie Steiner-Waldorf est de favoriser l’épanouissement d’individualités libres et créatives qui puissent apporter leur dynamisme et leur énergie de transformation à la société contemporaine », cette association prend la défense des théories farfelues de Rudolf Steiner, assurant qu’elles ne sont pas incompatibles avec les connaissances scientifiques modernes. « Dans une culture scientifique dominée par le matérialisme, certaines perspectives de l’anthroposophie peuvent paraître originales, mais, considérées dans l’histoire de la pensée humaine et de la spiritualité depuis l’Antiquité, ainsi que dans de grands débats de la culture contemporaine, elles ne sont pas si étonnantes. Les idées de réincarnation ou de corps subtils, par exemple, peuvent être débattues du point de vue scientifique ou philosophique, et n’ont pas à être considérées comme des hérésies. » Les corps subtils sont, chez les ésotériques, des « enveloppes suprasensibles ».
L’un des professeurs à l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson, Virginie Macé, poursuit Grégoire Perra pour un article de son blog où il dénonçait un voyage de classe sur le thème « minéralogie et astronomie », sortie scolaire pour laquelle a été convié René Becker, qui n’est autre que le secrétaire général de la Société anthroposophique en France. Grégoire Perra est aussi attaqué par la Fédération des écoles Steiner-Waldorf. Les deux procès auront lieu le 9 juillet au tribunal de grande instance de Strasbourg.
source : Par Thomas Mahler