LE FIGARO – 26/01/2009
M-N. T
Pas facile d’incarner un héros de la résistance allemande, quand on est une star hollywoodienne et un adepte de la Scientologie.
L’hôtel Beverly Hills résume assez bien l’atmosphère de ce ghetto doré qu’est le quartier des stars de Hollywood. Tout y est luxe et calme ; volupté, c’est moins sûr. Les belles villas du voisinage montrent les dents en affichant les noms des compagnies de sécurité qui les protègent. À l’hôtel, la vigilance est active et feutrée. On n’a pas vu arriver Tom Cruise, discrètement installé dans un pavillon où trois personnes de la production montent la garde. Quand on le rencontre, on a soudain une impression de simplicité, au milieu de cet appareil et de cet apparat. À quarante-six ans, jean sombre et chemise ouverte, la star garde le physique juvénile de ses débuts. La poignée de main est directe, le sourire ouvert.
Simple, pourtant, la personnalité de Tom Cruise ne l’est certainement pas. Tempérament émotif et tourmenté, énergie d’athlète, ambition et volonté de fer. Il parle avec beaucoup d’intelligence et de conviction de son nouveau film, Walkyrie, des valeurs qu’il représente, de sa passion d’acteur. Mais si l’on aborde des sujets plus polémiques, il est tout de suite barricadé. Ses démêlés avec les studios hollywoodiens, sa rupture avec Paramount voilà deux ans, avec son associée, Paula Wagner, l’été dernier ? Des aléas professionnels comme dans toute carrière. Les difficultés du tournage, les oppositions suscitées par son appartenance à la Scientologie ? Non, pas de problème, tout s’est passé comme prévu. C’est minimaliste, mais ce n’est pas faux.
Avec le soutien du gouvernement allemand
Le réalisateur, Bryan Singer, abonde dans son sens : «À en croire les journaux, on avait l’impression d’une tempête. La réalité était beaucoup plus confortable. Le film s’est fait avec les subventions et le soutien du gouvernement allemand. Il y a eu discussion sur un lieu historique où nous souhaitions tourner, le Mémorial de la résistance allemande, qui est, c’est normal, difficilement accessible. Mais notre souci d’authenticité a été compris : le vrai défi du film était là, et l’équipe allemande a fait un magnifique travail sur les décors et les costumes. Nous avons atteint notre but de réaliser un film honorable et nécessaire sur la résistance allemande.»
Tom Cruise est un cas d’école intéressant pour examiner les pratiques médiatiques. Son appartenance à la scientologie offre une zone d’ombre propice aux déchaînements passionnels. Il est encore un des acteurs les mieux payés de Hollywood. Mais il se sait guetté, il est conscient que la Roche tarpéienne est près du Capitole. Les rumeurs vont bon train sur sa vie privée, sur sa manière délirante d’afficher en public son bonheur scientologique avec Katie Holmes, sur l’échec de sa précédente production, Lions et Agneaux de Robert Redford, comme si c’était l’amorce du déclin. Où finit l’information, où commence la fièvre justicière ?
On voit bien comment, en combinant l’image d’un imminent has been professionnel, le caprice du public aussi prompt à se repaître des frasques people qu’à les condamner, et le jugement idéologique, le mécanisme du bouc émissaire pourrait se mettre en place. Contester les buts et les méthodes de la Scientologie, enquêter et témoigner, est une chose. S’ameuter contre l’acteur en est une autre. «On a lu des absurdités complètes, explique Bryan Singer. Mais on ne pouvait rien dire. Parce que, si vous ripostez, vous enflammez la polémique.» Au cœur du débat : le totalitarisme. Un scientologue ne peut pas faire un film contre le totalitarisme hitlérien, étant lui-même totalitaire. Objection : vouloir le censurer relève du procès d’opinion, typique du totalitarisme. Laissez-le travailler, ont dit réalisateurs et acteurs allemands comme Florian von Donnersmarck et Armin Muellerstahl. Et Walkyrie est du bon travail. Sorti fin décembre aux États-Unis, le film s’est très bien classé au box-office. Il a été bien accueilli en Allemagne. Pour l’instant, Tom Cruise reste à la barre.