Quatre vécus, une expérience: Moi aussi, le podcast de NEON, s’intéresse pour cet épisode aux mouvements sectaires. Agathe, Céline, Isabelle et Nicolas ont passé plusieurs années embrigadé·e·s. Voici leurs témoignages. Découvrez aussi la version podcast ci-dessous.
NEON: Céline et Nicolas, vous avez grandi dans le même mouvement, donc avec une seule vérité… Avez-vous dû revoir la totalité de votre perception du monde en en sortant?
Céline: On grandit avec une idée de vérité absolue et d’élitisme. Il faut voir le film The Truman Show, il montre bien ce qu’on ressent. On est des martiens, on a l’impression de n’avoir jamais existé, d’être sans aucun repère. Dans une secte, on nous apprend que le reste du monde est sectaire.
Nicolas: Ce qui est perturbant, c’est que toute mon enfance a été conditionnée autour de la mort, et de la mort de l’humanité. On me promettait une vie éternelle mais à tous les autres une mort horrible, raison pour laquelle je devais me livrer à un prosélytisme intensif. Dès que je créais des liens avec des camarades de classe, j’avais envie de les sauver, mais je m’en sentais incapable, et j’étais pris dans d’atroces souffrances morales. Le but officiel est de sauver les gens autour de nous mais, en réalité, c’est de faire des adeptes. A 5 ans, on m’a appris la loi sur la laïcité et les moyens de la contourner.
Céline: J’ai appris à parler en public à 4 ans. Maintenant, je me rends compte que parmi mes compétences, il y a le côté marketing, ce qui me permet de faire mes chaînes YouTube (rires). Mais quand on a 4 ans, on devrait avoir autre chose à faire.
Céline, 40 ans
Isabelle, pour toi, ça a commencé le 15 décembre 1999, avec une apparition de la Vierge. Peux-tu nous expliquer ?
Isabelle : Je fais partie d’une famille croyante. Il y a des lieux « d’apparition de la Vierge » dans le monde entier. J’étais allée en Bosnie-Herzégovine, puis ma sœur m’a fait connaître un groupe en Bourgogne où une personne, la « voyante », avait des apparitions chaque mois. A ce moment-là, je n’étais pas très bien dans ma peau. L’expérience a été très forte, j’ai vraiment eu une sorte de révélation. Avec ma sœur puis ma mère, nous sommes entrées dans ce groupe de prière et nous y sommes restées une dizaine d’années. On a fini par vivre dans une propriété qui appartenait à l’un des membres de la communauté. Les gens demandaient l’avis de la voyante pour tout et n’importe quoi, comme par exemple comment cuire des nouilles…
Agathe, toi tu avais 22 ans quand tu es entrée dans une communauté, mais l’emprise a commencé six mois plus tôt avec un « accompagnement psycho-spirituel ».
Agathe : Cette « thérapie » se base sur les faux souvenirs et la parole de Dieu. Les thérapeutes coupent les gens de leur famille. J’étais dans un grand désarroi, en rupture totale. Et ça a marché : la thérapeute m’a écoutée. J’avais des problèmes psychologiques, mais elle m’a dit que je n’étais pas malade, que je devais arrêter mes traitements, que le problème venait de mes parents… elle m’a mise en valeur.
Agathe, 49 ans
Plus on est dans le doute, plus on est une proie facile ?
Nicolas : Pour incorporer un nouvel adepte, on utilise le love bombing : le groupe mobilise toutes ses énergies autour d’un arrivant pour lui montrer une forme d’amour qui n’existe pas dans le monde extérieur. On lui dit : « tu vois que tu es dans la vérité, car cet amour, tu ne l’as jamais connu ailleurs ». Mais une fois que le disciple est intégré, l’immense amour dont on a fait preuve envers lui va se dissoudre, et il va à son tour devenir participant du love bombing.
Ça ressemble à quoi, la vie en communauté ?
Agathe : C’était une grande abbaye où on a vécu jusqu’à 120, une bâtisse grise et sombre, sous la pluie, avec une statue énorme de la Vierge qui surplombe tout ça. Et on avait un rythme monacal : petit déjeuner, prière, travail, messe, déjeuner, travail, goûter, travail, prière, dîner, prière. On n’avait jamais de moments pour nous, et on devait obéissance totale au berger. Si on voulait aller chez le médecin et que le berger disait non, il fallait s’y plier.
Une dérive sectaire, c’est aussi un contrôle de la santé?
Céline: Une de mes filles avaient d’énormes angoisses. En bas de ma rue, il y avait une personne qui faisait du reiki, ou de la micro-kiné, je ne sais plus. J’y suis allée. Cette personne a utilisé des techniques de visualisation des angoisses, et ça a fonctionné. Suite à ça, ma mère a envoyé une lettre aux hauts placés, qui ont considéré que nous faisions du démonisme…
Isabelle, après avoir assisté aux apparitions, tu es aussi allée vivre en communauté. Ta vie ressemblait-elle à celle d’Agathe?
Isabelle: C’est la même base de renouveau charismatique, ces mouvements qui invoquent un ressenti très sensible du divin. L’objectif était d’être au service d’autres gens, qui ne faisaient d’ailleurs même pas forcément partie de la communauté, comme la famille et l’entourage de la voyante, la femme qui avait les apparitions. Les premières années, on était dans la joie. Puis j’ai repris un appartement en ville. J’y retournais le week-end car ma mère y était toujours, seule puisqu’elle avait quitté mon père. Elle se faisait maltraiter, mais avait peur d’être damnée.
Nicolas: L’exclusion est un moyen de pression. La méfiance envers le monde extérieur fait qu’on ne peut avoir de relations personnelles et intimes qu’en se mariant, et uniquement avec des membres du mouvement. Si on se fait exclure, on perd toute attache affective. Cette menace fait que plein d’adeptes restent par peur. Et ce n’est pas parce qu’on quitte un mouvement que, spontanément, les mécanismes mentaux vont disparaître. Il faut se réadapter, réinterpréter des signes qui nous avaient été montrés comme diaboliques, et apprendre à avoir confiance en soi. Ça prend un temps incroyable.
Nicolas, 38 ans
Céline: Je n’aime pas le mot « exclusion ». C’est de l’ostracisme, de l’assassinat social. On ne met pas simplement les gens dehors, on parle de ruptures familiales, on touche à quelque chose de beaucoup plus grave. Les mouvements sectaires utilisent ces mots pour, en toute impunité, faire de la discrimination, ou de la non-assistance à personne en danger. Il faut employer les bons mots, car ça réveille les gens.
Un autre mot souvent employé est «Liberté».
Isabelle: Oui, on parlait de liberté tout le temps. Il n’y avait pas d’exclusion, les gens s’excluaient d’eux-mêmes, c’était le signe qu’il n’y avait pas de dérive sectaire ! Etre libre, c’était être en dehors de la société. On avait alors l’impression d’être au dessus du lot. Et on s’enfermait dans un autre système.
Isabelle, 52 ans
A quoi ressemble la vie d’un petit garçon ou d’une petite fille au sein de votre mouvement ?
Nicolas : Une saturation du temps. On avait une réunion tous les deux jours, qu’il fallait préparer la veille, dès l’enfance. C’était la première chose à faire dès qu’on rentrait de l’école. Le samedi, debout à 7 heures pour mettre mon petit costume, préparer mes revues et faire du démarchage. Et le dimanche, réunion le matin, et si on pouvait organiser des activités récréatives, c’était avec les membres de la communauté. La musique américaine était interdite, il ne fallait pas s’habiller à la mode. Je me souviens qu’un jour, je regardais La Petite Sirène et une membre de la communauté a fait une visite surprise à ma mère… Elle lui a dit : « Comment peux-tu montrer des choses pareilles à tes enfants ?! » Je n’ai plus jamais regardé ce dessin animé.
Dans ton cas, Céline, c’est ta famille qui t’a motivée à t’éloigner.
Céline : Mon mari a fait ce qu’on lui a dit, il a lu La Bible de A à Z, et il s’est dit que des trucs ne collaient pas. Quand j’ai vu comment les hauts placés se sont comportés avec lui… C’est l’amour maternel et l’amour pour mon mari qui m’ont fait changer. Pour moi, la communauté détenait toujours « la vérité », mais je ne pouvais pas rester. Heureusement que je connaissais le parcours de mon mari, enfant placé, je savais que ça aurait été meurtrier de l’abandonner quand il a été mis à la porte. Si je n’étais pas sortie du mouvement avec lui, il y aurait eu des suicides dans la famille, lui ou moi. Et il y avait mes enfants et les questions d’abus sexuels… on ne peut pas tout accepter [son groupe est régulièrement accusé de cacher les abus sexuels qui y ont lieu, ndlr].
Agathe, quel a été le déclic ?
Agathe : Après être partie, j’ai eu des problèmes d’addiction, je n’ai jamais réussi à me soigner. Quatorze ans plus tard, j’ai fait une cure de désintoxication et j’ai vu une nouvelle psychologue qui a su me parler. Ensuite, j’ai écouté les témoignages sur l’embrigadement de djihadistes, et je me suis dit « c’est mon histoire ».
Qui vous a tendu la main ?
Agathe : Une assistante sociale, nous étions devenues amies. Elle m’avait dit un mois avant : « Si tu dois sortir un jour, tu es la bienvenue ». Je suis sortie en une heure, je l’ai appelée. Une pulsion. Puis ça a été la chute, mais je ne voulais pas me faire soigner, et je restais attachée à la communauté. Je pensais que c’était moi qui avais mal compris le message de Dieu, que c’était une punition parce que je ne m’étais pas assez engagée… Que tout était de ma faute.
Isabelle : C’était impossible que je laisse ma mère et ma sœur alors que la voyante avait essayé de semer la zizanie entre nous. En parallèle, mon père se battait pour nous sortir de là. Mais ma mère a fini par se réveiller : elle a résisté, puis s’est faite éjecter du groupe. Elle a fini par revoir mon père. Et ils se sont remariés.
source :https://www.neonmag.fr/moi-aussi-jai-ete-victime-de-derives-sectaires-557186.html