{{LE PLUS. La prison a-t-elle joué un rôle clef dans la radicalisation des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly ? Après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, les centres de détention français sont plus que jamais suspectés d’être des lieux favorisant la radicalisation de certains détenus. Qu’en est-il de la réalité ?}}

 » Nous étions en 2000, et l’islam était en passe de devenir la première religion pratiquée dans les prisons françaises.

« C’est le directeur de la prison de Rennes qui est venu me solliciter pour que j’intervienne auprès des détenus de confession musulmane de son établissement. Ce directeur voyait avec inquiétude se multiplier les signes de prosélytisme. Des détenus s’autoproclamaient imams, des prières collectives s’improvisaient dans la cour…

« En quinze ans de visites quotidiennes dans cette prison, j’ai vu le nombre de détenus dit « radicalisés » augmenter, j’ai vu leurs propos devenir de plus en plus violents. Malheureusement, au cours de ces quinze années, j’ai également vu les moyens mis à ma disposition pour lutter contre cet islam radical stagner…

{{De plus en plus de détenus tentés par le djihad}}

« Avec le recul, on peut considérer les quelques cas de prosélytisme observés en 2000 comme relativement mineurs en comparaison de ce que l’on peut entendre désormais chez certains détenus. Car aujourd’hui, on entend ouvertement parler de meurtre et de djihad, ce qui n’était pas le cas avant.

« Quand je suis arrivé dans cette prison, mon travail consistait essentiellement à permettre une pratique pacifiée de l’islam pour ceux qui le souhaitent. Je suis là pour assurer le prêche du vendredi, pour m’entretenir individuellement avec les croyants qui me sollicitent ou ceux qui me sont signalés par l’administration, soit en raison de leurs idées noires, soit de leur prosélytisme.

« Mon rôle est aussi celui d’un intendant. C’est à moi que revient la mission de trouver, de concert avec la direction, des fournisseurs de viande hallal et de donner aux détenus des tapis de prière par exemple.

« Mais depuis l’affaire Merah, mon travail a beaucoup changé. Désormais, le travail de déradicalisation de certains détenus est une tâche qui accapare une part croissante de mon temps. Les détenus dit radicaux, qui se disent tentés par le djihad et hostiles à l’occident, sont certes ultra minoritaires mais bien plus nombreux depuis deux-trois ans.
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À la sortie : « Le trafic de drogue ou la Syrie »}}

« Déradicaliser un individu est un travail évidemment long et complexe. Cela exige des rencontres très régulières, beaucoup de patience, de pédagogie et de psychologie. Ce travail commence par une longue phase d’écoute. Il s’agit pour moi d’acquérir leur confiance, de déceler où et pourquoi il y a dévoiement de l’islam, et ensuite de les rediriger petit à petit vers une lecture plus tolérante de la religion.

« Dans 95% des cas, le premier contact se passe bien et le dialogue est possible. Seuls quelques irréductibles se ferment totalement ou me prennent à partie. Les individus sensibles au discours radical sont des individus plein de colère, en conflit avec l’autorité et les institutions. Ce sont des bombes à retardement. On a affaire à des individus extrêmement fragiles, sans grande culture religieuse. Le discours est très basique et belliqueux.

« Pour les déradicaliser, il faut réussir à les apaiser, et leur apporter des réponses. Il faut leur faire accepter un langage de citoyenneté qui leur est étranger ou qu’ils ont perdu. Mais il faut savoir que bien souvent, leurs motivations sont financières avant d’être religieuses. C’est la misère sociale, le sentiment d’exclusion et l’absence de perspectives qui les poussent vers l’islam radical. C’est d’ailleurs avec de l’argent et un salaire que les prédicateurs les attirent.

« Déradicaliser un individu en prison est nécessaire et indispensable. Malheureusement, la réussite de ce travail dépend aussi en grande partie de sa réinsertion à la sortie. Or bien trop souvent, celle-ci n’est pas préparé, faute de moyens. Quand je les interroge, d’ailleurs, nombreux sont ceux qui répondent qu’à leur sortie de prison, ils n’auront que deux options : le trafic de drogue ou la Syrie…

{{Aumônier, une activité à temps plein, mais sans salaire}}

« Nous, aumôniers, nous avons un rôle crucial à jouer auprès de ces détenus, que l’enfermement et le manque de perspectives tournent vers une lecture dévoyée de la religion. Malheureusement, l’État ne nous n’en donne pas suffisamment les moyens.

« Il faut savoir que la France est l’un des rares pays occidentaux, si ce n’est le seul, où les aumôniers n’ont pas de statut. Nous sommes considérés comme des bénévoles, donc sans salaire et sans retraite, alors que notre présence est quotidienne et à temps plein. L’administration nous rembourse uniquement nos frais de déplacements, 200 à 300 euros pour les plus chanceux.

« Nous ne sommes ni assez nombreux ni suffisamment armés pour mener à bien notre travail. Il y a, dans tout le pays, 182 aumôniers musulmans. C’est trop peu pour être aux côtés de ces détenus en perdition. Dans le centre pénitentiaire de Vezin-le-Coquet, près de Rennes, où je travaille, il y a 800 à 900 détenus, à majorité musulmane. Et je suis seul pour les accompagner dans leur pratique religieuse, et non rémunéré pour ce travail.

« Or, si nous ne sommes pas présents, quelqu’un d’autre prend notre place, un imam autoproclamé, un « référent », qui n’a pas de savoir théologique mais qui prêche la violence. À Brest, récemment, un groupe d’obédience salafiste de la mosquée Sunna a tenté de mettre un pied en prison. Il a fallu réagir, mais ce fut difficile tant nos moyens sont faibles et leur volonté immense.

{{Le retard de la France est considérable}}

« Manuel Valls vient de promettre 60 aumôniers supplémentaires. Cette mesure va dans le bon sens, bien sûr. Mais je n’en reste pas moins très inquiet pour l’avenir. Le retard de la France en matière d’accompagnement des détenus est considérable. Le manque de considération et de respect pour notre action est évident. L’État français, au nom de la laïcité, s’est longtemps désintéressé des questions religieuses. Mais la laïcité, ce n’est pas négliger les religions mais les accompagner.

« À l’heure actuelle, il n’existe toujours pas de centre de formation pour aumônier musulman. C’est un problème. Il y a quinze ans, j’ai été sollicité en raison de ma double culture : ma connaissance théologique de l’islam, mais aussi pour ma formation de droit et ma connaissance des principes républicains. Ce profil est rare, une formation s’impose plus que jamais au regard de ce qui se passe aujourd’hui en prison. J’ai aujourd’hui 65 ans, qui va prendre ma place quand j’arrêterais ?

« Cette formation est d’autant plus nécessaire qu’à la différence des aumôniers catholiques, qui sont encadrés par des instances religieuses bien établies, ce n’est pas le cas avec l’islam. L’islam en France manque d’unité et de structures. Il est une mosaïque de différents courants qui se font concurrence.

« Il faut tendre vers plus d’unité. Car en ne faisant rien pour que des aumôniers compétents soient formés (le problème est identique quant à la formation des imams), la France s’expose à l’influence d’individus formés ailleurs, dans d’autres pays, et étrangers à sa culture républicaine, à ses principes et à ses valeurs.

Propos recueillis par Sébastien Billard.
source : leplus.lenouvelobs.com