Le député européen LREM, qui fut conseiller politique d’Emmanuel Macron au début du quinquennat, considère que « derrière le complotisme, il y a une idéologie ». Entretien.
Le résultat d’un scrutin peut-il être biaisé par des fake news ?
Oui, et c’est l’Europe qui en a fait les frais. Je pense évidemment au Brexit. La campagne électorale a été fondée sur le mensonge, tout le monde en convient aujourd’hui, même en Grande-Bretagne. Les gens ont été trompés, ils se sont fait de fausses idées. Il y a un retour d’expérience à tirer de tout cela : derrière les éléments de démonstration complotistes autour de vraies questions, il y a toujours une idéologie. Certains de ceux qui se font manipuler ne partagent d’ailleurs pas cette idéologie.
Le discours officiel de l’Etat, par exemple celui sur les masques, a lui-même contribué à la détérioration de la confiance, non ?
Une partie de la composante de la confiance, c’est la transparence. Dès que celle-ci est questionnée, cela agit sur la confiance. Donc oui, le monde politique a une part de responsabilité. J’en veux par exemple aux sénateurs qui ont débattu pendant des heures de l’immunité pénale des maires pendant que les Français vivaient durement le premier confinement et se posaient d’autres questions sur leur vie quotidienne. Une des grandes crises de notre démocratie, c’est l’incapacité de la vie politique à apporter des solutions par peur des conséquences que cela pourrait avoir. Il y a une tétanie de l’action qui ne fait qu’accroître la perte du lien de confiance. Mais la majorité doit être fière de ce qu’elle a fait, notamment au début du quinquennat, en matière de transparence et de renouvellement : fin des embauches familiales chez les parlementaires, suppression des régimes spéciaux de retraite des parlementaires, limitation du cumul des mandats dans le temps.
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« L’Etat ne peut pas tout, il est temps d’avoir des citoyens engagés »
Le gouvernement s’est déjà essayé à la contre-attaque. On se souvient de l’idée lancée par la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye de référencer sur le site officiel du gouvernement les « sources d’information sûres et vérifiées » pour lutter contre « la propagation de fake news ». Comment éviter que la lutte contre les fake news donne l’impression qu’il n’existe qu’une vérité officielle ?
Partout en Europe les gouvernements cherchent le bon positionnement. Les outils mis en place, par les pouvoirs publics comme par les journalistes, sont nécessaires mais insuffisants, je pense notamment au fact-checking. On ne peut pas répondre de manière verticale à un problème qui rejette la verticalité. Il faut être plus offensif en termes de prévention. Il existe des ateliers pratiques sur les techniques de manipulation, qui permettent à des jeunes de se former, y compris en maitrisant ces techniques pour ne pas tomber ensuite dans le panneau. Surtout, l’Etat ne peut pas tout. Il faut que la société civile se mobilise et utilise les mêmes armes pour riposter que les complotistes. Qu’avec des crowdfundings citoyens, des initiatives soient prises pour contrer des docs comme Hold up. Le temps est venu d’avoir des citoyens engagés, des producteurs engagés qui contre-attaquent. Je leur lance un appel.
La prochaine élection présidentielle se déroulera-t-elle sur le terrain du complotisme ?
La présidentielle de 2022 sera un crash test démocratique. En 2017, nous avons été confrontés pour la première fois en France au sujet de l’ingérence étrangère, avec les Macronleaks. Cette fois ce sera différent, ce sera un combat politique entre l’obscurantisme et les lumières. Il s’agit de ne pas baisser la garde, par exemple sur les réseaux sociaux, en construisant un contre-discours optimiste pour vaincre l’obscurantisme. La majorité doit objectivement être aidée, l’opposition ne peut pas se contenter de la facilité de voir les sortants déstabilisés par ce genre de contenus. Car un jour l’opposition sera la majorité.
« La nuance a encore sa place, tout n’est pas perdu »
Emmanuel Macron n’est-il pas en raison de ce qu’il est, de ce qu’il incarne – le cercle de la raison – le moins bien placé pour lutter contre le complotisme ?
Ne soyons pas dupes, il s’agit d’une bataille idéologique. Une droite extrême et une extrême droite vont chercher à jouer sur ces initiatives citoyennes d’apparence dépolitisée. À nous de montrer que la rationalité des faits, la défense de la démocratie sont encore possibles. Trump était donné gagnant il y a encore six mois, et les courbes se sont inversées. La nuance a encore sa place, tout n’est pas perdu. Oui, Emmanuel Macron incarne une forme d’explication complexe du monde parce que le monde est complexe. C’est notre analyse, il ne faut pas que nous la perdions en cédant aux facilités. L’espoir des lumières existe toujours ! Nous avons su faire face au simplisme dans notre histoire, le boulangisme était un populisme que la République a su contrer.
Les responsables politiques peuvent-ils encore retourner la situation à leur avantage ?
Pour rétablir la confiance, le monde politique doit s’adapter : meilleure représentativité des sensibilités, avec la présence de tous les partis à l’Assemblée nationale, renouvellement des visages – si les candidats sont tous là depuis longtemps, comme Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, ce n’est pas bon signe. Les oppositions doivent proposer des projets alternatifs alors qu’ils ont passé trois ans à taper sur la méthode, pour ne pas donner à croire que les élites ne cherchent le pouvoir que pour le pouvoir. Il y a mutation des usages : les Français sont consultés sur tout, donnent leur avis sur la moindre prestation, en entreprise la construction des ordres du jour des réunions est mutualisée. Avant tout cela était vertical, maintenant l’Etat doit s’adapter à son temps. La convention citoyenne a permis d’entrer dans la complexité des sujets. Les nouveaux usages démocratiques doivent utiliser les technologies : le vote par internet par exemple. La présidentielle nous permettra de faire des propositions sur l’adaptation de la pratique politique aux transformations de la société. A l’Etat de s’adapter à un monde que les Français, dans leur vie quotidienne, connaissent déjà.
Le complotisme est-il un ennemi sans visage, pour parodier François Hollande ?
L’idéologie aujourd’hui avance plus vite que l’incarnation politique mais le jour où une figure incarnera cette idéologie, ce sera très dangereux. Le terreau est là. Nos aînés ont lutté contre les totalitarismes. La lutte contre le complotisme et les fausses informations, c’est le combat de notre génération.