Si vous aviez été interloqué par notre précédent article, dédié aux causes de Covid-19 selon l’anthroposophie (démons, manque de soleil et mensonges de l’humanité), il va falloir vous accrocher. Pour cette deuxième partie, nous plongeons encore plus profondément dans la doctrine de Rudolf Steiner, afin de comprendre l’origine des conseils prodigués pour éviter Covid-19.
Car même si l’anthroposophie considère la maladie comme une épreuve à traverser pour «grandir intérieurement […] dans le sens d’un développement de soi», elle s’active depuis le début de la pandémie pour promouvoir ses méthodes de «renforcement du système immunitaire». Des conseils estampillés «naturels», relayés de la section médicale de la société anthroposophique au réseau des écoles Steiner-Waldorf, et qui cachent une doctrine ésotérique complexe.
La résilience. A l’inverse des politiques de santé publique visant des mesures collectives, l’accent est ici mis sur l’individu. Le but: «Renforcer la résilience, favoriser la salutogenèse». Ce dernier concept, introduit par le sociologue Aaron Antonowsky dans les années 1960, est dit s’opposer à la «pathogenèse» de la médecine traditionnelle. Comprenez: la pathogenèse cherche l’origine de la maladie, quand la salutogenèse s’intéresse à celle de la bonne santé. En tirant partie des «ressources vitales et spirituelles» du patient grâce à des «traitements médicamenteux et artistiques, tout comme le massage rythmique et l’eurythmie curative» (on y reviendra), la médecine anthroposophique dit s’adresser «aux forces d’autoguérison du patient».
Cyril Vidal, président du collectif FakeMed, un groupe de professionnels de santé luttant contre les pseudo-médecines:
«Dès que l’on parle avec des médecins anthroposophes, rien n’en ressort. C’est un peu vide ou on ne comprend pas où ça veut aller. On retrouve ça dans la scientologie. Ça paraît sain, éliminer le stress et les pathologies, mais on cache la philosophie profonde qui est complètement barrée!»
La salutogenèse est défendue par Harald Matthes, directeur médical de la clinique anthroposophique de Havelhöhe en Allemagne, qui estimait fin mars qu’il «est bon que les personnes plus jeunes soient contaminées les premières, pour construire une immunité collective».
En décrivant la salutogenèse comme faisant «référence au niveau psychique de la guérison», Matthias Girke, co-directeur médical du Goetheanum (siège mondial de la société anthroposophique, situé à Dornach dans le canton de Soleure), met l’accent sur le mental. Dans un article intitulé «L’action thérapeutique de l’anthroposophie», publié en mars 2020, il explique:
«Si nous cherchons les forces de guérison pour le corps astral, nous les trouverons dans la sécurité, la recherche de sens et d’orientation, qui accompagnent la connaissance. A cet égard, la vérité a un effet curatif, tandis que le mensonge affaiblit et offense l’âme. Les pouvoirs de la dévotion envers la vérité, les convictions de vie auxquelles on peut « croire », ont un effet curatif sur l’organisation astrale.»
Il se répète dans une vidéo intitulée «Qu’est-ce qui peut renforcer le système immunitaire», publiée en avril 2020, en affirmant que «lorsque nous découvrons quelque chose qui a un contenu de vérité, cela a un effet d’orientation interne sur l’âme de l’homme.»
Pour élucider ces phrases cryptiques, il faut revenir à Steiner: dans La Philosophie de la vérité (1923), il explique que les pensées sont indépendantes de l’homme, qu’elles imprègnent l’univers. Grégoire Perra, ancien anthroposophe et désormais critique actif du mouvement, précise:
«Vous ne faites que capter des pensées, sans les produire. Et si vous recevez une pensée “élevée”, elle a une influence bénéfique sur vous.»
Comme le souligne Cyril Vidal:
«L’anthroposophie n’a rien de curatif à proposer. Donc en préventif, ça ne risque pas grand-chose: si on ne tombe pas malade, c’est que ça a marché; sinon, on le met sur le compte d’une “crise karmique”.»
Prendre des bains de soleil. Un des directeurs médicaux du Goetheanum, Georg Soldner, l’a bien dit: «Ce dont souffre souvent notre système immunitaire, c’est du manque de lumière solaire». Comme nous l’expliquait Grégoire Perra, le système coeur-poumons est considéré par la doctrine de Steiner comme «sous l’influence du Christ, grand esprit du Soleil. C’est pour cela qu’ils préconisent d’aller prendre des bains de soleil». En temps normal, c’est même le manque de lumière qui serait la cause de nombreuses maladies pour Georg Soldner:
«un manque qui se fait ressentir le plus fortement au mois de mars. C’est pourquoi, rapportée à l’année, la plus haute mortalité sous nos latitudes se situe à la fin du mois de mars. Elle est liée, en grande partie, au manque de soleil pendant les mois d’hiver»
Si la mortalité est effectivement accrue en hiver (d’ailleurs plutôt en janvier-février) chez les plus de 65 ans, toutes les études la relient aux maladies respiratoires saisonnières, et non à l’influence de la lumière (même si on a pu mettre en évidence une corrélation entre luminosité et taux de suicide…).
Se relier au cosmos. Mais cette surmortalité hivernale, selon Soldner,
«rappelle qu’il est extrêmement bénéfique de sortir tous les jours – en hiver si possible à midi – et de se relier ainsi à la périphérie, de façon tout à fait élémentaire, avec le cosmos.»
Se relier au cosmos, un thème de prédilection de la biodynamie, la filière agricole de l’anthroposophie. «Steiner refuse la séparation de l’homme et de la Nature», note Grégoire Perra. Le fondateur de la biodynamie préconise ainsi l’emploi de cornes de vache dans diverses préparation car «la vache a des cornes afin d’envoyer dans son propre corps les forces formatrices astrales et éthériques» (Le Cours aux agriculteurs, p. 133). La corne devient alors l’élément idéal pour connecter sa vigne avec l’univers. Ailleurs, c’est l’abeille ou le pissenlit qui sont vus comme des «liens entre Terre et cosmos».
Georg Soldner creuse le même sillon en expliquant que le «rapport de l’humanité à la terre et au cosmos» se serait modifié, qu’on «attise la peur des affections fébriles aiguës, comme celle de la lumière solaire». Cette vision explique les réticences des anthroposophes à l’égard des mesures de confinement, qui n’auraient fait qu’amplifier ce «lien déficient avec la terre et le soleil», comme l’explique Matthias Girke dans sa vidéo:
«Nous avons besoin d’un contact sain avec le soleil et la lumière. Et de nombreuses mesures qui nous sont prescrites en ce moment sont telles qu’elles ont tendance à nous bannir dans la maison, sans nous conduire à l’extérieur vers la lumière. Et nous savons bien que la lumière du soleil a un impact positif sur le système immunitaire.»
Cyril Vidal:
«Une exposition au soleil est nécessaire pour la synthèse de la vitamine D, et si vraiment on ne peut pas s’exposer, on peut en prendre des compléments pour éviter les carences. Mais ce sont dans des cas spécifiques. De plus, une trop grande exposition présente aussi des conséquences, entre autres en terme de cancer.»
Fuir le stress. Pour les anthroposophes, «le stress et la peur, qui sont une caractéristique de la société de la performance d’orientation matérialiste, ont un effet d’affaiblissement immunitaire et font donc partie de la prédisposition», Soldner ajoutant que le poumon serait aussi affaibli par les «tensions sociales». Pour Rudolf Steiner, la peur est en effet un phénomène de désincarnation: on devient blême, ce qui serait le signe que notre «moi» (un des quatre corps, avec l’astral, l’éthérique et le physique) sort du corps physique avec le mouvement du sang. Il y voit également l’action des démons:
«Il existe des êtres dans les royaumes spirituels pour qui l’anxiété et la peur émanant des êtres humains offrent une nourriture bienvenue. […] Si la peur et l’anxiété irradient d’individus qui se mettent alors à paniquer, ces créatures se nourrissent et deviennent de plus en plus puissantes.» (La Chute des esprits des ténèbres, 1917)
A la fin du mois de mars, le médecin anthroposophe Harald Matthes avait ainsi raillé la réaction «sur le mode panique et émotionnel» de la médecine conventionnelle, affirmant que «même des personnes jeunes, qui dans la plupart des cas ne s’aperçoivent pas qu’elles sont infectées, angoissent, voire deviennent hystériques». Cyril Vidal répond:
«C’est un peu facile de tout faire reposer sur l’individu. Ce n’est bon pour personne le stress, mais ce n’est pas en étant détendu que l’on va être mieux protéger contre le virus!»
Soigner ses relations. Sachez-le: le monde moderne nous plonge dans l’angoisse, mais il nous éloigne aussi les uns des autres. Mais pourquoi les guides médicaux anthroposophiques préconisent-ils «la compassion, l’intérêt pour les autres» contre Covid?
Suivez bien: le système rythmique coeur-poumons est relié au soleil; un manque de lumière l’a déséquilibré; or, le système coeur-poumons est, dans l’anthroposophie, associé au Christ. Grégoire Perra:
«Comme le Christ est celui qui relie les hommes entre eux, c’est pour cela qu’ils disent aussi de renforcer les relations avec les autres.»
Limpide. Les protocoles médicaux proposés par le Goetheanum ne présentent pas l’enchaînement doctrinal, mais uniquement le résultat final: «cultiver les relations» figurant en bonne place parmi d’autres «possibilités importantes et préventives pour renforcer sa résilience». Dans ces mesures préventives, on trouve également la méditation, ou encore l’eurythmie.
Danser avec l’eurythmie. Ce n’est rien de moins que la «sœur» de l’anthroposophie. Cette pratique, obligatoire dans les écoles Steiner-Waldorf du jardin d’enfant à la Terminale, doit aider les élèves à «harmoniser leur corps et leurs forces vitales», en rendant visible le «geste invisible imprimé à l’air par la parole».
Concrètement, chaque lettre de l’alphabet correspond à une position précise des bras, et l’on peut ainsi «eurythmiser» des mots. Grégoire Perra:
«Ce n’est pas juste une “expression artistique et corporelle” ou une danse. Il y a une dimension cultuelle. Pour des veillées funèbres, s’il n’y a pas de prêtre de la Communauté des chrétiens (organisation chrétienne basée sur l’anthroposophie), on peut faire venir un eurythmiste qui va eurythmiser Halleyluya ou Notre Père.»
D’ailleurs, le bulletin de mai 2020 de la Société anthroposophique suisse relate le séminaire de Virginia Sease, membre d’honneur du Comité directeur au Goetheanum, où les participants ont «eurythmisé l’Halleluya» pour renforcer «le système immunitaire des animaux, des plantes, de la Terre et de l’environnement terrestre» contre Covid-19.
Car l’eurythmie a aussi son volet thérapeutique. D’après ce document de la section médicale du Goetheanum à propos du coronavirus: «la thérapie eurythmique peut renforcer holistiquement notre système immunitaire, c’est-à-dire non seulement au niveau physique, mais aussi au niveau de l’âme et de l’esprit, et en particulier au niveau de la force de vie».
Grégoire Perra confirme, détaillant la théorie de Steiner sur les quatre corps (astral, éthérique, physique, et du moi):
«L’eurythmie est censée agir sur le corps éthérique, celui des forces de vie, qui est en rapport avec le système lymphatique et donc immunitaire. Elle renforce aussi le «moi», qui est censé être en dehors de nous. Avec l’eurythmie, vous vous mettez au diapason de ce moi extérieur.»
Sans commenter l’effet de la danse sur la santé de la planète, on relève que l’efficacité thérapeutique de l’eurythmie est loin d’être concluante. Les quelques articles de revue indiquent des résultats «hétérogènes», principalement du fait que les rares études menées sur le sujet n’ont pas de groupe contrôle ou ne sont pas randomisées.
De plus, elles sont pour la plupart menées dans le cadre de l’AMOS (Anthroposophic Medicine Outcomes Study), un projet piloté par le Dr. Harald Hamre. Ce dernier est un soutien fervent de l’homéopathie et dirige l’European Scientific Cooperative on Anthroposophic Medicinal Products, un groupe militant pour la création d’un système de régulation des médicaments anthroposophiques. Estimant bien sûr que les exigences du système régulant les «produits de la médecine conventionnelle ne sont pas adaptées» pour leur approche.
Le dessin de forme. Cette activité dispensée dans les écoles Steiner-Waldorf n’a rien du trivial et laïque art plastique. «C’est plutôt une pratique méditative ésotérique, explique Grégoire Perra, qui consiste à reproduire certaines figures, toujours à main levé, avec certains crayons, d’une certaine marque. Quand on l’exécute, il ne faut jamais poser la main sur le papier, les mouvements doivent être ininterrompus, car le mouvement est lié aux “Dynamis”, des êtres supérieurs, esprits du mouvement et porteurs de force.»
Au mois de mars, l’école Steiner de Haute Alsace a ainsi fait circuler un dessin de forme «indiqué pour le renforcement respiratoire» (depuis retiré de leur site). Le dessin de forme est ainsi supposé renforcer le corps éthérique, lié au système respiratoire et à la circulation sanguine. C’est la même idée que l’eurythmie.
Et si malgré tous ces efforts, vous vous sentez encore un peu faible, il reste la voie médicamenteuse. Une voie pavée de produits Weleda, dont la Société anthroposophique est le principal actionnaire, et qui nous occupera pour le troisième et dernier volet de notre odyssée steinerienne.
(Enquête à suivre)
source :https://www.heidi.news/sante/se-proteger-de-covid-19-selon-l-anthroposophie-du-soleil-des-dessins-et-de-la-danse
par Adrien Miqueu