La conjugaison des notions de « radicalisme » et de « religion » explique aujourd’hui la mise en œuvre d’une politique publique de prévention, de dissuasion et de répression, sans que l’on doive céder à des amalgames mortifères infondés entre « islam » et « terrorisme ». Le sociologue Farhad Khosrokavar considère que ce phénomène est constitué par « la conjonction d’une idéologie extrémiste et d’un passage à l’acte ». Des ghettos aux réseaux, les formes matérielles violentes des radicalismes religieux sont portées par des moyens financiers que les Etats pourraient contrôler de façon stratégique et prioritaire. La priorité n’est-elle pas à la mise en œuvre d’enquêtes administratives financières portant sur les réseaux et les sources de financement des organisations radicales ?
De toute évidence, les moyens de lutte financiers contre les formes matérielles violentes du radicalisme religieux devraient être prioritairement renforcés au delà des affichages et des discours politiques et, d’autre part, des méthodes institutionnelles et des choix politiques. Il s’agit de tenter de priver le radicalisme religieux de moyens de financement. Cette volonté existe-t-elle aujourd’hui au point d’instituer une stratégie ad hoc ? Il est permis d’en douter.
{{Des moyens sous-utilisés}}
En l’état, les moyens de lutte par les pouvoirs publics contre les formes du radicalisme religieux restent sous-utilisés. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics français ont pourtant pu prendre la mesure des manifestations du radicalisme religieux dans un certain nombre de situations. S’agissant de la procédure légale de naturalisation le Conseil d’Etat a pu juger en 2007 qu’un requérant ne remplissait pas les conditions légales puisqu’ « il s’est orienté vers un prosélytisme de plus en plus actif, au soutien direct d’un imam d’obédience salafiste… prônant des thèses violentes, refusant les valeurs essentielles de la société française d’égalité et de tolérance (…). Il est devenu trésorier de l’association mise en place et utilisée par Y. C. pour son action où il le secondait, en dépit des positions extrêmes prises par celui-ci et de modes de financement dont la régularité n’est pas établie».
D’autre part, les pouvoirs publics en instituant à la fin des années 1990 des mesures de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ont tardé à prendre en compte à ce titre toutes les manifestations extrêmes du radicalisme religieux. Ce retard ne laisse pas d’interroger alors que selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) une dérive sectaire est « un dévoiement de la pensée, d’opinion ou de religion, qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois et aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité et à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions et de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou la société ». Or, ne sommes-nous pas contraints d’admettre aujourd’hui que la grande majorité des manifestations du radicalisme religieux islamiste traduisent à leur façon des dérives sectaires au sens donné par la MIVILUDES ? Aujourd’hui, en l’état de la situation, l’action de la MIVILUDES pourrait être centrale dans le cadre d’un plan spécifique d’actions de prévention et de contrôle notamment du financement des radicalismes religieux. Or, à ce jour, s’agissant des manifestations les plus violentes des radicalismes religieux en France un certain silence règne dans et hors les cabinets ministériels quant à la place et au rôle que la MIVILUDES devrait remplir pour assurer une action de pilotage stratégique en matière notamment d’enquêtes financières et fiscales.
{{Renforcer les moyens existants}}
Les moyens existants de lutte financière contre les manifestations du radicalisme religieux exigent d’être rapidement systématisés et renforcés. D’une part, en contrepoint du contrôle des opérations des radicalismes religieux, les pouvoirs publics devraient rapidement baliser le cadre général des multiples formes de financements directs et indirects des personnels, des structures et des activités religieuses. En effet, aujourd’hui le cadre économique en question reste soumis à de subtils montages juridiques et financiers (entre la prise en compte spécifique et poreuse du « cultuel », du « culturel » et du « commercial »), mais également aux réponses locales soumises au gré des élus politiques (par exemple, la mise à disposition de locaux publics hors de tout cadre contractuel) et à certaines pratiques associatives dévoyées (mainmise incontrôlée sur le pouvoir de direction et neutralisation du pouvoir souverain des assemblées générales des associations, absence de registres de délibérations des organes associatifs, fonctionnement associatif opaque, absence de registres comptables, absence de traçabilité des dons manuels, recours irrégulier au dispositif fiscal du mécénat, instrumentalisation et dévoiement des procédures déclaratives en préfecture, etc.).
S’il est légitime d’apporter une réponse globale aux agissements répréhensibles des radicalismes religieux en évitant des raccourcis, en nommant des cibles, en bâtissant des contre-discours et en impliquant les élites religieuses, l’urgence demeure aussi de tenter d’en contrôler leurs sources de financement. Il ne s’agit pas de porter atteinte au fragile équilibre qui doit être constamment respecté entre la garantie de la liberté de conscience et la protection de l’ordre public, au risque d’être piégé par les logiques radicales. En revanche en œuvrant pour que la protection des libertés publiques demeure le fond commun de la République laïque, les pouvoirs publics doivent plus que jamais en assurer matériellement leur préservation et, le cas échéant, leurs sanctions financières. Le réalisme des procédures étatiques financières et la conception pragmatique des droits fiscaux et douaniers pourraient être convoqués dans une perspective strictement régalienne. Il y va ainsi de la préservation de l’Etat de droit qui doit s’appuyer sur des moyens de désarmement financier des radicalismes religieux, question d’intérêt public peu débattue par les relais d’opinion et ses prescripteurs. Jusqu’à quand ?
source :
http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-127981-radiscalime-religieux-pour-le-renforcement-du-controle-des-sources-de-financement-1103258.php
Alain Garay est avocat au Barreau de Paris
avocat des T.J., en autres
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