Hôpital Georges Pompidou à Paris, le 11 août 2017, où le suspect de l’attaque de Levallois-Perret a été transféré et hospitalisé. / Stephane De Sakutin/AF
À chaque attentat, le profil des djihadistes nourrit les interrogations. Tandis que les réponses se font encore attendre après l’attaque à Levallois-Perret, des chercheurs se sont penchés sur le sujet. Leur étude (1), effectuée dans le cadre d’un partenariat entre le Cesdip et l’Inhesj (2), porte sur l’analyse du parcours de vingt personnes condamnées pour terrorisme. Elle fournit des enseignements inédits et passionnants sur le processus de radicalisation.
Un passé souvent sans histoire
Pour effectuer ce travail, les chercheurs ont mené depuis 2016 une série d’entretiens avec des détenus condamnés pour des faits de terrorisme. Ce premier travail de recherche était important, explique Romain Sèze, l’un des auteurs, tant « ces questions suscitent d’âpres débats sur le plan universitaire ».
Selon lui, ces recherches étaient également attendues par les administrations françaises. « Depuis avril 2014, elles expérimentent la prévention de la radicalisation et sont demandeuses du travail des chercheurs sur ce sujet. Et très étonnamment, il n’y avait pas de recherches aussi précises sur les processus de radicalisation », explique-t-il.
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Le rapport établit un premier constat surprenant : « Certes, une partie des personnes que l’on a rencontrées avaient une trajectoire délinquante… Mais on a surtout constaté que ce n’était pas nécessaire. D’autres individus n’avaient aucun passé délinquant », précise Romain Sèze.
Les exemples sont nombreux. Nacer, l’un des djihadistes interrogés, présente « un parcours scolaire banal à l’ombre d’une enfance sans histoire ». « Il dit n’avoir jamais été délinquant, car l’autoritarisme et la présence permanente de son père l’en auraient prémuni », explicite le rapport. Élie, lui, affirme qu’il a eu une « trajectoire scolaire classique sans embrouille », tout comme Bassil, qui a été un élève « studieux et méthodique ».
Une volonté de rupture avec l’histoire familiale
« Une majorité de djihadistes a pu connaître des parcours familiaux dysfonctionnels et déstructurés assez marqués (…), trouvant dans le djihadisme une forme de rédemption, d’adhésion à une communauté protectrice et unie », poursuit le rapport.
Ibra, par exemple, a grandi sans son père et a subi les maltraitances de sa mère, avant d’être placé en foyer à l’âge de deux ans. Michel a connu un beau-père alcoolique, puis un autre délinquant, et sa famille a erré de foyer en foyer jusqu’à ses 11 ans. Larbi a timidement raconté aux chercheurs quelques épisodes de la violence exercée par son père, qu’il décrit comme un « grand buveur ».
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Pour les autres, la radicalisation apparaît très souvent « comme une volonté de rupture avec une famille jugée passive (…), trop soumise à la loi républicaine ». C’est le cas d’Abdel, qui accuse ses parents de n’avoir pensé « qu’à travailler », abandonnant la religion pour se plier aux injonctions de la société.
L’importance déterminante d’Internet
L’hypothèse était plutôt connue, et ce rapport le confirme : Internet joue un rôle crucial dans le processus de radicalisation. « C’est sur Internet qu’Ibra se renseigne sur les intellectuels du djihad (…) et lit leurs textes ». C’est également là que Nacer apprend les rituels de la prière et regarde des vidéos sur la souffrance du peuple syrien qui le convainquent de partir les soutenir.
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Mais il serait faux de croire à l’idée répandue d’un « djihadisme de chambre », où les « jeunes désœuvrés se bricolent seuls devant leur écran une cause artificielle », estiment les chercheurs. « On constate que beaucoup de ces jeunes sont partis sur des théâtres de combat et que cette expérience à l’étranger était formatrice dans l’engagement radical, car ils y intègrent des réseaux de djihadisme internationaux et évoluent dans la clandestinité », explique Romain Sèze.
Ce « djihadisme de terrain » s’incarne en Ghassan et son voyage au Pakistan, en Ibra, parti au Yémen, ou en Élie qui a rejoint le Yémen, la Mauritanie, l’Arabie saoudite puis la Syrie.
Un discours politique « construit »
« La rhétorique politique que ces jeunes ont construite nous a interpellés : elle était plus importante que la rhétorique religieuse, qui est pourtant très souvent présente », s’étonne Romain Sèze. L’exemple le plus frappant est sans doute celui d’Élie. Les chercheurs estiment qu’il a développé « un raisonnement politique qui sera au cœur de son engagement pour le djihad ».
Cependant, le docteur en sociologie de l’EHESS et spécialiste de l’islam contemporain veut relativiser ce constat. « J’ai le sentiment que ces processus de radicalisation sont fortement intellectualisés sur le tard : l’arrestation ou la détention sont le moment d’un retour sur soi, d’une introspection et d’une intellectualisation de leur radicalisation », avance-t-il.
source :
Mégane De Amorim, le 11/08/2017 à 16h17
Mis à jour le 11/08/2017 à 18h33