Un décret paru mardi permet le croisement de données médicales avec un fichier police. La mesure est critiquée par nombre de médecins psychiatres.
Comment mieux repérer les «déséquilibrés radicalisés»? Le sujet est des plus polémiques depuis près de deux ans. Et la publication, mardi, d’un nouveau décret au Journal officiel marque une nouvelle étape. Le texte autorise un croisement, pour les noms, prénoms et dates de naissance, entre le Fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) – qui comptait début avril 20.904 individus inscrits, dont 11.152 fiches «actives» – et le fichier médical des personnes faisant l’objet de «soins psychiatriques sans consentement».
Si un individu du second fichier se trouvait également dans le FSPRT, le décret prévoit qu’en soit averti le représentant de l’État dans le département en question (le préfet ou le préfet de police de Paris). Pour les services de l’État, c’est une nécessité pour repérer des individus qui sont à la fois des personnes souffrant de réels troubles psychiatriques et qui, dans le même temps, trahissent un comportement radicalisé visible lors de crises mais aussi au moment où les patients sont «stabilisés» par leur traitement. La mesure est en revanche critiquée par nombre de médecins psychiatres.
L’affaire de la tour Eiffel
Le débat a été lancé à l’été 2017 par l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. Épisode oublié, le 5 août 2017, le pire était évité à la tour Eiffel. Un homme de 18 ans, ayant grandi en Mauritanie et arrivé en France en 2010, bouscule un agent de sécurité à un portique. Armé d’un couteau et hurlant «Allah Akbar!», il est finalement désarmé par des soldats de «Sentinelle». Au cœur d’un été marqué par les attentats de Barcelone et par une attaque terroriste contre des militaires à Levallois-Perret, l’affaire de la tour Eiffel va éclairer le problème des malades mentaux radicalisés et pouvant passer à l’acte.
L’agresseur est en effet un schizophrène reconnu, il sera d’ailleurs reconnu irresponsable. Hospitalisé, il était en permission de sortie en ce 5 août, signe que les médecins l’estimaient plutôt «stabilisé» par son traitement. Son passé est éclairant: en 2013, il menace d’un couteau deux «mécréants» à Paris. Hospitalisé d’office en 2014, il profite d’une permission pour braquer une supérette à l’arme blanche puis, en juin 2015, pour tenter de s’emparer de l’arme d’un militaire à la tour Eiffel. Suivront d’autres agressions de patients «mécréants» avant l’attaque du 5 août 2017.
Le 18 août de la même année, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, explique vouloir, avec le ministère de la Santé, «mobiliser l’ensemble des hôpitaux psychiatriques et les psychiatres libéraux», «pour identifier les profils qui peuvent passer à l’acte». Il estime qu’environ «un tiers» des radicalisés islamistes souffre de «troubles psychologiques». À l’époque, l’Ordre des médecins avait souligné «la nécessité absolue de préserver les principes fondamentaux de l’exercice professionnel, en particulier celui du secret médical». Deux ans plus tard, et au-delà des polémiques, les liens entre les préfectures et les établissements psychiatriques se sont de facto déjà resserrés. Dans le souci d’éviter un passage à l’acte.
Cet article est publié dans l’édition du Figaro du 08/05/2019. Accédez à sa version PDF en cliquant ici