Le combat de celles et ceux dont les parents sont tombés dans les griffes de QAnon, mouvement sectaire d’extrême droite né aux Etats-Unis et qui a pris de l’ampleur pendant le mandat de Donald Trump.
Le jeune homme de 19 ans a commencé à détecter des changements dans le comportement de sa mère au début de la pandémie de coronavirus. Celle-ci a toujours été de nature anxieuse: elle a complètement cessé de prendre l’avion après les attentats du 11 septembre et a toujours gardé un œil vigilant sur Sam et ses deux jeunes frères et sœurs. Mais au cours de la crise Covid-19, la paranoïa quelque peu excentrique de sa mère s’est brusquement métamorphosée en folie. Il reconnaît à peine la personne qu’elle est devenue.
Elle qui ne s’était jamais intéressée à la politique soupçonne désormais le président d’être un pédophile voleur d’élections. Elle est très préoccupée par les radiations des tours 5G dans son quartier, et a confié à son fils qu’elle redoutait d’être blessée par les manifestants de Black Lives Matter, un mouvement qu’elle soutenait pourtant autrefois. Elle craint que le frère et la sœur de Sam soient “endoctrinés” dans leur lycée public et souhaite les transférer dans un lycée catholique. Elle refuse également de faire vacciner ses enfants contre le Covid-19, car de fausses rumeurs selon lesquelles le vaccin contiendrait une micropuce secrète de géolocalisation circulent. (Au départ, elle était pourtant terrifiée par le virus, mais elle considère désormais que le confinement est une atteinte à sa liberté.)
“Elle n’a pas toujours été comme ça”, affirme Sam. “La situation ne fait qu’empirer.”
Sam est retourné vivre chez sa mère dans le Michigan, aux États-Unis, après la fermeture du campus de son université. Son père, divorcé de sa mère depuis de nombreuses années, venait de décéder. Sam était heureux de se retrouver en famille. Mais il a très vite remarqué que sa mère passait la majeure partie de son temps en ligne. Jusqu’à tard dans la nuit, elle scrutait Facebook et, plus tard, le réseau social Parler, absorbée par des articles de sites web obscurs et ultraconservateurs propageant des fake news. Elle envoyait régulièrement à Sam des publications appuyant des allégations politiques qui étaient manifestement fausses, et ils se disputaient farouchement le soir, à table, lorsqu’il essayait de les discréditer.
Sam découvrit que QAnon est un mouvement d’extrême droite fondé sur des théories du complot, et notamment l’idée que Donald Trump mène une guerre de l’ombre contre une cabale au sein de l’État profond composé d’élites libérales dirigeant le monde et un réseau mondial de trafics sexuels d’enfants. Les partisans de QAnon sont convaincus que le monde entier leur veut du mal: le gouvernement, les médias, et les grandes entreprises technologiques et pharmaceutiques. Personne se serait digne de confiance, à l’exception de Donald Trump et de “Q”, leur dirigeant anonyme sur Internet (qui est supposé être un membre infiltré du gouvernement) qui leur communique des informations codées par le biais du forum 8kun. Ils attendent avec impatience le jour prophétique du jugement, appelé “La Tempête”, au cours duquel tous les malfaiteurs seront rassemblés et exécutés.
Il est difficile d’accepter qu’une personne qui vous est chère puisse être à ce point déconnectée de la réalitéElaina, 28 ans
La mère de Sam a trouvé une communauté en ligne qui légitime sa peur et encourage sa colère. “C’est difficile. Je ne sais pas quoi faire”, confie-t-il. “J’ai l’impression de la perdre.”
Le jeune homme se sent souvent bien seul, mais il est très loin de l’être. Malgré le peu de données disponibles sur la question, les chercheurs pensent que QAnon a piégé des millions d’Américains et que le mouvement est particulièrement populaire parmi les baby-boomers, confrontés à un manque de culture numérique. Autrefois marginal, le mouvement a connu un essor fulgurant en 2020 en surfant sur la peur et la confusion suscitées par la pandémie et en exploitant les tensions politiques relatives à l’élection présidentielle et aux manifestations nationales pour la justice raciale. En déversant pendant des mois un déluge de propagande exploitant et exagérant les allégations mensongères de Donald Trump sur la fraude électorale, QAnon a fortement encouragé l’insurrection meurtrière au Capitole des États-Unis le 6 janvier 2021.
La crise de désinformation d’une ampleur inédite qui s’en est suivie a entraîné dans son sillage de nombreuses familles tentant aveuglément d’arracher leurs proches aux griffes d’une secte.
Le HuffPost américain a rencontré neuf enfants d’adeptes de QAnon âgés de 19 à 46 ans dans sept Etats américains. Certains d’entre eux tentent désespérément de déradicaliser leurs parents. Ce processus éprouvant est très souvent frustrant, déchirant et vain. D’autres estiment que leurs parents ont déjà dépassé le point de non-retour et ont renoncé à les aider. Quelques-uns ont pris la douloureuse décision de couper totalement les ponts avec leurs parents afin de préserver leur propre santé mentale. (Sauf indication contraire, les personnes mentionnées dans cet article sont identifiées sous un pseudonyme afin de protéger la vie privée de leur famille.) Tous partagent leur histoire pour soutenir les nombreuses autres personnes confrontées au même drame en coulisses.
“C’est insupportable de voir ça”
Elaina est une graphiste de 28 ans, originaire du Missouri. L’obsession de sa mère pour QAnon affecte sa vie de façon potentiellement irréversible. Elle croule sous les dettes, persuadée que celles-ci seront bientôt effacées grâce à un nouveau système financier appelé NESARA. Cette théorie bidon, relancée par QAnon, trouve son origine dans un ensemble de réformes économiques proposées dans les années 90, mais qui n’ont jamais été présentées au Congrès. Lorsqu’Elaina et son mari ont acheté une maison l’année dernière, sa mère leur a conseillé de ne pas rembourser leur crédit immobilier.
“C’est tellement ridicule que j’ai du mal à en parler”, s’étrangle Elaina. “Il est difficile d’accepter qu’une personne qui vous est chère puisse être à ce point déconnectée de la réalité.“
QAnon a pris la mère d’Elaina dans ses filets il y a trois ans, peu de temps après la première publication de Q sur 4chan, le prédécesseur de 8kun, à la fin de l’année 2017. Ce qui était au départ une simple curiosité s’est transformé une véritable addiction. Sa mère passe chaque jour des heures sur YouTube et BitChute à regarder des vidéos consacrées à différents sujets et notamment aux mutilations d’enfants qui seraient perpétrées par l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton. Cette dernière consommerait leur sang, qui contiendrait une drogue appelée adrénochrome. Cette théorie à laquelle sa mère adhère est connue sous le nom de “Frazzledrip”.
“C’est dingue de dire ça à haute voix, mais elle m’a déjà dit que si je ne croyais pas en ces trucs-là, je n’allais pas m’‘élever’ ou faire partie du prochain monde”, confie Elaina, qui a choisi de témoigner sous son vrai prénom. Ses tentatives de remise en cause des allégations de sa mère n’ont fait que repousser cette dernière.
“Ce serait comme essayer de convaincre quelqu’un que sa religion n’est pas la bonne.”
Elaina a du mal à trouver les mots pour exprimer la douleur qu’elle ressent en assistant de ses propres yeux à la perdition de la femme qui l’a élevée. Elle ne comprend pas comment sa propre mère peut croire à ces folles théories du complot dont tous ses amis se moquent sur Internet. Pour celles et ceux qui sont dans sa situation, il s’agit souvent de l’aspect plus difficile à accepter: comment une personne aussi proche, et surtout un parent, peut-elle croire à quelque chose d’aussi ridicule?
Ma mère est une personne merveilleuse et très généreuse. Ou du moins, elle l’était. [QAnon] a pris le contrôle de sa vieKara, 46 ans
Mais QAnon ne recrute pas de nouveaux adeptes uniquement avec des histoires de cannibales satanistes. Ses partisans sont conditionnés à penser que leurs droits sont bafoués: la Silicon Valley les réduit au silence, la presse leur ment, les démocrates les trompent. Ils se doivent d’agir. Ce sentiment de préjudice majeur est fréquent parmi les sympathisants de Donald Trump. Cependant, pour les personnes comme la mère d’Elaina, il est plus facile d’imaginer que ces événements sont liés à un vaste complot dissimulant des agissements bien plus horribles.
Et rien ne saurait être plus macabre que les atrocités perpétrées sur des enfants par l’”État profond”, comme le prétend QAnon. Ces fausses histoires de jeunes enfants victimes des pires atrocités imaginables jouent sur l’instinct parental de nombreux adeptes de QAnon.
″[Ma mère] répète toujours: ‘À chaque fois que je pense à ce qui arrive à ces enfants, ça me rend malade’”, déclare Elaina. “C’est dingue, mais elle y croit vraiment!”
Sa mère était scandalisée par le pseudo-vol de l’élection présidentielle par Joe Biden en novembre. Elle attendait avec impatience les représailles, qui étaient censées survenir le jour de son investiture. Q lui avait laissé croire, à elle et à tant d’autres, que Donald Trump proclamerait la loi martiale, et que les forces armées interviendraient afin de chasser Joe Biden et ses acolytes avant qu’il ne prête serment.
La mère d’Elaina, comme tant d’autres adeptes, s’est effondrée lorsqu’elle a constaté que rien de tout cela n’était arrivé. Une fois de plus, “La Tempête”, aussi appelée “Le Grand Réveil”, n’avait pas eu lieu. Elaina espérait timidement que, cette fois-ci peut-être, sa mère réaliserait que QAnon n’était qu’une supercherie. Mais, comme toujours, les membres de la communauté QAnon ont rapidement trouvé une explication permettant de maintenir leur illusion collective: d’après les explications avancées plus tard par la mère d’Elaina, le journal télévisé qui diffusait la cérémonie d’investiture de Joe Biden ne serait rien d’autre qu’une vidéo préenregistrée par l’État profond pour faire croire au public que le nouveau président était réellement au pouvoir.
″Ça me rend tellement triste”, confie Elaina. “Honnêtement, je pense que la seule raison pour laquelle je parle encore à ma mère, c’est parce que je me suis convaincue que je peux l’aider.”
Dans les semaines qui ont suivi l’investiture présidentielle, les partisans de QAnon sont devenus la risée du pays. Même les animateurs de talk-shows nocturnes ont pris un malin plaisir à les tourner en ridicule. Mais pour leurs proches, QAnon n’est pas un sujet de plaisanterie. Ceux-ci souhaiteraient que la détresse engendrée par le mouvement dans les foyers américains soit mieux comprise.
Kara a 46 ans et est une travailleuse de la santé dans la région du Midwest. Elle raconte qu’au départ, sa mère est entrée progressivement dans le mouvement QAnon, mais que le processus s’est accéléré après son départ à la retraite. Désormais, la situation est totalement incontrôlable.
“Ma mère est une personne merveilleuse et très généreuse. Ou du moins, elle l’était”, affirme Kara. ”Ça a pris le contrôle de sa vie.”
“Le stress qu’elle éprouve lorsqu’elle pense qu’un événement important va se produire est incommensurable. On dirait qu’elle a vu un fantôme”, déclare Kara. “Ce mouvement lui a volé des années de sa vie.“
Pour Kara, il est terrible de voir sa mère dans un tel état. Elle se sent bien souvent impuissante, particulièrement en période de pandémie, car ses visites chez sa mère sont moins fréquentes. Elle culpabilise et se demande si elle en fait suffisamment pour l’aider, ou si elle aurait pu empêcher sa mère de sombrer. QAnon gagne en visibilité auprès des Américains et Kara souffre également des représentations peu flatteuses qui sont faites des partisans du mouvement et qui suggèrent que seules les personnes stupides ou peu instruites sont susceptibles de croire à ces théories du complot. Au cours d’une récente interview accordée au magazine Politico, le représentant démocrate de l’État de New York Sean Maloney a notamment déclaré à propos du parti républicain: “Il peut courtiser les adeptes de QAnon ou bien les électeurs diplômés de l’enseignement supérieur. Les deux sont incompatibles.”
La peur et la confusion sont les principaux moteurs de la pensée conspiratrice. Il s’agit d’une des principales raisons pour lesquelles la popularité de QAnon est montée en flèche au début de la pandémie: un grand nombre de personnes affolées cherchaient désespérément des réponses sur le coronavirus et les autorités compétentes ne pouvaient pas leur donner immédiatement. QAnon a rapidement élaboré sa propre version déformée des événements, renforçant tactiquement la peur des gens tout en semant la suspicion à l’égard de sources d’information fiables. (QAnon est également une destination privilégiée des tenants de la suprématie blanche, dont le racisme ne peut être expliqué par le manque d’éducation.)
Les raisons de détester Trump sont légion. Mais pour moi, la raison la plus importante et la plus personnelle, c’est qu’il m’a enlevé mes parentsSabrina, 19 ans
La mère de Kara était particulièrement vulnérable après le décès de sa propre mère et de sa sœur. Elle a découvert QAnon dans une période difficile, alors qu’elle était en quête d’une distraction.
“L’éclatement de sa cellule familiale l’a poussée à chercher un nouveau cercle social”, explique Kara. Les membres des groupes QAnon sur les médias sociaux ont adopté sa mère avec enthousiasme.
Kara et ses frères et sœurs ont été abasourdis lorsque sa mère a commencé à tenir un discours conspirationniste plus extrême. Ils ignoraient à l’époque ce qu’était QAnon et ne pouvaient pas expliquer de manière rationnelle la raison pour laquelle leur mère en était venue à croire que le pape était un hologramme et que des reptiliens rôdaient sur Terre. Ils ont sérieusement envisagé de la faire interner dans un hôpital psychiatrique. Mais Kara est ensuite tombée par hasard sur une publication Reddit consacrée au mouvement QAnon.
“Je me suis dit: ”‘Mon Dieu, c’est exactement tout ce auquel elle croit!’”, déclare Kara. “J’avais l’impression de ne plus être seule. Je me suis demandé: ‘Existe-t-il un groupe de soutien? Quelqu’un peut-il l’aider à s’en sortir?’”
À ce jour, Kara n’a pas trouvé la solution. Ses tentatives d’éloigner sa mère de QAnon ont été tellement conflictuelles que sa mère l’a menacée de la retirer de son testament.
“En général, lorsque j’ose lui dire quelque chose, cela se termine par une dispute. Je pense que pour elle, le fait qu’elle soit le parent et moi l’enfant lui donne l’avantage”, explique Kara. “J’ai l’impression de me heurter à un mur.”
Certains de ses frères et sœurs sont désormais trop contrariés pour parler à leur mère, mais Kara garde l’espoir d’une issue favorable. Lorsque sa mère lui a envoyé une nouvelle vidéo de QAnon il y a quelque temps, Kara, exaspérée, lui a répondu avec un mème qu’elle avait trouvé sur Internet. Il s’agit d’une parodie de hotline “1-800-QUIT-Q-CULT” invitant les partisans radicaux de QAnon à renouer avec leur famille.
Une absence de soutien
Il n’existe malheureusement aucune hotline ou méthode magique pour déconditionner les adeptes de QAnon. Aucune ressource n’existe malgré la popularité exponentielle de QAnon et les injonctions pressantes des experts en matière de prévention de l’extrémisme invitant le gouvernement à soutenir des initiatives de déradicalisation. Les personnes rencontrées par Le HuffPost américain ont décrit un sentiment de solitude totale lorsqu’elles parcouraient le web à la recherche de stratégies pour aider leurs parents.
Mais jusqu’à présent, aucune d’entre elles n’a fonctionné.
Lorsque les parents de Sabrina ont commencé à évoquer les théories du complot de QAnon au printemps dernier, la jeune femme de 19 ans pensait alors que la meilleure stratégie à adopter était de leur prouver qu’il s’agissait de fake news. Ainsi, à chaque fois que ses parents lui envoyaient des liens vers des sources affirmant que des militants antifascistes s’infiltraient pour provoquer des émeutes ou que le coronavirus était “le plus grand canular depuis le 11 septembre”, elle leur expliquait pourquoi ce n’était pas vrai. Cela s’est retourné contre elle: leurs conversations se transformaient presque à chaque fois en de violentes disputes à deux contre un.
Sabrina a quitté l’école et a dormi pendant plusieurs mois dans sa voiture sur le parking d’un supermarché Walmart et chez des amis, avant de trouver un endroit où elle pouvait rester à long terme. Elle n’a eu aucune nouvelle de ses parents depuis qu’elle est partie: aucun appel pour son anniversaire ni carte de Noël.
“Ils m’ont fait beaucoup de mal”, confie-t-elle. “J’ai l’impression d’avoir perdu mes parents.”
Comme la plupart des autres personnes qui témoignent dans cet article, Sabrina pense que ses parents ont été entraînés vers QAnon par une spirale de mensonges et de propagande d’extrême droite alimentée par les personnalités de Fox News, les algorithmes agressifs des médias sociaux et Donald Trump. L’ex-président américain est hissé au rang de divinité dans l’univers de QAnon et a de maintes fois repris les théories du complot QAnon qui corroboraient son programme politique.
“Tout ce que Fox News et Trump disaient était parole d’évangile”, affirme Sabrina. “Les raisons de détester Trump sont légion. Mais pour moi, la raison la plus importante et la plus personnelle, c’est qu’il m’a enlevé mes parents.“
Au début, Sabrina pensait que la séparation avec ses parents serait temporaire. Elle a donc passé son temps à chercher des ressources qui pourraient l’aider à les détourner de QAnon une fois de retour chez elle. Mais en janvier, après plus de six mois de séparation, elle a perdu tout espoir et a décidé de réorienter ses efforts vers la recherche d’un réseau de soutien. Elle a trouvé r/QanonCasualities, une communauté Reddit au sein de laquelle les amis, les conjoints et les parents des adeptes de QAnon se réunissent pour vider leur sac et partager leur souffrance.
Créé en juillet 2019, ce subreddit ne comptait que quelques centaines d’abonnés au début de la pandémie l’année dernière. Depuis, le nombre de membres a explosé et atteint désormais 128.000 abonnés. La popularité soudaine de la page au cours des derniers mois reflète le rythme de la vague de radicalisation massive de QAnon et donne une idée du nombre de personnes dans la même situation que Sabrina, qui ont désespérément besoin d’aide. Parmi les publications récentes: “Q m’a volé mon père”; “J’ai perdu ma mère à cause de QAnon”; “L’homme qui m’a élevé me manque”.
Sabrina trouve un certain réconfort à lire les témoignages de personnes partageant la même expérience qu’elle sur le subreddit r/QanonCasualties. Les amis auxquels elle se confiait, qui n’étaient pas personnellement touchés par QAnon, étaient compatissants, mais ne comprenaient pas ce qu’elle vivait. Ce subreddit l’a également aidée à envisager l’idée que renoncer à ses parents serait peut-être le seul moyen de guérir de la douleur qu’ils lui ont infligée.
“S’ils passent le reste de leur vie à croire ces trucs, je ne suis pas sûre de vouloir qu’ils fassent à nouveau partie de ma vie”, déclare-t-elle. “Leurs croyances affectent directement la façon dont ils agissent à mon égard. Je ne voudrais pas qu’ils côtoient mes enfants ou qu’ils soient présents à mon mariage.“
QAnon prend une place de plus en plus importante dans la politique américaine et monopolise les gros titres et les ondes. Les journalistes mettent en lumière certaines questions importantes et notamment celle de la complicité des grandes entreprises technologiques et du Parti républicain dans l’ascension insidieuse du mouvement. Mais les voix de personnes telles que Sabrina et Amanda, qui souffrent chaque jour des ravages de QAnon et se sentent abandonnées à leur sort, sont largement absentes de la couverture médiatique.
Amanda a 26 ans et est aide-soignante à domicile. Elle s’occupe de personnes âgées dans le New Jersey et tente elle aussi de faire face, par ses propres moyens, à la radicalisation de sa mère. Celle-ci a toujours été une conservatrice indéfectible et une fervente partisane de Donald Trump. Elle a même été bannie de Facebook et d’Instagram après avoir publié à plusieurs reprises des mèmes racistes et islamophobes. En décembre, elle a rejoint Parler, où la communauté QAnon l’attendait de pied ferme.
″Ça s’est emparé d’elle à une vitesse folle”, déclare Amanda, qui témoigne sous son vrai prénom. Les vidéos de QAnon “sont désormais la seule chose qu’elle regarde, toute la journée”.
À l’approche de l’investiture de Joe Biden, la mère d’Amanda, convaincue que “Le Grand Réveil” provoquerait une panne de courant nationale et que les forces armées arrêteraient Joe Biden et d’autres membres de l’État profond sur ordre de Donald Trump, a dépensé des centaines de dollars pour acheter des boîtes de conserve, une radio FM, des lampes de poche et de l’essence pour le groupe électrogène de la famille.
Ne sachant pas exactement que faire d’autre, Amanda s’est mise à rechercher sur Google des conseils qui lui permettraient d’aider sa mère à se sortir de cette situation avant que les choses n’empirent. Son inquiétude a viré à la panique lorsqu’elle a compris que sa mère prévoyait d’empêcher son mari, le père d’Amanda, de se faire vacciner contre le coronavirus parce qu’elle adhérait à la théorie du complot de QAnon selon laquelle le vaccin contiendrait une micropuce de géolocalisation.
Le père d’Amanda est sous chimiothérapie pour traiter une leucémie et un cancer de l’estomac et de l’appendice ; s’il contracte le coronavirus, il a peu de chances d’y survivre.
“Il faut qu’elle arrête avec ces fichues conspirations et qu’elle laisse mon père se faire vacciner!”, s’exclame-t-elle. “Cette affaire a pris très rapidement une tournure dangereuse. Que suis-je censée faire?”
Dieu, la pseudoscience et l’émergence des “QAmom”
Malgré l’essor fulgurant de QAnon, de nombreuses données demeurent inconnues. Les données démographiques de ses adhérents sont peu fiables, mais ces informations sont pourtant nécessaires pour faire face à la menace que représente le mouvement. Les analyses de chercheurs et de journalistes indépendants suggèrent que QAnon exerce une influence considérable auprès des baby-boomers, des chrétiens et des communautés intéressées par les médecines alternatives. La désinformation omniprésente sur les abus infligés aux enfants est particulièrement efficace pour attirer les mères dans le mouvement, un phénomène qui a donné naissance au terme “QAmom”.
La mère d’Eric avait voté pour Barack Obama avant de devenir une sympathisante de Donald Trump. Son intérêt pour les remèdes naturels et les méthodes pour s’enrichir rapidement l’ont orientée vers QAnon. Dans son enfance, la maison d’Eric dans l’Ohio était envahie par la collection d’huiles essentielles de sa mère, qui ne cessait de s’agrandir. Sa mère se querellait parfois avec des professionnels de santé sur la meilleure façon de soigner certaines affections, convaincue qu’elle en savait davantage. Lorsqu’un carcinome à cellules rénales, une forme de cancer du rein, a été diagnostiqué chez Eric il y a quelques années, sa mère lui a conseillé de suivre des traitements de médecine alternative plutôt que de consulter un oncologue. (Il a ignoré son conseil. Les médecins lui ont retiré la partie cancéreuse de son rein et il est toujours en rémission).
Nous avons atteint le stade où mon père doit comprendre que c’est soit [QAnon], soit nous.Larry, 22 ans
Sa mère a également été victime d’escroqueries financières. Après avoir participé à quelques opérations de marketing de réseau pour des sociétés de vente directe connues pour avoir escroqué leurs propres distributeurs par le biais de systèmes de vente pyramidale, elle et son mari, le beau-père d’Eric, ont fait partie des nombreuses personnes dupées par une fraude massive liée à la réévaluation anticipée du dinar irakien. L’arnaque au dinar existe depuis au moins l’année 2012, mais lorsque Donald Trump a vaguement déclaré en 2017 que toutes les monnaies seraient bientôt “sur un pied d’égalité”, une nouvelle vague d’engouement s’est emparée des conspirationnistes qui ont dilapidé leurs économies dans cette devise, selon The Daily Beast. (Le dinar a une valeur d’environ 0,00068 $ sans aucune perspective sérieuse de surpasser la valeur du dollar américain.)
L’homme qui a vendu des dinars à la mère et au beau-père d’Eric purge actuellement une peine de sept ans de prison pour son implication dans cette escroquerie tentaculaire, qui aura coûté 24 millions de dollars aux investisseurs. Eric, un ingénieur de 39 ans, ignore le montant que ses parents ont perdu dans cette affaire. Il s’inquiète depuis longtemps de la tendance de sa mère à croire aveuglément aux informations fausses et sensationnelles, qu’il s’agisse d’huile de serpent ou d’escroquerie, mais aussi de désinformation politique.
Il était préoccupé en 2016 lorsqu’elle s’était laissée séduire par la théorie du complot du Pizzagate et a commencé à proférer des allégations fantaisistes et infondées sur Hillary Clinton. Mais ce n’est qu’à partir de Noël 2018 qu’il a pris conscience de la gravité du problème. Il a alors remarqué le langage étrange sur la carte de vœux que sa mère lui avait envoyée. “Fais confiance au Plan”, écrivait-elle entre deux flocons de neige imprimés, avant de remercier “tous les patriotes” pour la protection de “nos libertés”. En bas de la carte, en grosses lettres bleues sous deux versets de la Bible, se trouvait le terme “WWG1WGA”.
Eric a immédiatement reconnu l’acronyme de “Where We Go One We Go All” (”Où l’un va, nous allons tous”), le slogan de QAnon, cette théorie du complot d’extrême droite dont il commençait à entendre parler sur Internet. Il a immédiatement alerté ses frères et sœurs de l’intérêt manifeste de leur mère pour ce mouvement, mais aucun d’entre eux n’aurait pu prédire la vitesse à laquelle celui-ci la détruirait.
“Quand je l’ai vue emprunter cette voie, j’ai plongé la tête première dans l’univers de QAnon parce que j’avais besoin de comprendre”, explique Eric. “Je voulais prendre de l’avance.“
Il commença à parcourir les forums de discussion et à consulter les podcasts et les articles de presse relatifs à QAnon tout en essayant de comprendre l’attirance de sa mère pour une chose qui semblait manifestement absurde. Après des mois de recherche, il a finalement découvert qu’elle avait le profil type de nombreuses personnes tombées dans les griffes de QAnon: elle baignait dans l’univers des médecines alternatives infesté de charlatans, éprouvait une grande méfiance à l’égard des spécialistes médicaux et de la société en général, et faisait partie d’une génération très vulnérable aux fake news sur Internet. Eric regrette de ne pas avoir su détecter plus tôt ces symptômes et espère qu’il n’est pas trop tard pour ramener sa mère à la réalité.
À des centaines de kilomètres de là, dans le Colorado, vit Kat, une femme de 42 ans qui témoigne sous son vrai prénom. Kat éprouve la même crainte à l’égard de sa mère. Le premier indice manifeste de la radicalisation de sa mère, que Kat a remarqué il y a environ un an, est l’autocollant “Q” collé sur son téléphone portable. C’est à peu près à cette époque que sa mère a commencé à avancer des accusations infondées de pédophilie à l’encontre de certains démocrates. Une de ses sœurs est également très impliquée dans le mouvement QAnon, mais pour Kat, assister à la radicalisation d’un de ses parents est particulièrement douloureux.
Sa mère est une femme gentille et calme qui ne s’intéresse ni aux huiles essentielles ni aux médecines alternatives. Kat pense qu’elle a emprunté une autre voie d’accès à QAnon: la religion. Kat a été élevée dans une famille adventiste du septième jour “ultra-conservatrice” qui écoutait chaque jour l’émission de Rush Limbaugh, un animateur de radio conservateur, et au sein de laquelle elle a suivi un enseignement à domicile jusqu’à l’âge de 14 ans. Sa mère est devenue encore plus religieuse après avoir épousé le beau-père de Kat, un fanatique d’armes à feu militant qui lui faisait écouter l’animateur de radio complotiste Alex Jones et d’autres grands pontes du conspirationnisme.
Pour Kat, qui a délaissé la religion après être partie de chez ses parents il y a de nombreuses années, la nouvelle foi de sa mère en QAnon semble, d’une certaine manière, très familière.
“Donald Trump joue le rôle du sauveur”, explique Kat, qui craint que la foi de sa mère en QAnon, comme sa foi en Dieu, ne soit inébranlable. Sa mère et sa sœur étaient toutes les deux intimement persuadées que Donald Trump contrecarrerait l’investiture de Joe Biden. Elles prient désormais pour qu’un nouveau miracle se produise. “J’ai l’impression qu’elles attendent que leur Dieu vienne les sauver.“
Colère et solitude
Les partisans de QAnon sont unis par un sentiment collectif de victimisation. Leur croyance illusoire que l’État profond les a privés de la victoire électorale de Donald Trump en novembre a été pour de nombreux sympathisants la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, les poussant à l’émeute au Capitole des États-Unis le 6 janvier dernier tandis que le reste de la communauté QAnon les encourageait en ligne. Cette rage partagée et moralisatrice est bien souvent effrayante pour les proches, qui ne peuvent pas comprendre cette colère vis-à-vis de problèmes qui n’existent pas en réalité: une élection volée, un vaccin de géolocalisation, une fausse pandémie.
L’été dernier, ce sont les manifestations nationales de Black Lives Matter qui ont poussé à bout le père de Larry, sympathisant de longue date de Donald Trump et nouvel adepte de QAnon.
“Mon père disait que George Floyd était un toxicomane et un criminel, et qu’il méritait ce qui lui était arrivé”, se souvient Larry. Selon son père, les médias ont délibérément exagéré les incidents de violence policière dans le but d’abolir le système de police américain.
Quand ça arrive à votre mère, vous avez envie de la secouer et lui crier: “Arrête ton délire!”.Daniel, 35 ans
Larry est un étudiant de 22 ans vivant dans le Michigan. Il témoigne sous son vrai prénom. Selon lui, son père a toujours été un raciste invétéré. Mais ses propos haineux se sont amplifiés après l’élection de Donald Trump, et au cours des six derniers mois, le phénomène a pris une tournure explosive.
“Nous ne parlons plus beaucoup”, explique Larry. “Quand je suis devant la télé avec lui, je me dis: ‘Pitié, j’espère qu’aucune publicité politique ne va passer! Pourvu qu’on puisse juste regarder ce match de basket calmement et qu’aucun joueur ne mette le genou à terre [pendant l’hymne en signe de protestation contre les violences policières], sinon il va piquer une crise!’. Jour après jour, il est de plus en plus difficile de passer du temps avec lui.”
L’investiture de Joe Biden a été un événement traumatisant dans la famille de Larry. Il était absent, mais il a appris plus tard que son père est devenu fou furieux. Il s’en est pris à sa mère et à sa sœur, émues de voir Kamala Harris devenir la première femme vice-présidente du pays, et leur a crié qu’elles étaient des “libérales stupides” et “complètement connes.” Elles ont fini par quitter la maison.
“La conspiration QAnon fait disparaître peu à peu la réalité politique dans l’esprit de mon père”, explique Larry. “Voilà l’homme que j’étais censé respecter toute ma vie.”
“Mon père trouvait ça génial”, déplore Larry. “Il a affirmé qu’il soutenait totalement ces individus et qu’il regrettait qu’ils ne l’aient pas kidnappée et tuée. C’était très difficile à entendre.”
Larry pense que QAnon a attisé chez son père une colère violente qu’il soupçonne d’être enfouie depuis un certain temps. Il ignore jusqu’où cette colère peut aller, mais il sait qu’il ne veut pas être là pour le découvrir.
“Nous avons atteint le stade où mon père doit comprendre que c’est soit ça, soit nous. Il ne réalise pas à quel point son comportement odieux repousse sa famille”, déclare Larry. “Le plus ironique, c’est que même si nous quittons tous la maison et que nous coupons les ponts avec lui, ses convictions s’en seront que renforcées.”
Eric, l’ingénieur de 39 ans originaire de l’Ohio, a déjà atteint le point de rupture avec sa mère. Lorsqu’il a décelé son engouement pour QAnon, elle était déjà complètement obsédée par le mouvement et avait déjà bien intégré ses théories les plus extrêmes, dont celle du Frazzledrip. Ses conversations avec elle se sont progressivement transformées en joutes verbales qui ont rapidement pris une tournure personnelle et desquelles Eric et sa mère n’en sont sortis que blessés et pleins de ressentiment. Ils ne se parlent presque plus depuis plus d’un an, en partie parce qu’Eric et sa femme souhaitent protéger leurs propres enfants de ses croyances “délirantes”. “Elle s’est isolée”, explique-t-il. “Elle n’a aucune relation avec mes enfants ou moi.”
Eric a suivi une psychothérapie pendant plusieurs mois pour évoquer ses problèmes avec sa mère et les perspectives de réconciliation. Cependant, il ne sait plus s’il souhaite vraiment qu’elle revienne dans sa vie compte tenu des récents événements. Sa mère, convaincue que la pandémie relève du canular et refusant de porter un masque, a manifesté des symptômes du coronavirus à la fin de l’année dernière, mais a refusé de se faire tester. Elle s’occupait de sa propre mère, la grand-mère d’Eric, âgée de 85 ans, qui a contracté le virus et est décédée juste après Noël.
Il l’a revue pour la première fois depuis bien longtemps en janvier aux funérailles, qui coïncidaient avec l’insurrection au Capitole des États-Unis. Elle est venue vêtue d’un masque en résille ajouré en guise de message politique. Sa famille était choquée.
“Je ne sais pas si notre relation pourra guérir compte tenu de la colère que j’éprouve, surtout depuis les funérailles. C’était une vraie claque”, déclare Eric. “Je suis convaincu que si nous n’étions pas réunis ce jour-là pour enterrer ma grand-mère, elle aurait été à Washington pour prendre d’assaut le Capitole.”
Une bataille perdue d’avance
QAnon parvient habilement à légitimer l’absurde en étiolant progressivement la confiance de ses adeptes vis-à-vis des sources fiables. Inlassablement, le mouvement renforce avec sa propagande l’idée que les journalistes, les fact-checkers, les scientifiques et même Google font partie de l’État profond et ne sont donc pas dignes de confiance. Ceux qui n’adhèrent pas au système de croyance de QAnon, dont les amis et les membres de la famille des croyants, sont décrits comme des “moutons” endoctrinés ou lobotomisés par les grands médias, qui ne sont pas encore ”éveillés” à la réalité.
Les partisans de QAnon étant conditionnés à interpréter l’opposition comme une validation, toute tentative de discréditer leurs croyances ne fera bien souvent que les encourager à s’enfoncer encore davantage dans le mouvement. De nombreuses personnes, comme la mère de Daniel, ont investi tellement de temps et d’énergie dans le mouvement QAnon et se sont tellement éloignées de leurs proches qu’il leur semble désormais impossible de renoncer à leurs croyances.
“C’est déchirant”, confie Daniel, un homme de 35 ans travaillant dans le secteur des technologies en Californie. Il considère que QAnon est une secte et que sa mère ne pourra probablement pas être sauvée. “Il est en général pratiquement impossible de soustraire les gens aux sectes.”
Sa mère, qui a voté deux fois pour Barack Obama, a découvert QAnon au début de la présidence de Donald Trump. Depuis lors, le mouvement semble faire partie de son identité: ni les preuves ni l’inquiétude éprouvée par sa famille ne peuvent ébranler sa foi.
Daniel a tenté plusieurs approches pour aider sa mère. Il a d’abord essayé de lui démontrer que ses théories conspirationnistes étaient erronées en vérifiant les faits, sans succès. Il a ensuite décidé de prendre le temps d’écouter calmement et avec ouverture d’esprit les croyances de sa mère, en espérant, en vain, qu’elle pourrait ensuite faire de même.
“C’est assez sidérant de rester là à l’écouter. Je me disais: ‘Merde, tu crois vraiment à ces trucs!‘”, explique-t-il. “Quand ça arrive à votre mère, vous avez envie de la secouer et lui crier: “Arrête ton délire !’”
Daniel travaillait auparavant dans la sphère politique démocrate. Il y a quelques années, il a travaillé directement pour l’un des membres du Congrès contraint de se réfugier au sein du Capitole lorsque les émeutiers ont forcé l’entrée le 6 janvier dernier. Ce fut une journée difficile pour lui sur le plan émotionnel: il craignait pour la sécurité de son ancien patron et était tellement angoissé par l’insurrection qui se déroulait en direct à la télévision et dans les médias sociaux qu’il a pris son après-midi de congé.
Lorsqu’il a abordé le sujet avec sa mère quelques jours plus tard, celle-ci ne semblait guère préoccupée par les événements. Daniel avait du mal à y croire. Il a donc tenté une nouvelle approche: lui dire, en toute franchise, ce que son comportement lui faisait ressentir.
“Je t’aime”, a déclaré Daniel à sa mère, “mais avec ce flot de fake news dans lequel tu baignes, tu t’es créé une réalité qui n’existe pas, et ce faisant, tu t’éloignes de ta famille. Il est de plus en plus difficile pour nous de communiquer avec toi, car nous avons le sentiment que tu ne vis pas dans le même monde que nous, et c’est très angoissant pour nous”. La réponse de sa mère révèle à quel point QAnon a déformé sa vision du monde: “Oh, mon chéri”, lui a-t-elle répondu. “C’est exactement ce que je pense de toi.”
Des confrontations comme celle opposant Daniel à sa mère se produisent sans faire de vagues dans les ménages de tout le pays. Les enfants d’adeptes de QAnon font des pieds et des mains pour devenir de véritables experts autodidactes de la déradicalisation. Les rôles s’inversent et beaucoup d’entre eux cherchent désormais à apprendre à leurs parents à distinguer le bien du mal et le vrai du faux. Mais comme l’ont constaté celles et ceux qui se sont confiés au HuffPost américain, cette bataille est généralement perdue d’avance et leur donne le sentiment d’avoir perdu un parent dont ils ne peuvent pas faire le deuil.
Sam, le jeune étudiant du Michigan, n’a pas parlé à sa mère depuis des semaines. Ils se sont beaucoup disputés et il avait besoin d’espace. Il repense parfois à l’un de ses plus beaux souvenirs avec elle. C’était il y a quatre ou cinq ans. Elle l’avait emmené avec son frère et sa sœur faire du canoë dans le nord de l’État. Lui et sa mère ont partagé la même embarcation et se sont vite aperçus qu’ils étaient très mauvais à la barre. Ils n’arrêtaient pas de percuter le rivage et de s’éclabousser avec leurs pagaies, et riaient aux éclats en essayant de repousser des araignées. C’est ainsi qu’il aime se souvenir d’elle: drôle, aimante et heureuse. Mais les choses ont changé.
L’été dernier, quelques mois après la mort du père de Sam, ils sont retournés plus au nord pour faire du canoë. Cette fois-ci, sa mère était déjà enlisée dans les théories du complot de QAnon et d’autres formes de désinformation, et n’avait pas envie de parler de quoi que ce soit d’autre. Cette fois-là, Sam a embarqué seul sur un canoë pour éviter de rester près d’elle. Il avait compris que le seul moyen d’éviter les disputes était de garder ses distances.
Le fait de s’éloigner épisodiquement de sa mère permet à Sam de préserver son propre bien-être mental, mais elle finit toujours par lui manquer. Même s’il a souvent l’impression de la perdre, il n’a pas perdu espoir. Il espère toujours pouvoir la sauver.
https://www.huffingtonpost.fr/entry/qanon-a-radicalise-leurs-parents-ils-tentent-desesperement-de-les-en-sortir_fr_604237e1c5b660a0f387fdbdsource : L