Superstition :
L’intérêt des Français pour l’astrologie n’a cessé d’augmenter ces vingt dernières années. On la retrouve sur YouTube, sur Instagram et dans les magazines féminins, où elle se pare des atours de la thérapie ou du féminisme. Aujourd’hui, près d’une femme sur deux et de quatre jeunes sur dix disent y croire, selon un sondage de l’Ifop.
Vous avez la lune en Capricorne et ça vous rend irritable ? C’est en tout cas ce que vous indique votre horoscope du jour. Si ça vous préoccupe, rassurez-vous : vous n’êtes pas seul. Selon un sondage de l’Ifop intitulé « Les Français et les parasciences » et paru en novembre 2020, la part de Français croyant en l’astrologie s’élève à 40 %, soit 8 points de plus qu’il y a vingt ans.
Un chiffre qui peut surprendre, d’autant que la proportion est particulièrement forte chez les jeunes et chez les femmes – 46 % des sondées revendiquant y croire. Une certaine astrologie se présente désormais aujourd’hui comme un « outil d’émancipation féministe ». Suivant la tendance des « sorcières », les magazines féminins déroulent le tapis rouge à ces astrologues autoproclamées féministes. D’autres se revendiquent thérapeutes, faisant fi de la critique rationnelle d’une parascience que personne n’a jamais pu étayer.
MANQUE SPIRITUEL
Ce regain d’ésotérisme s’inscrit dans l’air du temps, particulièrement marqué par un besoin spirituel « que les religions traditionnelles ne peuvent plus combler » explique à Marianne Louise Jussian, qui a réalisé l’étude pour l’Ifop et Femme actuelle. « Les grandes religions monothéistes ne répondent plus du tout aux attentes des jeunes, qui sont aujourd’hui inclusifs, trop « woke » pour des cultes jugés conservateurs, sexistes ou homophobes notamment », analyse-t-elle.
Ces croyances, au premier rang desquelles l’astrologie, leur permettent donc de cultiver une dimension spirituelle tout en restant en adéquation avec les valeurs qu’ils défendent. Quant aux jeunes femmes, elles sont particulièrement ciblées par le marketing ésotérique et astrologique: « L’insécurité sociale semble être un facteur favorisant ces parasciences, note Louise Jussian. Les jeunes femmes ont souvent un besoin accru de réassurance car elles peuvent traverser plus de difficultés sociales. »
Rien d’étonnant, donc, à ce que les entretiens avec des pseudo-thérapeutes astrologues se multiplient dans les magazines féminins mais aussi généralistes. Début mars par exemple, l’Obs donnait notamment la parole à la fondatrice du podcast « Z comme Zodiaque », Mathilde Fachan, qui se revendique « astrologue féministe ». Sur d’autres sites Internet, comme celui du magazine Marie-Claire, on trouve l’interview d’une « astrothérapeute », Leah Philpott. Cette Franco-britannique se présente comme « psychologue et astrologue » et défend l’astrologie comme « une science qui a fait ses preuves par la précision de ses résultats, mais dont les sources exactes demeureront à jamais mystérieuses », peut-on lire sur son site internet. La professionnelle facture ses séances entre 180 et 350 euros.
AUCUN MÉCANISME PHYSIQUE EN JEU
Pour Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de Science et Parasciences, le magazine de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), « l’astrologue peut, bien sûr, avoir un certain sens de l’écoute, une dimension psychologique. Ce sont souvent des gens empathiques. » Mais à ce jour, la preuve scientifique de l’astrologie reste un serpent de mer. Car l’astrologie consiste en l’étude du ciel à la naissance d’une personne. De cette cartographie, l’astrologue entend tirer une suite de caractères et d’événements qui marqueront la vie de l’individu en question.« Sauf que le ciel des astrologues ne correspond à rien de ce qu’on connaît, ni en astronomie ni en physique. En physique, on sait comment les influences peuvent s’exercer. Là, on n’imagine pas quels mécanismes physiques pourraient jouer », explique Jean-Paul Krivine à Marianne.
Plusieurs expériences ont d’ailleurs été menées pour tenter de prouver la pertinence de l’astrologie. Parmi elles, une célèbre étude menée par Michel et Françoise Gauquelin. Après avoir étudié le ciel de naissance d’un certain nombre de sportifs, ces chercheurs avaient affirmé que la planète Mars se trouvait chaque fois dans une position déterminée au moment de leur venue au monde. Cette étude, Jean-Paul Krivine la connaît très bien. « L’Association française pour l’information scientifique a voulu la refaire. On s’est vite rendu compte que les Gauquelin avaient dû écarter beaucoup de sportifs au cours de l’étude, ou encore qu’il y avait des problèmes dans le choix de l’heure de naissance… »
Mais alors, comment expliquer que l’astrologie bénéfice toujours d’une telle bienveillance de l’opinion publique ? « C’est très difficile à dire. Si vous donnez une description de personnalité vague et positive à un groupe de personnes, une majorité va s’y reconnaître. C’est ce qu’on appelle « l’effet barnum ». C’est sur ce principe que fonctionne le thème astral », explique Jean-Paul Krivine. La pratique astrale repose donc sur de nombreux biais psychologiques.
Pour le politiste et directeur de recherche au Cevipof, Daniel Boy, qui a longtemps travaillé sur les parasciences, « il faut différencier « l’astrologie de caractère » de « l’astrologie de destin ». L’astrologie de caractère, c’est un peu un jeu, parfois de séduction, c’est très innocent. Et puis, il y a des gens qui croient en l’idée d’une prédestination, qui vont vraiment chez l’astrologue. Ça rejoint d’autres parasciences, la conception selon laquelle ce qui m’arrive dans la vie dépend du destin. Elle permet de mettre de l’ordre dans le chaos du monde ».
L’ASTROLOGUE REPENTI
Cette histoire critique de l’astrologie, Serge Bret-Morel, auteur de L’Astrologie, ça marche !.… Trop (La route de la soie, 2020), écrit avec Élisabeth Feyti, est très bien placé pour la raconter. « L’astrologie, je suis tombé dedans à dix-neuf ans. Je sortais d’une énorme déception amoureuse. Je n’étais absolument pas structuré mentalement pour faire face à ça, j’avais besoin de trouver du sens à ce qui m’arrivait », explique-t-il à Marianne. Le jeune adulte découvre ensuite, par hasard, un portrait de son signe, le verseau. « Tout s’est mis en place dans ma tête… Ça me correspondait trop bien, c’était impossible qu’il se soit agi d’un hasard. » Alors qu’il suit des études d’histoire et de philosophie des sciences, Serge Bret-Morel n’abandonne pas pour autant sa passion pour l’astrologie. « Quand on est étudiant, c’est très pratique pour créer du lien, car la plupart des jeunes se trouvent dans une situation d’incertitude et d’angoisse. Alors quand quelqu’un présente une vision du monde rassurante, on est vraiment tenté de l’écouter. Cette personne, c’était moi », se souvient-il.
Le jeune homme pousse sa passion jusqu’à rejoindre, en 2003, l’Association des astrologues francophones, dont il devient trésorier. C’est en rejoignant le bureau de cette structure qu’il commence à se détacher de la pratique. « Je me suis retrouvé au contact d’astrologues très connus… mais j’avais fini mon cursus de philosophie et j’avais un esprit critique développé et je déplorais tous les tabous et les incohérences du milieu, explique-t-il. Le pire problème pour eux : comment trancher entre deux interprétations d’astrologues contraires, en l’absence totale d’éléments de preuve ? On se défend en assurant que l’astrologie est une discipline très « riche ». »
LES LIMITES DE LA PENSÉE CRITIQUE
Serge Bret-Morel se met alors en tête de prouver la véracité de l’astrologie, en faisant la chasse aux pratiques erronées. « Je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien de démontrable, qu’on était dans une croyance. J’en suis sorti, après une dépression. J’avais l’impression d’avoir perdu dix années de ma vie. » Aujourd’hui, il se revendique de la zététique – qualificatif donné aux philosophes sceptiques – et combat les affirmations pseudoscientifiques de certains astrologues. Il aime à se présenter comme « un astrologue qui a réussi. J’ai tout simplement appliqué les principes de la pensée critique à l’astrologie. Je suis allé vérifier tout ce en quoi je croyais et mes certitudes sont tombées unes à unes. »
Est-ce à dire que ces croyances disparaissent nécessairement face à une pensée rationnelle et critique ? Pour le politologue Daniel Boy, ces deux systèmes de pensée peuvent coexister. Car l’enjeu, c’est avant tout la « réassurance ». « Y a-t-il vraiment contradiction entre science et parasciences ? Je n’en suis pas certain. Je pense que la science doit rester indifférente aux polémiques suscitées par ces pratiques ésotériques. L’enjeu, bien sûr, c’est de protéger la liberté individuelle et faire attention aux dérives. Se servir de l’astrologie pour prendre des décisions professionnelles, faire des choix de vie importants, ça peut être dangereux », explique le chercheur.
source :
Marianne Par Jean-Loup Adenor
le 04/07/2021
https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/pourquoi-lastrologie-gagne-du-terrain-chez-les-jeunes-et-dans-la-sphere-feministe
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