Nul besoin d’être grand sociologue pour faire l’hypothèse que fermer les écoles et organiser « l’école à la maison » est susceptible d’accroître encore les inégalités de réussite scolaire entre les enfants selon leur milieu social. Déjà, en temps normal, l’aide apportée par les parents est très diversifiée selon leur niveau de diplôme et leur situation professionnelle.
Une aide aux devoirs socialement différenciée
Les enquêtes quantitatives les plus précises datent un peu, la plus complète étant présentée dans une note de l’Insee publiée… en 2004. Elles permettent malgré tout de dresser un tableau objectif du temps consacré par les parents à aider leurs enfants, qui tend au fil des années à devenir plus important, non sans rapport avec la tension de plus en plus forte qui existe autour des enjeux scolaires. Et ce même s’il ne faut pas oublier qu’on consacre plus de temps à cette aide quand l’enfant est en difficulté (ce qu’on appelle un effet suppressif). Un temps moindre consacré aux devoirs des enfants ne signifie donc pas toujours qu’on leur accorde une moindre attention, et vice versa.
La baisse de l’investissement parental au fil de la scolarité est liée au fait que les parents se sentent vite dépassés
Tous les parents (les mères avant tout) sont concernés par cette aide aux devoirs : quand leur enfant est en primaire, les parents y consacrent environ dix-neuf heures par mois. Ce temps diminue par la suite, passant à quatorze heures au collège et près de six heures au lycée. Cette baisse de l’investissement parental au fil de la scolarité est liée au fait que les parents se sentent vite dépassés. Dès le primaire, plus de la moitié des mères sans diplôme ont ce sentiment, contre 5 % de celles diplômées du supérieur ; au niveau du lycée, la moitié de ces dernières se déclare dépassée, comme la quasi-totalité des non-diplômées.
Une préoccupation scolaire généralisée
La manière de mettre en œuvre cette aide est également différente. Dans les familles de milieu populaire, l’aide prend plus souvent la forme d’un contrôle du travail fait que celle d’une ré-explication en cas de difficulté, comme le font les mères de statut social plus élevé.
Toutefois, on observe de plus en plus des tentatives pour « refaire l’école à la maison » chez les familles populaires, en s’aidant de livres, de cassette ou d’encyclopédies éducatives. Mais outre l’efficacité de ces outils en plein développement n’a pas encore fait l’objet d’évaluations, ils n’empêchent pas, dans ces familles, qu’on puisse avoir parfois des difficultés pour déchiffrer les attentes de l’école.
A ceci s’ajoutent parfois des obstacles plus matériels : un Français sur cinq n’a pas d’ordinateur. Cette proportion monte même à 33 % au sein du quart des foyers français les plus pauvres. Déjà, les enseignants ont perdu tout contact avec 5 à 8% des enfants, selon le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer, ce qui n’est sans doute pas sans rapport. Or il est particulièrement préoccupant que des enfants de primaire, quand ce sont les apprentissages de base qui sont en jeu, se retrouvent sans aucun lien avec leurs enseignants, alors que l’on sait que les difficultés précoces sont les plus difficiles à rattraper.
On ne peut opposer la vigilance scolaire des mieux dotés à ce qui serait un désintérêt, voire un désinvestissement des parents les moins diplômés
En tout cas, ces divers constats montrent bien qu’on ne peut opposer la vigilance, voire l’obsession scolaire des mieux dotés à ce qui serait un désintérêt, voire un désinvestissement des parents les moins diplômés. Il y a aujourd’hui une généralisation de la préoccupation scolaire : avec la massification d’un côté, le chômage des jeunes de l’autre, les enjeux de la scolarité sont décuplés, dans un contexte à la fois plus compétitif et plus angoissant.
Mais il reste de réelles inégalités, dans les atouts culturels et matériels dont les parents disposent pour aider leurs enfants. Et bien au-delà du strict suivi de la scolarité, il existe des différences encore très sensibles de style éducatif. Les parents les plus diplômés se distinguent par leurs capacités à transformer tous les loisirs et temps morts en objets et moments pédagogiques formateurs. Ceci risque également de générer des inégalités dans ce temps étiré du confinement.
source : l 8 AVRIL 2020 https://www.alternatives-economiques.fr/marie-duru-bellat/pendant-confinement-inegalites-scolaires-continuent/00092415