Journaliste pendant 26 ans à RCF Loiret, Sophie Deschamps signe Le Silence des soutanes, aux éditions Regain de lecture. © Orléans AGENCE
Comment l’idée de ce livre est née, dans la foulée du procès du père de Castelet et de Mgr Fort à Orléans, en octobre 2018 ?
C’était la première fois en France qu’un prêtre et un évêque étaient jugés conjointement. Même à Lyon, pour Mgr Barbarin, il y a eu deux procès distincts. Le fait que les deux soient jugés en même temps permettait de mettre en lumière les responsabilités : la faute de l’abbé mais aussi le silence de l’évêque qui n’a rien fait pour protéger les victimes, ni même pour protéger ce prêtre.
C’est un procès fleuve qui a duré neuf heures. A l’époque, j’étais journaliste pour RCF (Radio chrétienne francophone). J’en ressors bouleversée, notamment parce que des gens que je connaissais, et que j’ai croisés à l’entrée du tribunal m’ont dit : « On vient pour soutenir notre évêque ». Ils n’avaient visiblement pas grand-chose à faire des victimes.
Comme un symbole, l’évêque a, justement, fait cruellement défaut à cette audience
Cela donne l’impression qu’il fuit à nouveau ses responsabilités. Mais je découvre le père de Castelet à cette occasion et les trois victimes, dont l’une prenait plus la lumière que les autres, c’était Olivier Savignac.
Derrière, j’ai 1’30 pour en parler au journal national et 5’ pour mes infos locales. Je ressors avec un carnet rempli de notes, et très frustrée. Je me dis rapidement qu’il y a matière à un livre.
Et puis le 12 décembre, on m’annonce que je vais quitter la radio. Je me dis : « Ça y est, je vais pouvoir l’écrire ce livre ». Mais sans l’accord d’Olivier Savignac, je ne sais pas si je l’aurais fait.
Je commence à écrire et arrive le procès de Lyon. Alors que tout le monde s’attendait à une relaxe, le cardinal Barbarin est condamné (il a finalement été relaxé en appel, NDLR). J’ai voulu mettre en perspective ces deux procès.
Votre livre est aussi un livre de témoignages, ceux des victimes.
Oui, parce qu’en lisant le livre de Véronique Garnier (abusée sexuellement par un prêtre quand elle avait 13 ans, elle a été déléguée épiscopale à la protection de l’enfance, dans le diocèse d’Orléans, NDLR), j’ai compris à quel point il s’agissait d’une double peine. Double peine parce que ce sont des gens blessés dans leur corps, dans leur intégrité physique mais aussi dans leur foi.
Pourquoi ne pas avoir fait également témoigner des prêtres ?
Dès le départ, j’ai voulu faire un livre dédié aux victimes. Je donne la parole aux prêtres à travers les procès. Mais je voulais garder une parole libre et montrer que l’Église ce n’est pas seulement le pape, les évêques, les prêtres mais qu’il y a d’autres personnes, des croyants, qui oeuvrent pour que les choses changent.
Cette prise de conscience dans l’Eglise est un processus lent et, à travers votre livre, on comprend que les victimes n’y ont pas encore toute leur place.
On en est encore aux prémices. L’Église est un gros paquebot, avant qu’il prenne un autre cap, cela va prendre du temps. Je crois que les femmes ont un rôle important à jouer pour faire avancer les choses.
Il faut s’interroger aussi sur le cléricalisme qui met les prêtres sur un piédestal, ce qui n’existe pas, par exemple, chez les protestants où il y a une forme de gouvernance beaucoup plus collégiale. Chez les protestants, il y a aussi le mariage possible pour le pasteur, des femmes ordonnées et les affaires de pédophilie y sont bien moins nombreuses. Une société sans mixité, ce n’est pas bon.
On voit toutefois que les mentalités ont évolué : en 2001, quand survient l’affaire Pican (il a été le premier évêque français a être condamné pour non-dénonciation de crimes pédophiles, NDLR), on parlait de complot contre l’Église. Maintenant, on ne dit plus ça. Et on peut quand même se dire, par rapport au monde sportif ou dans l’Education, que c’est l’institution qui s’est remise en cause la première. Et c’est bien normal, car c’est une institution qui est censée dire le bien et le mal. Si elle ne se remet pas en cause, personne ne le fera.
L’Église change. Mais elle se hâte lentement. Le sommet sur les abus sexuels dans l’Église date seulement de 2019.
Dans ce mouvement, Mgr Blaquart et le diocèse d’Orléans, où plusieurs affaires de pédophilie ont éclaté ces dernières années, sont apparus comme particulièrement actifs. Est-ce vraiment le cas ?
Oui, le diocèse d’Orléans a été le premier à mettre en place une cellule d’écoute, par exemple. Mais pour Olivier Savignac, l’une des victimes du père de Castelet, ce n’est pas suffisant parce que ce sont des bénévoles et qu’ils ne peuvent pas répondre 7 jours/7, 24 heures/24. Il cite, par exemple, le cas d’une personne qui n’avait toujours pas de réponse dix jours après avoir fait un signalement. On ne se rend pas compte à quel point c’est extrêmement difficile pour les victimes de dire : “Cela m’est arrivé”.
Dans ce contexte, le risque est aussi que ces bénévoles aient affaire à des victimes de leur paroisse, qu’ils connaissent donc. C’est ce que l’Église a le plus de mal à faire aujourd’hui, selon moi : accepter que des gens de l’extérieur interviennent.
Depuis le procès d’Orléans, Mgr Blaquart semble s’être mis en retrait, au moins médiatiquement. Où en est le diocèse d’Orléans sur ces questions ?
Il y a eu le traumatisme du suicide de Pierre-Yves Fumery (prêtre à Gien, il avait été entendu en octobre 2018 dans le cadre d’une enquête pour « suspicions d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans » et suspendu de ses fonctions. Aucune charge n’avait toutefois été retenue contre lui, NDLR). L’évêque a très mal vécu ce suicide.
J’en reviens à cette notion de piédestal qui laisse les prêtres dans une solitude terrible. Quand ils ont des soucis, ils se retrouvent seuls face à eux-mêmes et cela peut malheureusement aboutir à ce genre de drame.
source : https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/pedophilie-l-eglise-change-mais-elle-se-hate-lentement-estime-la-journaliste-orleanaise-sophie-deschamps_13808012/