Entretien avec Jean-Loup Adenor pour Marianne

Alors que le gouvernement d’Emmanuel Macron multiplie les actions contre les mosquées fondamentalistes, certains secteurs échappent encore à la vigilance de l’État. À l’hôpital, notamment, les alertes se multiplient. L’urgentiste Patrick Pelloux, ex-chroniqueur à “Charlie Hebdo”, a remis au gouvernement un rapport sur le sujet.

Un nouveau front ? Le président de l’Association des médecins urgentistes de France et chroniqueur à Charlie Hebdo et Siné Mensuel Patrick Pelloux a remis, jeudi 3 mars, au gouvernement un rapport sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé. Sept ans après l’attentat de Charlie Hebdo, il a déroulé à Marianne ses conclusions et plaidé pour une prise de conscience de l’urgence de la situation.

Marianne : Pourquoi vous a-t-on confié cette mission sur la radicalisation en milieu hospitalier ?

Patrick Pelloux : Depuis l’attentat de Charlie, je suis resté extrêmement attentif à l’application de la laïcité dans le système de santé. En fait, j’ai été alerté fin 2019 de dérives dans le service de radiologie d’un hôpital à Orléans, le médecin faisait dire la prière trois fois par jour aux soignants de son équipe. J’ai fait remonter l’information à Katia Julienne, la directrice générale de l’offre de soins au ministère des Solidarités et de la Santé. C’est elle qui s’est renseignée et m’a rapidement dit qu’il y avait une situation à traiter dans le monde de la santé. Disons les choses clairement : un problème avec l’islam politique. Aujourd’hui, parler de ces problèmes, c’est être raciste. Or, ce rapport souligne les dérives religieuses, il n’a rien à voir avec les “races”.

En France, un travail considérable a été réalisé par le ministère de l’Intérieur, par le ministère des Transports, ainsi que dans le ministère de la Jeunesse et des Sports. Mais dans le domaine de la santé, rien n’avait encore été fait. On m’a donc proposé cette mission : rendre compte de la situation et proposer des solutions. On a conduit un important travail bibliographique et quelque 70 auditions qui ont été très riches.

Et qu’a fait apparaître ce travail ?

D’abord et c’est vraiment important de l’entendre : oui, le radicalisme et le prosélytisme religieux à l’hôpital sont un vrai sujet en France. Tous les interlocuteurs qu’on a eus nous disent que jusqu’aux années 1980-1990, c’était un phénomène inexistant. Les étudiants en médecine étaient plutôt chez SOS racisme, Médecins sans frontière, ce genre d’engagements là. Au milieu des années 1990, la question du voile surgit à l’hôpital comme ailleurs dans la société, on commence à se poser la question de la présence des religions et même de certaines dérives sectaires dans le milieu hospitalier.

Ce qu’il faut également comprendre, c’est que le personnel qui travaille à l’hôpital est d’une profonde tolérance et très résilient. Alors quand ils se retrouvent face à ce type de dérives, que ce soit, dans l’islam ou chez les catholiques ou les protestants, ils ne réagissent pas forcément. Pendant nos auditions, une aide-soignante d’un hôpital de l’Ouest nous a confié qu’un de ses collègues, musulman intégriste, faisait du prosélytisme auprès de ses collègues, tâchant de les convertir. Personne ne savait quoi faire : les directeurs des agences régionales de santé (ARS) estiment souvent que le sujet est trop complexe, sulfureux. Évidemment, depuis des années une partie de la gauche et des militants islamistes ont œuvré à inverser la problématique : aujourd’hui, parler de ces problèmes, c’est être raciste. Or, ce rapport souligne les dérives religieuses, il n’a rien à voir avec les « races ».

Certains territoires sont-ils plus touchés que d’autres ?

Les territoires où l’on manque de mixité sociale, dans le nord et le sud du pays. On y trouve un certain entrisme, notamment d’un islam conservateur. Aux Antilles, alors que beaucoup se sont étonné que des médecins participent aux manifestations anti-vaccination, personne n’a pointé le rôle des églises évangéliques qui ont fait un véritable coup contre la vaccination!

Et quels sont les dérives et les dangers qu’on vous a fait remonter ?

La première expression de ces radicalisations dans le personnel hospitalier, extérieur ou chez les aumôniers, c’est le sexisme et l’homophobie, avant l’antisémitisme, qui n’est jamais très loin derrière. Ce genre de problèmes conduit des médecins à refuser de soigner ou d’utiliser certaines techniques, un phénomène heureusement encore très marginal. On a notamment eu le cas d’un médecin qui a refusé de faire une transplantation d’organe car c’était haram. Autre exemple : le cas d’un étudiant en médecine qui refusait catégoriquement de soigner les femmes, mais qui lui était membre d’un groupe à tendance sectaire sioniste. On sait que certains médecins refusent l’accès à l’avortement en sur datant la grossesse…

C’est tout simplement ce qu’on appelle un refus de soin et c’est pour ça qu’il faut à tout prix réaffirmer le principe de laïcité dans le milieu hospitalier. Il faut arrêter l’angélisme et réagir dans ce milieu comme nous avons déjà commencé à réagir dans l’éducation ou le sport.

Vous placez la réaffirmation de la loi de 1905 sur la laïcité comme préconisation première pour prévenir ces problèmes, pourquoi ?

Le sujet du radicalisme est intimement lié à celui de la laïcité. On pense que c’est un principe acquis et définitif mais c’est une idée usée, notamment à l’hôpital. Pourquoi ? Peut-être d’abord parce qu’on a redonné la parole aux religions sur les questions qui relèvent du domaine de la santé – l’avortement, la procréation médicalement assistée, la fin de vie… Ensuite aussi parce que l’islam politique et conservateur a gagné du terrain en France.« Si on ne fait pas attention, on peut se retrouver avec des gens très dangereux, radicalisés, à l’hôpital. »

Alors oui, l’une de nos préconisations, c’est de faire signer à toutes les personnes travaillant à l’hôpital une charte de la laïcité, quel que soit leur statut, leur grade, leur rôle. Je suis très heureux que les organisations syndicales me suivent sur cette initiative.

On constate malheureusement chez les jeunes générations une réinterprétation du principe de laïcité dite « ouverte » ou « inclusive »…

C’est vrai, certains jeunes ont une vision aménagée de la laïcité. Dans les facultés de médecine, on trouve beaucoup d’étudiantes – et beaucoup des converties – qui militent notamment pour le voile et qui ont souvent des éléments de langage fournis par des associations cultuelles.

Il y a aussi la question des médecins étrangers appelés en renfort pour travailler en France.

Ces prochaines années, on va faire venir des milliers de médecins étrangers pour répondre à la crise du personnel à l’hôpital. Je regrette qu’on n’augmente pas le numerus clausus pour former des jeunes ici et qu’on préfère piller les ressources humaines de l’étranger. Mais cette décision interroge surtout le rapport de ces médecins, dont certains viennent de pays où l’islam est la religion officielle, à la laïcité française.

Diriez-vous que l’hôpital est une cible aujourd’hui pour les groupes religieux fondamentalistes ou prosélytes ?

Oui, évidemment que l’hôpital est une cible ! Regardez Baraka City, une association humanitaire dissoute par le gouvernement pour sa proximité avec des milieux islamistes, ils avaient pignon sur rue à l’hôpital ! N’oubliez jamais que le principal moyen d’action de Daech en Syrie, c’était l’accès aux soins gratuits pour les populations. La santé gratuite, ce n’est pas rien ! Zineb El Rahzoui, qui a traduit des lettres politiques des Frères musulmans, a montré que leur objectif, surtout en France, était d’utiliser le système de protection sociale et de conquérir le système hospitalier.

Il faut le comprendre et l’analyser pour pouvoir se défendre ; et augmenter la compétence et la vérification des associations cultuelles habilitées à intervenir en milieu hospitalier car nous manquons de vigilance. Il faut une mobilisation pour garantir aux malades l’accès aux soins dans un environnement protégé du prosélytisme, du fondamentalisme et des dérives sectaires. Aujourd’hui, l’hôpital est très en retard : on vient seulement de nommer des référents laïcité dans les hôpitaux et les ARS. Si on ne fait pas attention, on peut se retrouver avec des gens très dangereux, radicalisés, à l’hôpital.

Allez-vous poursuivre ce travail à l’extérieur de l’hôpital ?

C’est exact ! Des médecins libéraux m’ont contacté en m’expliquant qu’ils rencontraient de plus en plus de problèmes avec leur patientèle et des environnements de plus en plus communautarisés. Il y a aujourd’hui un sujet global sur l’ensemble du sanitaire médico – psycho-social.

https://www.marianne.net/societe/terrorisme/patrick-pelloux-on-risque-de-se-retrouver-avec-des-gens-radicalises-travaillant-a-lhopital

Patrick Pelloux est Président de l’Association des médecins urgentistes.