L’Europe a parfois le génie de se faire haïr. Bruxelles, avec un b comme bêtise et comme bureaucratie. Ou, en l’occurrence, Strasbourg avec un s comme sottise et comme secte. En Alsace siègent en effet les juges de la Cour européenne des droits de l’homme, qui vient de condamner la France à payer plus de 4 millions d’euros pour « violation de la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

Qu’a donc fait la République? Qu’a donc osé Marianne? Quelque prêtre aurait-il été ligoté par la maréchaussée, comme au temps des « inventaires »? Quelque dragon du roi aurait-il coupé la langue d’un pasteur cévenol? Plus près de nous, un imam aurait-il été expulsé par un excès de zèle de Manuel Valls; un rabbin, suspendu pour prosélytisme sioniste? Rien de tout cela: la France doit verser cette somme à trois sectes, en ristourne de taxes perçues sur les dons des adeptes. Le Mandarom, dont feu le « messie cosmoplanétaire » et le campement folklorique, sur fond de garrigue, firent sourire puis trembler, touchera 3,6 millions d’euros; 387 000 euros iront à l’Eglise évangélique missionnaire et Salaûn, et près de 37 000 euros dans la besace des Chevaliers du lotus d’or. Pendant ce temps, les Restos du coeur ont du mal à finir l’hiver.

Punir une « violation de la liberté de pensée, de conscience et de religion », c’est supposer qu’il y a une pensée sous le béton peint des statues du Mandarom, une conscience chez les gourous qui se soucient peu de l’âme de leurs adeptes, une religion sous le fatras psychédélique des sectes. Triple erreur, triple faute. Les sectes ne sont pas des religions, elles ne pensent pas, si ce n’est à leur intérêt immanent, et prospèrent justement sur l’anémie de la conscience de leurs adeptes. Le mot même de liberté est à bannir: plonger dans les rets des sectes, c’est presque toujours abdiquer son libre arbitre, c’est chercher un filet de sécurité quand on se sent choir dans le vide, et tomber dans une toile d’araignée.

Que la Cour refuse de trancher le débat de fond – qu’est-ce qu’une religion? – pour se contenter de dire le droit européen, aussi souple avec les sectes qu’il est tatillon avec les citoyens, ne peut être une excuse. Etre si procédurier, c’est être lâche, et les textes ne sont ici que le cache-sexe de la couardise techno-cratique. Certes, la France incarne la ligne dure face aux sectes, dans une Europe qui confond tolérance et laxisme, et regrettera demain cette porosité spirituelle comme elle regrette aujourd’hui le communautarisme ou la permissivité envers les drogues.

La République est, ici, notre vieux rempart. Il tient bon, et doit cette fois encore appuyer notre riposte: pas un sou pour ces sectes, résistance face à à la Cour, car les vrais droits de l’homme nous imposent de protéger les faibles des gourous, mais aussi des magistrats inconséquents. Pourquoi n’entend-on pas les politiques et les intellectuels hurler contre cette condamnation insupportable? N’est-ce pas aussi important que d’être pour ou contre la PMA? Il sera à l’honneur de la République de refuser de payer et de verser 4 millions à la Miviludes pour combattre mieux encore les sectes. Au moins l’oukase européen aurait-il réveillé une garde qui, ces derniers temps, sombrait dans l’indifférence.

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source: AFP/EXPRESS