ENQUÊTE / Alors que des batailles judiciaires continuent de creuser la division entre les membres de l’Église essénienne chrétienne, dont un noyau important évolue à Cookshire-Eaton, voilà que l’utilisation des fonds de cet organisme de bienfaisance enregistré soulève des préoccupations. Des anciens administrateurs et des fidèles réclament des comptes quant aux centaines de milliers de dollars qu’il a envoyés de l’Estrie vers le Panama dans les dernières années.
Tout indique que cet argent, dont on a tout récemment perdu la trace, n’a pas servi la mission de l’Église comme ils le croyaient.
Décès soudain du fondateur Olivier «Manitara» Martin à 55 ans, guerres de pouvoir et de ressources au Panama, création d’entités financières dans des législations plus permissives: les critiques de fidèles évoquant une marchandisation de ce mouvement religieux s’élèvent et prennent une ampleur substantielle.
Au cœur de la tempête, entre autres: la vice-présidente de l’église et ex-conjointe d’Olivier Martin, Magali Guérin, de même que son fils Nazarh Guérin, grand héritier des pouvoirs sur la nation essénienne.
Pour Claude Mathieu, expert en lutte contre la criminalité financière et professeur titulaire au département de finance à l’Université de Sherbrooke, deux grandes questions s’imposent à propos de la structure financière de l’Église essénienne chrétienne : «Pourquoi une église fait-elle affaire dans un paradis fiscal? Et pourquoi avoir enregistré deux divisions distinctes génératrices de recettes au Delaware, qui sont séparées de la structure organisationnelle de l’église?»
Chapitre 1: De confiance à méfiance
Administrateur du mouvement au Québec de 2017 à 2021, Pierre-Simon Cleary le dit d’emblée: il se considère toujours essénien et il embrasse toujours les grands principes qui ont d’abord mené sa famille à la communauté du Village de l’Érable, soit une vie en communion avec les grandes forces de la nature. Chez les esséniens, on associe celles-ci à des archanges, auxquels on voue un culte particulier par le biais de différents rites.
Mais celui qui y détient toujours le titre de prêtre ne reconnaît plus la communauté qu’avaient participé à bâtir ses proches au début des années 2000.
Il dénonce ce qu’il perçoit comme une inacceptable injustice: «Il y a un organisme de bienfaisance, ici, chez nous, qui bénéficie d’exemptions fiscales et qui envoie de l’argent vers des intérêts individuels au Panama. C’est hallucinant à quel point c’est problématique», s’indigne celui qui est nouvellement avocat, et qui estime avoir la responsabilité morale d’intervenir.
La pile de documents qu’il nous présente est vertigineuse. Relevés bancaires, documents légaux, jugements, échanges de courriels : nous avons consulté l’ensemble de celle-ci, tout comme le professeur Claude Mathieu. «L’ensemble des transactions, ajoutée à la présence de diverses entités, ça laisse planer des doutes sur le fonctionnement et le but ultime de l’Église», constate-t-il.
Les esséniens ont fait la manchette à plusieurs reprises dans les dernières années, mais surtout en raison de conflits avec la Ville de Cookshire-Eaton, qui s’oppose toujours à la tenue d’activités de culte sur le terrain de plus de 250 acres du Village de l’Érable, où vivent une soixantaine de fidèles.
Le mouvement, lancé par Olivier Martin, a pris racine en France, dans son village de Terranova, avant de venir réaliser son grand projet québécois en 2006 en Estrie. Depuis 2016, il développe aussi un village au Panama nommé Jardin de la Luz. Des groupes esséniens évoluent également notamment en Italie et au Gabon.
Transactions légitimes, soutiennent les responsables
Depuis septembre 2022, à la suite d’une décision de la Cour supérieure du Québec établissant qu’elle constitue une dynastie royale, l’église mère est dirigée par Nazarh Guérin, le fils du défunt fondateur Olivier Martin. Celui-ci détient ainsi le titre de «visiteur» au sens de la loi sur les corporations religieuses, ce qui lui octroie les pleins pouvoirs. Il réside au Panama depuis sept ans, tout comme sa mère et sa sœur Fanny.
Nazarh Guérin n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.
De son côté, Magali Guérin maintient que les opérations financières de l’église sont légitimes. En entrevue, elle assure qu’il n’est ici question que de redevances de droits d’exploitation et de droits d’auteur pour l’œuvre de son défunt conjoint et que ceux-ci n’ont pas à être remis en question.
Nous avons également interpellé Florent Cecchella, qui est actuellement président de l’Église essénienne chrétienne du Québec (EECQ), considérée comme l’église «fille», et président de l’église «mère», soit l’Église essénienne chrétienne (EEC). Celui-ci a plaidé que tous les problèmes et conflits actuels sont plutôt liés à l’ancienne administration, soit avant 2022. «Quand on est arrivés en poste, c’était le bazar», dit-il.
Chapitre 2: Sous le soleil du Panama
«Il faut que ça débloque. Les gens doivent savoir. Les esséniens donnent encore de l’argent sans savoir où elle va», dénote un premier ancien administrateur, qui a demandé l’anonymat par peur de représailles. La bataille dure depuis trois ans déjà, mais les principaux faits ici allégués par M. Cleary, qui ont aussi été corroborés par deux anciens administrateurs, dureraient depuis au moins six ans. Ceux-ci estiment avoir été floués, rien de moins.
Notons que les allégations ici rapportées n’ont pas passé le test des tribunaux.
À la fin de 2016, à la suite d’une demande d’Olivier Martin et de son secrétaire, Goulwen Marot, l’Église essénienne chrétienne entreprend la création de son église fille, l’Église essénienne chrétienne du Québec, pour qu’elle reprenne l’ensemble des activités de celle-ci et sépare ses actifs immobiliers de son volet commercial.
On demande alors à l’église fille de verser régulièrement des liquidités à son église mère, dans un compte de l’église mère appelé «Fonds de réalisation de l’œuvre», et dont l’utilisation doit servir la mission d’organisme de bienfaisance enregistré selon la loi fiscale fédérale.
«On demande 6000$ par mois comme contribution du village et 7000 $ par mois comme droit d’exploitation pour organiser des formations esséniennes ainsi que la cérémonie appelée “Ronde des archanges”, affirme un autre ancien administrateur. Dans notre nation, pour chaque activité qui rapporte, on verse une part pour favoriser l’expansion de l’église. C’était ça, les ententes.»
Les revenus de l’église fille sont générés par la vente de produits religieux, l’organisation de séminaires, cérémonies, retraites et conférences, ainsi que les contributions communautaires versées par les habitants du Village de l’Érable. Par exemple, M. Cleary, qui a construit sa maison à ses frais, mentionne payer 400 $ par mois pour y résider.
Selon des documents consultés par La Tribune, à partir de décembre 2017, le secrétaire de l’église mère et bras droit d’Olivier Martin, Goulwen Marot, demande à ce que les contributions au Fonds de réalisation de l’œuvre soient désormais envoyées à un compte du Panama, où un nouveau village est en développement. Il s’agit du compte de la Fondation Da Pacem, nouvellement formée.
Croyant toujours à une contribution au développement de l’église, le conseil d’administration obéit : en trois ans, un demi-million de dollars canadiens, tous libres d’impôt, sont versés de Cookshire-Eaton vers la Fondation Da Pacem, selon les relevés de cette fondation et de l’église fille.
Jusqu’à ce que survienne une première surprise, au début de 2021: des administrateurs apprennent que la Fondation Da Pacem est, au sens de la loi panaméenne, une fondation d’intérêt privé dont le bénéficiaire n’est pas l’Église essénienne chrétienne. Les statuts confidentiels de l’entité, dont nous avons copie et que nous avons fait valider auprès d’un avocat licencié au Panama, stipulent plutôt que «durant sa vie, la jouissance exclusive et totale du patrimoine de la fondation et de ses produits appartient au protecteur Olivier Benoit Hervé Martin (traduction libre de l’anglais)».
Après la mort subite de M. Martin en juin 2020 au Panama, les nouveaux bénéficiaires de la fondation ont été désignés comme ses héritiers, soit ses enfants Nazarh, Fanny et Salomé. S’étant dissocié de l’Église à sa majorité, Salomé a toutefois assuré à La Tribune avoir refusé officiellement la succession de son père il y a quelques années.
Les anciens administrateurs sont clairs: ils ont toujours été en accord pour contribuer financièrement à la progression et à la croissance de la nation essénienne. «Mais là, on a vu que l’argent ne servait plus à ça», dit l’un d’entre eux.
«Cet argent-là devait aller à l’achat de terrains et au développement de l’église.»
— Un ancien administrateur de l’Église
Les nombreux cabinets comptables et légaux faisant la promotion des fondations d’intérêt privé panaméennes insistent qu’il s’agit d’un véhicule de protection d’actifs comportant de nombreux avantages, comme celui de désigner un ou des bénéficiaires de manière complètement confidentielle par le biais d’un document interne. Sans actionnaires ni propriétaires, elles sont aussi exemptées d’impôts.
Où est l’argent?
Magali Guérin avance de son côté que ni Olivier Martin, ni ses enfants n’ont été bénéficiaires de cette fondation, et qu’elle n’a jamais eu connaissance d’un document désignant M. Martin comme bénéficiaire. «Elle est indépendante. C’est une fondation qui a des buts humanitaires, mais elle n’appartient pas du tout à mes enfants. Olivier a toujours fait don de ses droits d’auteurs à des fondations qui ont des buts humanitaires», dit-elle, rappelant que c’est anciennement l’église mère qui récoltait le fruit de ses droits d’auteurs et d’exploitation.
«Ensuite, il a changé de fondation pour la Fondation Da Pacem», dit-elle.
Les relevés de Da Pacem indiquent que, de son vivant, Olivier Martin a fait quatre transferts de 40 000 $ US chacun vers un compte personnel entre 2018 et 2020.
Interrogés sur l’utilisation des fonds versés à Da Pacem, M. Cecchella et Mme Guérin indiquent ignorer à quoi ils ont servi.
Tous deux confirment toutefois que des enfants d’Olivier Martin reçoivent toujours des rétributions pour l’œuvre de leur père, mais «à titre personnel». Florent Cecchella soutient que l’église fille envoie actuellement un pourcentage de ses revenus équivalant à entre 3000 $ et 4000 $ par mois aux héritiers, directement à leur compte personnel, pour trois motifs : «une partie des contributions communautaires», la «Ronde des archanges» et la tenue de formations esséniennes.
«Sur quelle base légale? Si on faisait des virements, à l’époque, c’était pour le développement de l’Église, mais là, c’est à des personnes individuelles pour leurs propres intérêts.»
— Pierre-Simon Cleary
Mis à part ces transferts mensuels, dit M. Cecchella, tous les revenus restants des deux églises servent uniquement ses projets et sa mission, «depuis septembre 2022».
«Depuis que je suis président, nous n’avons jamais transféré d’argent à la Fondation Da Pacem», dit-il. Sur la question des transferts antérieurs à 2022, il a répondu que «c’est à l’ancienne administration que vous devez poser cette question».
Goulwen Marot, celui ayant donné l’instruction de transférer les fonds à Da Pacem en 2018, n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. Dans un courriel de juillet 2021 dont nous avons copie, il avouait toutefois finalement aux administrateurs : «La Fondation Da Pacem n’a pas une mission humanitaire, son objet était uniquement de prendre soin d’Olivier. Son bénéficiaire unique était Olivier.»
«On a complètement perdu le contrôle»
Dès qu’ils font la découverte de la structure de Da Pacem, M. Cleary et d’autres administrateurs font cesser les paiements, raconte-t-il. «Puis, la première question qu’on a posée, c’est “qu’est-ce qui se passe avec l’argent?” Et là, on a complètement perdu le contrôle sur cet argent-là.»
La Fondation Da Pacem réclame rapidement son dû dans un courriel de juillet 2021, signé «les enfants d’Olivier Manitara» et envoyé avec l’adresse courriel de la Fondation. On demande aux administrateurs de l’église fille un versement rétroactif immédiat de 42 000 $ pour six mois de droits d’exploitation, mais aussi 36 000 $, représentant six mois de «gestion du village de l’Érable».
En réponse à ce courriel, M. Cleary demande un accès aux états financiers de Da Pacem, étant donné le statut de corporation religieuse sans but lucratif de l’église. Ceux-ci lui retournent un refus catégorique, avant d’interdire dès maintenant à l’église fille «d’utiliser l’œuvre de [leur] père».
En appui, on présente à M. Cleary un contrat de licence de droits d’exploitation entre Da Pacem et l’église fille dont il assure n’avoir jamais eu connaissance en tant qu’administrateur, et dont il conteste encore aujourd’hui la validité. Mme Guérin estime pour sa part ce document valide.
Interrogée sur les motifs des ces transferts à Da Pacem, Mme Guérin soutient que ceux-ci n’ont toujours concerné que des droits d’auteurs et d’exploitation légitimes d’Olivier Martin, rien d’autre.
«Ce qu’ils ne supportent pas, c’est qu’ils voudraient récupérer tout le patrimoine d’Olivier, en disant que ça appartient à l’Église, mais non, précise-t-elle. Il y a des droits d’auteur, c’est personnel.»
— Magali Guérin
«Des droits d’auteur sur quoi? s’insurge M. Cleary. Si on vendait des livres, ce serait normal. Mais là, ce n’est pas une activité économique liée à la vente de livres, c’est des activités comme la contribution communautaire au village, qui est fondamentalement une activité religieuse. Ensuite, on parle de la ronde des archanges et des activités cérémoniales. C’est de la religion. On vient marchander du religieux.»
La question de la propriété intellectuelle d’Olivier Martin fait justement l’objet d’une procédure judiciaire en France. Nazarh Guérin et sa soeur, Fanny Guérin, reprochent à «l’Église essénienne chrétienne des origines France» d’utiliser illégalement l’œuvre de leur père, notamment en organisant des cérémonies de la «Ronde des archanges». Son issue pourrait avoir un important impact sur l’analyse des autorités canadiennes sur le dossier, croit Claude Mathieu.
«Est-ce viable pour une église d’avoir un contrat exigeant d’aussi importantes sommes vers une fondation privée, alors qu’elle dépend de dons et de vente de biens religieux ? demande le professeur Claude Mathieu. Était-ce pour détourner les fonds de l’église, ou bien anticipaient-ils vraiment une hausse de leur fréquentation, donc de leurs revenus?»
— Claude Mathieu, expert en lutte contre la criminalité financière
Les relevés de l’église mère ainsi que de Da Pacem permettent aussi d’identifier qu’en 2018, plus de 53 000 $ ont été transférés directement d’un compte de l’église mère vers la Fondation Da Pacem.
Le responsable du compte et du département ayant effectué ces transactions est Éric Moncoucut, qui demeure aujourd’hui au Panama. Il n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.
Ce que dit la loi
Selon l’Agence du revenu du Canada, un organisme de bienfaisance enregistré, comme c’est le cas de l’église mère, peut effectuer des transferts bancaires à une entité étrangère qui n’est pas un organisme à but non lucratif sous forme de subvention, mais seulement si cette activité respecte certains critères. Lorsqu’il s’agit d’un donataire non reconnu, comme c’est le cas pour la Fondation Da Pacem, il doit par exemple respecter les exigences en matière de responsabilisation de Loi sur l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire s’assurer que le versement sert véritablement à des fins de bienfaisance.
L’organisme de bienfaisance peut aussi se livrer à ses activités par le biais d’un intermédiaire, sur lequel il «doit exercer une direction et un contrôle» pour s’assurer de l’utilisation précise de ses ressources.
Da Pacem dissoute
Selon le registre public du Panama, la Fondation Da Pacem a été dissoute le 10 mai dernier.
Dans l’acte notarié officialisant sa dissolution, le cabinet d’avocats POLS Attorney déclare en espagnol que «la fondation ne tient pas de comptabilité puisqu’elle n’a pas eu de mouvements comptables depuis sa création» et que «cette fondation n’effectuait pas d’actes commerciaux, n’était pas détentrice d’actifs et ne réalisait pas d’investissements.»
Magali Guérin assure qu’elle ne savait rien de cette dissolution. La signature d’aucun membre de l’église n’apparaît sur le document notarié.
À la ligne du capital de la fondation, on indique 10 000 $ US, soit le montant qui avait été investi lors de son enregistrement en 2017.
Le plus récent relevé bancaire de Da Pacem que nous avons pu avoir en main, datant du 14 octobre 2020, indiquait un solde de 546 054 $ US.
Le cabinet POLS (Panama Offshore Legal Services), qui a été impliqué dans l’ensemble des étapes de l’existence de la Fondation Da Pacem, a été ciblé par l’Internal Revenue Service (IRS), l’autorité fiscale américaine, en 2021. L’IRS a sommé plusieurs coursiers et institutions financières de lui révéler des informations permettant d’identifier les contribuables ayant utilisé les services de POLS pour créer des stratagèmes d’évitement fiscal.
Chapitre 3: Drapeaux rouges
Les églises mère et fille n’ont pas été les seules à gonfler les coffres de la Fondation d’intérêts privés Da Pacem, comme en témoignent les relevés consultés.
En 2017, deux entités entretenant des relations commerciales avec l’Église essénienne chrétienne et Da Pacem ont également été incorporées au Delaware, soit l’État américain le plus permissif et favorable aux entreprises. Toutes les deux ont pour directeur Éric Moncoucut, soit le membre du Suprême conseil de la nation essénienne responsable de «l’Annonciation».
La première, Annonciation International LLC, est l’éditeur et imprimeur des livres et documents religieux liés à l’œuvre d’Olivier Martin. Entre 2018 et 2020 inclusivement, près de 75 000 $ US ont été versés à la Fondation Da Pacem. C’est M. Moncoucut qui en est le propriétaire, selon les propos tenus par Magali Guérin dans un document légal dont nous avons copie.
Comme l’explique Jean-Pierre Vidal, professeur au département des sciences comptables à HEC Montréal, il existe généralement deux raisons pour lesquelles une personne ou entité se dirige vers un paradis fiscal : éviter les impôts, mais aussi bénéficier d’une grande opacité.
«Là, maintenant, c’est en voie de se résorber, avance-t-il. Il y a des accords d’échange de renseignements qui ont été établis. Tous les pays développés ont commencé à convaincre les pays en développement à s’engager dans la voie des échanges de renseignements.»
La deuxième corporation privée fondée au Delaware est Everclear LLC. Selon différentes sources et documents internes, elle a été créée peu après que les comptes bancaires de l’église eurent été fermés par trois banques canadiennes. On cherchait alors à créer un intermédiaire, puisque les transactions qu’elle faisait au Panama étaient notamment en cause.
«Effectivement, c’est une décision de l’église de créer une société indépendante pour la gestion des terres du Panama.»
— avance Magali Guérin à ce sujet, précisant qu’aucun de ses profits n’est versé à l’église.
Dans le document légal dont nous avons copie, celle-ci dit ignorer qui en sont les actionnaires.
«Quand on se demande quel est vraiment le rôle d’Everclear LLC, on s’aperçoit que la réponse soulève encore plus de questions, croit M. Mathieu. Pourquoi démarrer une entreprise privée afin de faire en sorte que les difficultés financières ne soient pas répétées?»
Un contrat que nous avons consulté lie Everclear LLC à la Fondation Da Pacem. Pour l’utilisation des concepts et des idées esséniennes dans son village, celle-ci exige à Everclear LLC une somme forfaitaire qui démarrait à 1500 $ US par mois en 2020, et qui devait graduellement atteindre 12 000 $ US par mois d’ici 2030.
Chapitre 4: éclatement
«Jeux de pouvoirs», «conflits d’intérêts», «non transparence», «collaboration limitée» : tous ces éléments que décèle Claude Mathieu dans l’Église ont un point en commun. «Ils vont à l’encontre des notions de bonne gouvernance, dit-il. Un seul élément n’est pas nécessairement négatif, mais on commence à avoir une bonne somme.» L’histoire n’en est effectivement pas restée là.
Dans les mois qui suivent l’arrêt des paiements par l’église fille, la situation s’envenime de plus belle. Un groupe appuyé par Magali Guérin demande la démission des administrateurs de l’église fille, incluant M. Cleary, et organise de nouvelles élections que les trois individus interviewés qualifient d’«illégales».
Un avis juridique rédigé par l’avocat Vincent Lamontagne à l’époque se montre du même avis. Interrogé à ce sujet, Me Lamontagne, qui représente actuellement des esséniens dans des procédures judiciaires contre Magali et Nazarh Guérin, maintient fermement sa position.
Mme Guérin a refusé de répondre à nos questions à ce sujet. De son côté, Florent Cecchella maintient que cette assemblée a été tenue dans les règles.
«Beaucoup d’esséniens demandaient des comptes et ont demandé une assemblée, tout d’abord auprès de l’église mère, mais elle n’a jamais répondu. On leur demandait s’ils n’étaient pas en train de se servir des dons qu’on avait donnés pour payer des avocats.»
— Florent Cecchella, président de l’Église fille et de l’Église mère
Peu après, M. Cecchella est nommé comme nouveau liquidateur testamentaire d’Olivier Martin, à la demande de la famille, en remplacement au président de l’église mère de l’époque.
Dénonciations
M. Cleary et un ancien administrateur ont tenté de dénoncer l’envoi d’argent à Da Pacem auprès de la Sûreté du Québec et de Revenu Québec dès 2021. Revenu Québec les a finalement informés que le statut d’organisme de bienfaisance de l’Église, qui est enregistrée au fédéral, ne relevait pas de sa juridiction.
Plus d’un an perdu, déplore M. Cleary.
L’Agence du revenu du Canada a ainsi entre ses mains l’ensemble du dossier. Il n’a toutefois pas été possible de valider auprès d’elle si une enquête a été démarrée, ces détails étant hautement confidentiels.
Multinationales
Pour le professeur Jean-Pierre Vidal, la porte s’ouvre sur une grande réflexion à tenir de manière générale sur les avantages fiscaux offerts aux mouvements religieux. Sans commenter de cas en particulier, il n’hésite pas à qualifier plusieurs d’entre eux de «multinationales.»
«Prenons quelqu’un qui se lève un bon matin et qui va répandre la parole de son nouveau dieu. Dans le but de le faire, il va demander de l’aide à des gens, et il va leur demander une cut à toutes les fois. Puis là, on se retrouve finalement avec un truc qui ressemble à une pyramide d’argent qui flotte, puis qui remonte à cette personne-là de partout à travers le monde. Évidemment, ça lui permet de développer son groupe religieux, mais en même temps, ça lui procure des ressources.»
— Jean-Pierre Vidal, professeur au département des sciences comptables à HEC Montréal
Ce qui mène à une inévitable question dans le cas des organismes de bienfaisance enregistrés, croit-il : «Est-ce que le gouvernement doit continuer à financer à ce niveau ces groupes-là? Est-ce qu’on veut vraiment, non seulement que ces gens-là ne paient pas d’impôt à aucun niveau de gouvernement, mais qu’en plus, on donne des crédits d’impôts aux donateurs?»