Quelque 250 docteurs de la loi – oulémas – ont convergé du 6 au 9 avril 2014 vers le Sultanat d’Oman, tout au bout du Golfe arabo-persique, pour une conférence internationale de jurisprudence islamique. Pour la première fois, des journalistes occidentaux ont été invités à couvrir cette convention annuelle, la 13e, qui rassemble à Mascate les trois branches historiques de l’islam, sunnite, chiite et kharidjite (à laquelle se rattache l’ibadisme omanais). Le thème choisi, « Les valeurs communes de l’humanité », invitait à l’universalisme et à l’ouverture. Et, de fait…
Le Sultanat d’Oman pratique avec constance l’understatement. La démesure, il la laisse à ses voisins du Golfe. A Qatar ou à Abu Dhabi, les folies immobilières, gratte-ciel rutilants et centres commerciaux géants ; aux Saoudiens et aux Iraniens le messianisme religieux. Sans doute protégé de l’hubris environnante par la relative modestie de ses réserves pétrolières, Oman vit dans la discrétion sa singularité. Puissance maritime de l’océan Indien – à la fin du XIIIe siècle, Marco Polo y fit escale à son retour de Chine -, le Sultanat a tissé des liens séculaires avec l’Afrique orientale et avec le sous-continent indien. Outre l’arabe, on y parle fréquemment le swahili et la langue du Baloutchistan.
Les visages omanais, vite éclairés d’un grand sourire, offrent au regard toutes les nuances du brun, du plus clair au plus foncé. Sauf, évidemment, quand il s’agit de femmes portant le voile intégral. Elles sont rares, même dans les assemblées pieuses comme la conférence des oulémas au sous-sol de l’hôtel Grand Hyatt de Mascate. Mais c’est une expérience singulière pour une Française d’être accueillie avec une chaleureuse poignée de main et une voix rieuse en anglais par une silhouette entièrement couverte de tissu noir, à part les lunettes.
Le sultan et la Grande mosquée
A Oman, à l’exception des étrangers, personne ne va tête nue. Il y a presque plus de variété dans la façon de se vêtir des femmes – voiles de différentes formes et couleurs – que dans celle des hommes : tous portent le costume national, une longue tunique blanche et un turban à motif cachemire noué sur un calot brodé de forme cylindrique. Si l’homme est au travail, le turban est de rigueur ; pendant le temps de loisir, c’est le calot. Arrivé au pouvoir à 30 ans en 1970, le sultan Qabous, à l’élégance parfaite, porte, comme ses sujets, le couvre-chef omanais.
Cet homme respecté et, selon tous les témoignages, aimé, conduit la modernisation du pays à un rythme soutenu, mais sans extravagance, à l’échelle humaine. Le seul monument pour lequel les superlatifs sont revendiqués, c’est la grande mosquée de Mascate, achevée voici une dizaine d’années : les marbres sont d’Italie, le teck de Birmanie, le lustre de 15 mètres de haut a été construit en Allemagne et le tapis persan de 4.200 mètres carrés est arrivé comme le reste par une noria de bateaux avec des dizaines de tisserands qui l’ont assemblé sur place. Ce n’est pas l’Etat mais le sultan lui-même qui a financé la construction, vous explique-t-on.
L’ibadisme, une troisième voie pacifique
Oman a pour particularité d’être le seul Etat ibadite du monde. L’ibadisme est un rameau très ancien de l’islam, ni sunnite, ni chiite, mais kharidjite, qui signifie littéralement « ceux qui sont sortis », parce qu’ils ont refusé en 657 l’accord entre Ali, le gendre du Prophète, et son rival Muawiya, le premier calife des Omeyyades.
Navrés de voir le sang couler entre frères ennemis musulmans, aujourd’hui comme à l’aube de l’islam, les ibadites se réfèrent à un verset du Coran : « Lorsque deux nations de croyants se font la guerre, cherchez à les réconcilier. Si l’une d’entre elles agit avec iniquité envers l’autre, combattez celle qui a agi injustement, jusqu’à ce qu’elle revienne aux préceptes de Dieu. Si elle reconnaît ses torts, réconciliez-la avec l’autre selon la justice ; soyez impartiaux, car Dieu aime ceux qui agissent avec impartialité. » (Chapitre XLIX, 9).
Les Omanais sont fiers de leur islam modéré (ce qui n’empêche pas le rigorisme moral), qu’ils partagent avec quelques autres : leurs proches cousins de Zanzibar mais aussi, au Maghreb, les Mozabites, qui habitent les oasis du Mzab en Algérie, les Djerbiens en Tunisie, les habitants du djebel Nefoussa en Libye… Oman est le seul Etat musulman où l’ibadisme est majoritaire, partagé par la dynastie régnante et 75 % de la population. Cette exception religieuse permet au discret pays du sultan Qabous d’adopter un positionnement « non-aligné » dans la guerre froide que se livrent sur différents fronts l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite.
Dialogue des oulémas
C’est au début de la décennie 2000, dans un contexte de peur et d’hostilité envers l’islam, et de tensions en son sein, que les autorités omanaises ont pris l’initiative de créer un rendez-vous pour que les érudits musulmans, de tous les pays et de toutes les obédiences, puissent se parler (en arabe coranique, la langue commune). L’organisateur de l’événement est le Dr Abdulrahman Al-Salimi, aussi savant sur l’ibadisme médiéval (son sujet de thèse) qu’expert de la mise en relation entre gens peu habitués à débattre. Dans le christianisme, la démarche serait qualifiée d’oecuménique, à cette différence près que dans l’islam, la discussion porte non pas sur des points de théologie – par exemple la place du Saint Esprit dans la Trinité -, mais sur des points de droit – par exemple l’équité, la justice, le rôle des femmes…
En 2014, le thème de la conférence portait sur « les valeurs communes de l’humanité ». Pour la première fois, les savants musulmans venus d’Iran ou du Soudan, d’Algérie ou de Syrie, d’Arabie ou du Mali, des Etats-Unis ou de Russie, ont appelé de leurs voeux le respect des droits de l’homme, qu’ils reconnaissent à l’unanimité comme une valeur partagée du genre humain, et donc de l’islam. C’est très nouveau.
source :
par Sophie Gherardi
http://fait-religieux.com/monde/moyen-orient/2014/04/14/oman-troisieme-voie-moderee-de-l-islam-1-les-oulemas-et-l-humanite