Selon les croyances récemment énoncées par des groupuscules ésotériques, la montagne serait l’une des 12 portes intersidérales d’accès au monde parallèle, l’un des rares endroits sur terre à être sauvé de la fin du monde, le 21 décembre 2012. Au cours de ces dix dernières années, ce lieu est devenu un symbole de référence dans les réseaux dits de pratiques néo-ésotériques et néo-chamaniques.

Le petit village de Bugarach et ses 153 habitants sont le théâtre d’une affluence croissante de touristes mystico-spirituels. La réinterprétation de la prophétie maya par des réseaux New Age, présentant le pic Bugarach comme refuge avant l’apocalypse du 21 décembre 2012, est venue bousculer la tranquillité de ce village. Les télévisions du monde entier se succèdent dans la région, les autorités locales disent être débordées par ce phénomène, craignant une ruée de milliers de personnes pour la soirée du 21 décembre. Le maire J-P. Delord se déclare inquiet de risques de dérives sectaires, «il faudra peut-être faire appel au militaire afin de bloquer l’accès au village». Des personnes venues du monde entier viennent s’installer dans la vallée de Bugarach, des Américains, des Finlandais, des Polonais, des Anglais, des Canadiens… Certains y ouvrent des hébergements, des restaurants, d’autres surfant sur la vague ésotérique proposent des stages de méditation et de guérison en tout genre.

Mais comment s’est construite la réputation de ce village?

Le mythe Bugarach

Plusieurs éléments ont participé à la mythification de ce lieu. Tout d’abord, le passé cathare de la région et les interprétations historiques du début du 20ème siècle, liées à leurs connaissances spirituelles supposées, suscitent une fascination collective toujours d’actualité. Le mythe de la présence du Saint Graal dans les environs de Bugarach, notamment à travers la mystérieuse histoire du trésor de l’abbé Saunière dans le village de Rennes le Château, a participé à la renommée internationale de ce site pour les passionnés de trésors et d’ésotérisme. De nombreux ouvrages viennent alimenter les spéculations au sujet de trésors cachés: selon certains de ces auteurs, les soubassements du pic de Bugarach abriteraient le «fabuleux trésor des Wisigoths».

Dans les années 70, un nouveau thème vient se mêler aux croyances liées à ces lieux: un habitant de la région Jean de Rignies, est le premier témoin de la manifestation d’êtres extraterrestres. Les apparitions d’OVNIS se succèdent alors au-dessus du pic de Bugarach. Jean D’Argoun, auteur ésotérique et prophète du New Age, va développer le mythe extraterrestre en affirmant être rentré en contact direct avec des êtres divins venus d’une autre planète. Ces derniers lui auraient révélé l’existence d’une base extraterrestre ou plus exactement un «vaisseau issu de l’ancienne Atlantis» abritant le corps en léthargie du «dernier roi d’Arkha». Selon cet auteur, cette montagne fonctionne comme «un terminal qui permet de se connecter à la banque de données cosmiques «l’Akasha», la mémoire universelle, cette montagne représenterait donc le 7ème chakra de la planète, une porte suprême qui s’ouvre tous les 25000 ans» («Bugarach, le village qui attend l’apocalypse», France Culture, 22/07/2011).

Sous l’impulsion des publications de Jean d’Argoun, le tourisme spirituel se développe très vite au début des années 2000. Il ne faut pas attendre longtemps pour que certains New Agers fassent correspondre la fin du calendrier maya, le 21 décembre 2012, avec l’ouverture du vortex de Bugarach, qui permettrait d’ouvrir un tunnel dimensionnel, c’est-à-dire «une porte vibratoire» sur un autre univers. Le réseau internet diffuse ce mythe cosmogonique à tel point que le nombre de visiteurs se rendant au sommet du pic Bugarach est passé entre 2010 et 2011 de 10’000 à 20’000.

D’autres éléments, tels que l’originalité de différents lieux naturels de la région, concourent à la mythification de cette région. Le rapport à cette nature prétendue «magique» représente un véritable support de valeurs identitaires pour ses visiteurs. La forêt de Nébias, par exemple, ou chemin des fées, abriterait des formes de vies surnaturelles telles que des elfes, des lutins et des fées. De nombreux témoignages recueillis attestent en effet de la manifestation de ces êtres au travers de photos où apparaissent «d’étranges lumières bleues». Les «esprits gardiens» de cette forêt se seraient matérialisés sous forme de roches ou d’arbres aux formes anthropomorphiques. Le Mont Bugarach recèle aussi de nombreuses formes originales, certains y voient un bouddha, un personnage allongé regardant le ciel, un phallus… Ces éléments naturels conditionnent le regard et les représentations collectives, et ce rapport magique à la nature semble être partagé par la majorité des visiteurs.

Il faut dire que ce pic occupe une situation géostratégique dans la cosmogonie New Age, puisqu’il représente le point culminant d’une zone «magique et mystérieuse» s’étendant sur 80 km 2: Rennes le château et les mystères de l’abbé Saunière, le Mont Cardou où se trouverait le tombeau du Christ, Rennes les bains et ses lieux «d’énergie» (le fauteuil du diable, les roches à cupules).

Plus récemment, d’autres propagateurs du «mythe Bugarach» sont venus l’amplifier, notamment les différents guides spirituels officiant dans la région, qui mythifient cet espace à travers une publicité sensationnaliste sur internet. De nombreux auteurs ésotériques ont aussi su profiter de ce phénomène: des ouvrages comme Bugarach: la montagne sacrée, L’appel du Bugarach, Et Dieu créa Bugarach, La pierre noire du Bugarach, ont connu un succès étonnant. Selon Ph. Marlin, libraire à Rennes le Château, un nombre important d’ouvrage vont encore paraître durant l’année 2012. De nombreux DVD signés Debowska Production, installée à Rennes les Bains, traitant de la spiritualité et des mystères de Bugarach, contribuent à entretenir l’imaginaire mystico-spirituel relatif à cette région. À la fois vidéaste et acteur de ce phénomène, cette maison a invité de nombreux Amérindiens du Mexique et du Canada à venir sur les terres du Bugarach «afin de réveiller la mémoire des lieux» et y proposer des stages néochamaniques.

Cette construction mythologique contemporaine renvoie à deux démarches distinctes. La première relève de ce que l’on pourrait appeler des «sciences secrètes» à caractère conspirationniste, notamment de type ufologique, puisque de nombreuses personnes ont été témoin d’apparitions extraterrestres dans la région. On peut y ajouter les chercheurs de trésors développant les théories les plus étonnantes sur les trésors enfouis (Arche d’Alliance, trésors des Wisigoths, trésors des Templiers…).

La seconde peut se définir comme le courant de la spiritualité, de l’éveil, de la prise de conscience mystico-ésotérique, dont les acteurs sont issus principalement de la génération post-hippie. Cette population regroupe des néo-ruraux qui se sont installés principalement à Rennes les Bains et des touristes qui alimentent et diffusent les croyances et théories New Age dans le monde entier.

Les activités mystico-spirituelles

L’ascension du pic de Bugarach représente une des activités centrales des touristes mystico-spirituels de la région. Certains disent y monter pour «se ressourcer» et «se charger en énergie», d’autres y organisent des rituels néochamaniques. La montagne représente le centre névralgique de tous ces curieux, «là où nous pouvons changer notre attitude, et laisser derrière nous tous nos problèmes». D’ailleurs de nombreux autels, inscriptions gravées sur la roche, et autres offrandes attestant de l’activité au sommet du pic. Ces traces sont quotidiennement «nettoyées» par les autorités locales. Les habitués ont coutume de dire: «il faut se préparer psychologiquement avant l’ascension du pic, c’est bien plus qu’une montagne, c’est une entité qui permet à chacun de se recentrer sur lui-même».

Claudine, serveuse au Relais du Bugarach, est arrivée depuis six mois dans le village; elle avait entendu parler de Bugarach à la radio, «ça était comme une révélation, rien que la sonorité du mot Bugarach m’attirait, j’ai quitté mon mari, ma région, et je suis venu ici sans savoir ce que j’allais trouver. J’ai pris conscience que le temps était précieux, et qu’il fallait vivre pleinement ses rêves». Comme elle, de nombreux curieux en quête de sens ont répondu présent à «l’appel du Bugarach» (pour reprendre le titre d’un livre de Genny Rivière publié en 2011), mais la difficulté pour nombre d’entre eux était de trouver une activité économique leur permettant de s’installer à l’année à proximité du Bugarach. Comme dans le village de Wadley au Mexique, où j’ai pu étudier le phénomène du tourisme mystico-spirituel s’organisant autour du «Mont Quemado», certains nouveaux arrivants «formés» à la radiesthésie, à la géobiologie, au chamanisme, au reiki, au Qi gong, ont décidé de proposer leurs services de guides spirituels lors de stages «initiatiques». Moyennant 350 euros pour un stage de trois journées, l’ensemble des activités proposées oscillent entre des pratiques culturelles indo-asiatiques, amérindiennes, mais aussi néo-païennes et néo-cathares.

Sur internet, plus d’une dizaine de sites proposent des stages «initiatiques» à Bugarach: pour ces réseaux New Age, la toile du web représente un outil très efficace afin d’attirer de nouveaux clients. Par exemple, sur le site de Chrysalis: La métamorphose vers une nouvelle conscience, animé par Edmond, spécialiste en massage métamorphique, et Cathie, formatrice en reiki et channeling, différents stages sont proposés dont celui du «séjour méditation au Bugarach». Il représente un exemple typique de stage mêlant différentes traditions et courants de la spiritualité. Il commence par une séance de méditation afin de faire le point sur notre situation personnelle, et se nettoyer spirituellement avant de monter au Pic. Puis Edmond et Cathie nous guideront pour une marche méditative au sommet du Bugarach afin «d’élever notre taux vibratoire», et pour terminer les participants seront invités à effectuer une ultime «purification du corps et de l’esprit» au sein de la hutte de sudation, le sweat-lodge de tradition amérindienne.

Durant ces stages, les différents lieux «magiques» de la région sont utilisés à des fins différentes: le site des «roches tremblantes» permet par exemple un travail d’ancrage dans le sol afin de se décharger des énergies négatives, les rivières et fontaines naturelles servent à travailler sur les émotions, et d’effectuer un travail de purification de la personne depuis sa naissance et enfin le pic Bugarach afin de s’élever spirituellement et de se connecter à des dimensions parallèles.

D’après l’étude menée par Th. Gottin dans son ouvrage Le phénomène Bugarach, un mythe émergent (Paris, Ed. de l’Œil du Sphinx, 2011), les participants à ces stages sont composés à 80 % de femmes, âgées généralement entre 40 et 60 ans, et occupant des postes de cadre ou de professions libérales. Comme j’ai pu l’observer au Mexique lors de mon étude sur le tourisme néochamanique, les motivations des participants à ces stages «initiatiques» répondent et s’articulent autour de trois prérogativesen lien direct avec une situation de fracture sociale (travail, famille, amis, maladie, dépendance aux drogues):

* La recherche de sens qui peut se comprendre comme une tentative de ré enchantement du monde, c’est-à-dire de retrouver une forme d’interprétation magico-religieuse du monde extérieur et une meilleure compréhension de soi.

* La construction d’un univers religieux personnel qui peut se définir comme une individualisation de la construction religieuse où le sujet, régi par ses valeurs occidentales, choisit ses propres croyances et pratiques rituelles.

* Et enfin, la dimension thérapeutique, où l’appel des «esprits» et des «énergies de la terre» permettrait l’obtention d’une guérison aussi bien sur le plan psychologique que physique. Selon ces guides spirituels, l’efficacité thérapeutique réside dans l’éveil d’une mémoire ancestrale où «chacun possèderait une capacité spirituelle innée, réservoir d’un formidable potentiel d’auto-guérison» ( V. Basset, Du tourisme au néochamanisme: exemple de la réserve naturelle sacrée de Wirikuta au Mexique, Paris, L’Harmattan, 2011).

Les Monts sacrés: du Bugarach au Mexique, un lien qui a du sens

Ici ou ailleurs, des montagnes font l’objet de nouveaux cultes mystico-spirituels, et sont érigées, à travers un processus de réappropriation culturel et symbolique, en véritables «monts sacrés». Lorsque je suis parti au Mexique en 2001 pour y étudier le phénomène du tourisme mystico-spirituel dans une réserve naturelle sacrée, j’étais loin d’imaginer que tout près de chez moi, à moins d’une heure de route, un nouveau «mont sacré», le pic Bugarach, était en train de se faire une place dans la cosmogonie des réseaux New Agers et néochamaniques du monde entier, comme étant une des «12 portes intersidérales d’accès au monde parallèle».

Comme le Mont Shasta en Californie, ou Sedona en Arizona, les montagnes du Quemado dans l’Etat de San Luis Potosi au Mexique, et du Bugarach en France font désormais parties de «l’Atlas New Age des Haut lieux en énergie tellurique de la terre». La consécration de ces montagnes en tant que «monts sacrés» répond dans les deux cas à des processus similaires: le remodelage et le bricolage mythologique, l’appropriation par des populations non locales de rituels et croyances syncrétiques mystico-spirituelles, et la quête mystique et thérapeutique dont sont l’objet ces montagnes.

Projet filmique:
Vincent Basset et la vidéaste Guilia Grossmann préparent actuellement un docu-fiction sur Bugarach et la réserve de Wirikuta au Mexique, intitulé «Wirikuta, là où les dieux nous touchent», qui devrait sortir sur les écrans de télévision en 2013.

Vincent Basset, anthropologue à l’Université de Perpignan, spécialisé dans les thèmes du néochamanisme et du tourisme. Son travail de thèse portant sur le tourisme mystico-spirituel au Mexique a été publié en décembre 2011 à L’Harmattan: Du tourisme au néochamanisme: Exemple de la réserve naturelle sacrée de Wirikuta au Mexique.

source :
Religioscope
Vincent Basset (Université de Perpignan)
26 Jul 2012

http://religion.info/french/articles/article_577.shtml