Le visage de Maria Montessori sur un billet en lire italienne –
La pédagogie Montessori, très en vogue en France, est aussi devenue un argument de vente pour des produits parfois vendus très chers. Sauf qu’il n’existe aucune marque ou label déposé et qu’une myriade de jouets et meubles s’improvisent Montessori.
« L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit mais une source que l’on laisse jaillir ».
Tous ceux qui se sont intéressés de près ou de loin à la pédagogie Montessori sont tombés au moins une fois sur cette citation de Maria Montessori. Elle figure désormais en bonne place sur certains sites de vente en ligne qui proposent des jouets, meubles ou objets de toute sorte, estampillés du nom de la célèbre pédagogue italienne, décédée en 1952.
Un « label » parfois utilisé de manière très controversée. Car si la pédagogie Montessori a connu un vif succès en France ces dernières années, elle a aussi développé, en corollaire, un environnement commercial dynamique.
Dernier exemple en date, une collection de meubles Montessori proposée par La Redoute Intérieurs en partenariat avec Oriane Peillon, fondatrice des sandwicheries haut-de-gamme Pegast et devenue (après une formation en bonne et due forme) directrice d’une école Montessori à Paris.
Au total, dix meubles qui forment une « chambre montessorienne » divisée en 4 zones distinctes (éveil, soin, habillement et sommeil). Chaque meuble a une utilité sur le plan de cette pédagogie : un lit posé au sol volontairement ajouré aux bords pour offrir une vue dégagée ; une chaise évolutive avec des pieds qui s’allongent pour que l’enfant soit toujours à la bonne hauteur ; un miroir avec une barre d’appui qui encourage le bébé à se tenir debout… Tout est fait pour répondre aux codes Montessori.
Pour Oriane Peillon et la Redoute, cette collaboration est ainsi une façon de proposer de « véritables » meubles fidèles à la pédagogie de Maria Montessori.
Selon eux. Car la pédagogue n’a jamais souhaité déposer son nom. « Ce n’est pas un label donc on retrouve tout et n’importe quoi. C’est pour cela que l’on a créé cette collection » indique Oriane Peillon, pas avare en détails pour expliquer sa démarche.
Et cela se paye cher ! 149 euros pour la chaise, 239 euros pour le miroir et même 599 euros pour l’armoire penderie haute de 130 cm. Des tarifs haut-de-gamme qui ont déclenché les critiques et les railleries des réseaux sociaux.
Des prix élevés qui s’expliqueraient par la matière première choisie (du hêtre massif), et une fabrication en Europe (en Lettonie, précise la Redoute). « Je ne voulais pas une collection faite à moitié » se justifie de son côté Oriane Peillon, qui assume la grille tarifaire. « On a choisi des matériaux nobles » qui se cassent et s’abiment « pour montrer l’impact de ce que l’enfant fait » explique-t-elle, soulignant qu’ils avaient aussi opté pour une collection « écoresponsable ». D’ailleurs, le matériel Montessori utilisé dans les écoles, « ce sont des prix encore plus élevés » précise-t-elle.
Il faut dire que la pédagogie est plutôt destinée au famille aisées: les écoles sont hors contrat et la scolarité coûte parfois jusqu’à 10.000 euros par an et par enfant.
Une manière de jouer
La Redoute n’est pas la seule marque à vendre des objets estampillés Montessori. Nature & Découvertes le fait depuis 7 ans avec des jouets vendus sous sa propre marque. « Il existait déjà une offre sur des sites très spécialisés avec des prix très onéreux » se souvient Pierre André, chef de produit jeux-jouets de l’enseigne. « Nous voulions la rendre accessible pour tous ».
Une vingtaine de référence pour les 0-10 ans ont été développés à l’aide de Marie-Hélène Place, auteure de plusieurs ouvrages Montessori et spécialiste reconnue de la pédagogie. Chaque jouet (de 9,95 à 39,95 euros) est accompagné d’un livret d’apprentissage, censé donner la bonne marche à suivre pour utiliser le jouet selon la pédagogie. Au-delà des matériaux (sans plastique) et des couleurs (neutres pour éviter de distraire l’enfant), c’est donc toute une manière d’utiliser le jouet qui importe.
Du côté des industriels du jouet, la mode Montessori laisse d’ailleurs de marbre. « Dans l’univers du jouet, c’est assez marginal car les marques sont internationales » explique Franck Mathais, porte-parole de JouéClub, qui ne voit d’ailleurs pas beaucoup de différence entre un jouet classique et un jouet Montessori. « Tous les jouets sont adaptés à la tranche d’âge de l’enfant, avec des normes européennes de sécurité très sévères » tranche-t-il.
D’autant que des labels Montessori émergent un peu partout sur internet avec des prix parfois prohibitifs, comme cette « tour d’apprentissage », sorte de petit escabot en bois qu’on trouve facilement pour plus 200 euros. Les offres ne manquent pas y compris sur Amazon où on achète tout et n’importe quoi sous cette dénomination.
On trouve aussi facilement (et pour beaucoup moins cher) des meubles décrits comme Montessori sur les sites des grossistes chinois bien qu’ils s’apparentent surtout à du mobilier pour enfant au design scandinave léché.
Alors comment faire la différence ?
Entre un jouet Montessori et un jouet classique, « la frontière est assez fine » reconnait-on chez Nature & Découvertes. Il suffit de jeter un œil à la Marketplace de l’enseigne pour s’en rendre compte. Sur les 26.000 références proposées, environ 300 sont dans la catégorie Montessori avec parfois des produits suffisamment basiques pour s’interroger sur la pertinence de ce label qui n’en n’est pas un.
En quoi ce « balai en bois » de 65 cm de long à 13,90 euros est-il du matériel Montessori ?
« Balayer est l’un des premiers exercices de Vie Pratique parce qu’il nécessite des grands mouvements corporels » indique le vendeur. © Nature et Découverte
Chez Nature & Découvertes, on reconnait que « ce produit mériterait effectivement d’être retravaillé ». En réalité, ce sont des fournisseurs indépendants qui proposent leurs produits sur la marketplace de l’enseigne. « On est plus rigoureux sur les nouveaux partenaires et on a lancé un rattrapage sur l’offre existante » promet Margot Pouliquen, en charge de la marketplace depuis 2018, avec la tâche ardue d’écrémer les produits qui ne répondent pas à la logique montessorienne.
Même principe pour les prix. Comment justifier un prix de 58 euros pour des « barres rouges » en bois dont on ignore même l’origine ? Si la marque n’entend pas se priver d’une offre haut-de-gamme, en complément de la sienne, elle promet aussi que le distributeur devra revoir sa fiche produit.
Actuellement, trois fabricants dans le monde sont adoubés par l’Association Montessori Internationale (Nienhuis aux Pays-Bas, Gonzagarredi en Italie et Matsumoto Kagaku au Japon). Pour les autres, mieux vaut donc creuser la question en s’appuyant sur l’historique de la marque et sur l’écosystème qui l’entoure (livrets, références…).
source : Thomas Leroy Journaliste Le 04/09/2021 BFM BUSINESS