La statue de Gilbert Bourdin, gourou du mouvement du Mandarom, érigée sans permis de construire à Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, a beau avoir été dynamitée, le 6 septembre 2001, l’influence des sectes ne cesse de grandir.

La statue de Gilbert Bourdin, gourou du mouvement du Mandarom, érigée sans permis de construire à Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, a beau avoir été dynamitée, le 6 septembre 2001, l’influence des sectes ne cesse de grandir.

Alors que les mouvements sectaires surfent sur la crise sanitaire et ses conséquences, et que gourou et thérapeutes foireux prolifèrent dans les villes que dans les campagnes, la Miviludes, l’organisme d’État censé lutter contre le phénomène, est fragilisée. Les associations du secteur, elles, ont vu leurs subventions s’effondrer. Enquête.
Le confinement général a sonné le glas de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Créée en 2002, placée sous l’autorité du Premier ministre, elle est désormais pilotée par le seul ministre de l’Intérieur. Les agents ont été priés de déménager en catimini en moins de trois jours. Destination : un bureau de l’avenue de Ségur dépendant de Matignon dans des locaux exigus avant un nouveau changement d’adresse d’ici à deux mois. L’équipe passe de 14 à 8 membres, perd ses lignes téléphoniques fixes, ses ordinateurs et surtout de très précieuses archives accumulées. Unique au monde, la Miviludes permettait à l’État de traquer les sectes partout sur le territoire français.
C’est désormais l’heure de leur revanche. Dans les grandes villes, mais aussi et surtout en milieu rural. Là même où les services sociaux et les médecins de campagne se font plus rares, les gourous en tout genre pullulent : « C’est une défaite annoncée de la raison et de la science, clame Catherine Picard, à l’origine d’une loi portant sur le sujet des sectes en 2001, mais c’est aussi le triomphe de croyances qui mettent la démocratie en danger. Y compris au sommet de l’État. » La quasi-disparition de la Miviludes la laisse pantoise : « Sarkozy en rêvait, Macron l’a fait ! Ce n’est pas un problème financier : le budget de la Miviludes n’est que de 113.000 € annuels. Ce n’est pas un problème de nombre de fonctionnaires : ils ne sont que 15… C’est juste la fin d’une époque. Celle où l’on considérait que les sectes étaient des ennemies. »
Catherine Picard va jusqu’à soupçonner l’entourage d’Emmanuel Macron d’être « influencé » . Il y eut au gouvernement, comme ministre de la Culture, Françoise Nyssen, créatrice avec son mari d’une école Steiner, une école à la pédagogie dite « alternative » influencée par les thèses anthroposophiques. Le ministère des Solidarités et de la Santé abritait aussi récemment une conférence ouverte aux « médecines complémentaires et alternatives » organisée notamment par le chirurgien Philippe Denormandie, père de Julien, nouveau ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Quelques mois plus tôt, le 24 juin 2019, Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, a présidé une conférence sur le thème : « Pleine conscience : lever les doutes, ouvrir les perspectives » dans ce même ministère de la Santé. Depuis 2017, les députés peuvent également participer à des séances de « méditation pleine conscience ».
« Un comble, non, dans un État pour lequel la laïcité est l’un des socles de la République ? », s’interroge Catherine Picard. « C’est même une honte, murmure un député de l’opposition LR. Voir des élus de la nation pratiquer une forme de spiritualité active dans les salles d’un des palais de la République confine à l’absurde. » « Ce n’est pas vraiment le fruit du hasard, le phénomène sectaire n’intéresse pas Macron, martèle Catherine Picard. C’est un néolibéral qui se laisse influencer par des proches dont le discours est simple : “Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est donc autorisé…” »
MANQUE DE MOYENS
Quoi qu’il en soit, notre pays connaît un paradoxe : la Miviludes se retrouve affaiblie au moment même où les mouvements sectaires recouvrent de la vigueur. La crise sanitaire et ses conséquences économiques les y aident. Les méthodes de manipulation, elles, en revanche, sont assez classiques. « Ce sont toujours les mêmes techniques, raconte Aline, présidente d’une association dans le Var. Il ne se passe pas un mois sans que nous rencontrions une adolescente sous l’emprise d’un charlatan ; ou qu’un groupe de femmes soit victime de violences au sein d’une prétendue communauté sexuelle. » Et Aline de lister comment les gourous arrivent à leurs fins : « Abus sexuel, manipulation mentale, faux souvenirs induits, emprise monétaire, tout commence par une rupture, une souffrance dans la vie et un besoin de soutien : un licenciement, un divorce, une maladie, une dépression nerveuse, la perte d’un proche… Tout est prétexte à l’escroquerie. » Et ça peut aller très loin. Aline a dans sa ligne de mire un certain Thierry C. Un youtubeur dont les vidéos font un tabac et qui attire les foules lors de ses conférences : « C’est le “gourou du tout cru” qui prétend guérir les maladies les plus graves, y compris le cancer, en mangeant des légumes et des fruits non cuits. » Avec les réseaux sociaux, les « dérapeutes » – c’est ainsi qu’il faudrait appeler ces thérapeutes charlatans – peuvent démultiplier leur audience et leur pouvoir de nuisance : stages de méditation très coûteux, jeûnes aux prix exorbitants, essais de produits supposément bons pour la santé.
Un travail de sape psychocorporel et un endoctrinement psychospirituel, ce que confirme Pascale Duval, la responsable de la cellule communication de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), à Buchelay. C’est désormais ici, dans les Yvelines, que se trouve l’un des plus solides et efficaces outils anti-sectes. Née dans les années 1980, reconnue d’utilité publique depuis le milieu des années 1990, cette association accomplit un travail de fourmi. Et ça fonctionne… Scientologues, raëliens, Gilbert Bourdin et l’aumisme, rien n’échappe aux fins limiers de l’Unadfi: « C’était l’âge d’or de notre association, commente Pascale, Aujourd’hui, notre budget a été réduit d’environ 60 %. Nous pouvons encore tenir deux ans grâce à nos ressources propres. Ensuite ? C’est la bouteille à l’encre… »
Pour prendre conscience de sa valeur, il suffit de visiter le centre de Buchelay. Cinq permanents dans un grand bureau. Et surtout le « bijou » de l’Unadfi: une banale salle de réunion aux armoires bourrées de dossiers. C’est la mémoire des dérives sectaires en France : des escrocs à la petite semaine de la méthode Reiki aux tenants du « respirianisme », ces fameux « respiriens » qui jurent bien vivre sans boire ni manger, ou à peine. Plus récemment encore, ce sont des activistes végans radicaux et violents et la « mouvance évangélique » qui ne cessent de progresser partout sur la planète, y compris en France, qui sont venus grossir la documentation de l’Unadfi. Les dossiers s’accumulent au point que les lieux s’apparentent aujourd’hui à une sorte de bibliothèque nationale que le monde entier peut venir consulter grâce à un site et une revue, Bulles, mine de renseignements.
L’ARGENT AU CŒUR DU DÉBAT
L’argent manquant, l’Unadfise bat avec les moyens du bord, avec une nouvelle ligne directrice depuis l’arrivée de Joséphine Cesbron à la tête de l’association au printemps 2019 : « En France, on parle des sectes dans les médias et au niveau politique quand un drame se produit. Comme s’il s’agissait d’un gros fait divers, d’une catastrophe écologique, voire d’un attentat terroriste. Puis la tension retombe, comme s’il ne s’était rien passé. Ce temps-là est fini. » Joséphine Cesbron prône donc l’union sacrée et le rapprochement avec les magistrats « référents sectes » dans les tribunaux de grande instance et avec la cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires. Placé au sein de l’Office central pour la répression des violences aux personnes, ce groupe de quelques flics expérimentés fait un travail d’infiltration qui s’apparente parfois au boulot des services secrets français. « Notre objectif, conclut Joséphine Cesbron, c’est de comprendre la manière de fonctionner des gourous au plus près des victimes. D’aider ces dernières, de les accompagner sans jamais les abandonner. Et d’aller jusqu’au tribunal quand les délits sont passibles du pénal… »
Pascale et Joséphine veulent aussi s’allier à d’autres associations. Elles peuvent compter sur Annie Guibert, présidente du Centre contre la manipulation mentale (CCMM), installé à Paris, et sur ses 600 adhérents bénévoles. Encore une victime du gouvernement actuel. Car si l’Unadfitions, le CCMM, lui, a vu son budget fondre de 75% depuis 2018 : « Un crève-cœur, relève Annie Guibert, car les “grandes sectes” existent plus que jamais. Elles se développent pour faire de l’argent ou pour obtenir des faveurs sexuelles. Ceux qui m’inquiètent le plus sont les jeunes. Ils ne croient plus en rien. Ce qui permet de les exploiter, de leur apporter des réponses simples à des questions compliquées. Ils sont crédules et perdent leur esprit critique. » Les personnes âgées sont elles aussi des cibles privilégiées, solitude et problèmes de santé obligent. Selon Annie Guibert, « elles sont des centaines aujourd’hui à tomber sous le charme de gourous qui leur promettent des jours meilleurs. On invoquerait le diable pour ne plus avoir mal »… Et les maisons de retraite peuvent être des « terrains de chasse » propices : « Quand il y a un manque de vigilance dans certains Ehpad, s’inquiète Annie Guibert, tout le monde peut y rentrer. Ça peut aussi venir des familles elles-mêmes. Si une personne âgée reçoit sa fille par exemple, cette dernière peut lui conseiller de voir quelqu’un de la secte à laquelle elle appartient. » À moins que le loup ne soit déjà dans la bergerie, le personnel soignant pouvant appartenir à une mouvance sectaire. Sans oublier l’aide à domicile. Les Témoins de Jéhovah sont des rois en la matière. « Dans les campagnes, ils surveillent les avis de décès. Une vieille dame qui vient de perdre son mari. La famille est loin. Ils lui proposent de l’aider, de la soutenir. Dans leur croyance, il faut recruter avant la fin du monde. Avec, parfois, une tentative de captation d’héritage. »
ADVERSAIRE INATTENDU
Avant l’affaiblissement de la Miviludes, avant même la baisse des subventions aux associations, le mouvement anti-sectes a eu à affronter un adversaire inattendu. C’était en 2013 : « Une association, le Centre d’information et de conseil des nouvelles spiritualités [CICNS], a essayé d’imposer une sorte d’observatoire des mouvements alternatifs à vocation spirituelle, éducative ou thérapeutique, se souvient Annie Guibert. Un outil qui remplacerait la Miviludes, considérée comme un outil de propagande. » De nombreux signataires ont apporté leur soutien à la création de cet observatoire. Parmi eux, le désormais très célèbre Pierre Rabhi, agriculteur, essayiste, créateur du mouvement des Colibris, d’inspiration anthroposophe lui aussi, ou Philippe Leconte, président du conseil de surveillance de la NEF, une banque écolo et solidaire qui, si elle explique avoir pris ses distances avec l’anthroposophie, reconnaît sur son site Internet avoir « été fondée par des personnes inspirées par la pensée économique et sociale de Rudolf Steiner, un penseur fondateur du mouvement anthroposophique » .
Le CICNS n’est plus actif depuis 2013. Mais, selon les acteurs du secteur, la vigilance reste de mise. Pour Jean-Claude Dubois, président du CCMM Centre-Val de Loire, « la suppression de la Miviludes serait la victoire du lobby qui transpire derrière de nombreux signataires » . Pour d’autres, comme pour Olivier*, un ancien de la Miviludes aujourd’hui à la retraite, ce fameux observatoire a déjà gagné la bataille : « Ils ont intégré tous les cercles du pouvoir, œuvrent pour certains dans des think tanks qui imposent leurs points de vue aux intellectuels et à certains médias. D’autres, sous prétexte qu’ils sont paysans, philosophes et écrivains, sont devenus les coqueluches des médias. Pas touche aux nouvelles idoles ! Les sectes ont désormais le champ libre… »

* Le prénom a été modifié.

Source : https://www.marianne.net/