Alors que la campagne de vaccination contre le Covid-19 a débuté, les professionnels de santé doivent faire face aux attaques en ligne et désormais dans le monde réel de cette mouvance très active.
« Vaccin assassin », « médecins complices ». A Pontarlier, en Franche-Comté, des affiches explicites ont été placardées dimanche sur les portes vitrées du centre hospitalier et de l’Ehpad de la ville. Dans le Finistère, avant Noël, le même sort a été réservé à une maison de santé et à la pharmacie d’une commune de 2000 habitants. A Castres (Tarn), c’est un médecin qui a découvert à l’entrée de son cabinet un texte faisant référence au tribunal de Nuremberg après guerre et à la condamnation – et l’exécution – de médecins nazis. En plein lancement de la campagne de vaccination contre la Covid-19 en France et dans le monde, les soignants se retrouvent directement pris pour cible par les antivax.
« Nous avons franchi un cap. Nous étions jusqu’alors confrontés à des insultes et menaces par téléphone, par courrier ou en ligne. Désormais, les gens se déplacent », dénonce le Docteur Jérôme Marty. Le président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre (UFML), lui-même généraliste en Haute-Garonne, alerte depuis un mois sur ces attaques et conseille aux victimes de signaler les faits à la plateforme de police Pharos et de systématiquement porter plainte.
Cette évolution est d’autant plus préoccupante, complète Tristan Mendès-France, qu’elle suit un processus déjà à l’oeuvre ces derniers mois autour de la mouvance anti-5G radicalisée. « Ces derniers ont commencé par agir à travers un militantisme de clavier avant que leur action mute dans le monde réel notamment avec la destruction d’antennes-relais », explique le maître de conférences associé à l’université de Paris. Autre parallèle effectué par ce spécialiste de la culture numérique, l’assassinat aux Etats-Unis de médecins pratiquant l’avortement. Autant de « signaux inquiétants » et de « risques de dérives potentielles dangereuses » que charrie le discours radical anti-personnel de santé, dénonce-t-il.
« Messages agressifs, attaques personnelles »
Surtout, ces actions ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En ligne, l’effervescence des antivax est particulièrement forte depuis des mois et ses membres souvent très virulents. Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l’hôpital Bichat et très actif sur Twitter, en fait les frais depuis le début de la crise. Il a même déposé plainte auprès du parquet de Paris pour cyber-harcèlement et menaces. Une photo de son domicile a même récemment été publiée par un internaute sur le réseau social. Le médecin assure qu’à chaque tweet posté évoquant le vaccin contre la Covid-19, les prises à partie sont systématiques. « Les messages sont assez agressifs et les attaques personnelles, explique-t-il. Leur stratégie est d’essayer de décrédibiliser ou d’intimider. » Pas question pour autant de leur abandonner le terrain: « L’enjeu autour du vaccin est énorme. La mauvaise réaction serait de se laisser atteindre par ces désinformateurs et de quitter les réseaux sociaux. »
Pourquoi les médecins sont-ils ainsi pris à partie? « C’est le biais d’autorité. Les gens nous associent forcément à la vaccination car nous sommes les plus qualifiés pour en parler », estime « Dr Pepper », généraliste présent sous pseudonyme sur Twitter. Lui a fait le choix de l’anonymat car en une recherche google avec son nom et prénom, il est possible de retrouver son adresse, là où est domiciliée sa société. Sans pseudonyme, sa liberté de parole ne serait donc pas la même. Ce père de famille le sait d’autant plus qu’il a été menacé en ligne il y a quelques mois par un homme assurant qu’il allait enquêter, le « retrouver » et l’envoyer en réanimation avec ses proches. Après une lettre au procureur de la République et l’ouverture d’une enquête, il a été identifié et devrait comparaître devant le tribunal dans les prochains mois.
« On m’a traité de collaborateur, de nazi »
De quoi inciter certains à la prudence dans leur prise de parole en ligne. Mais la simple mention du vaccin suffit parfois à déclencher un flot d’insultes. « C’est une meute qui vous tombe dessus, tous plus agressifs les uns que les autres. Le risque, c’est de devenir une vraie cible », témoigne un autre professionnel de santé. Dans l’imaginaire d’une partie des antivax, les médecins sont payés par le gouvernement, sous la coupe des lobbies pharmaceutiques et de « Big Pharma ». « On m’a traité de collaborateur, de nazi », poursuit-il.
Si la campagne de vaccination cristallise les attaques, cela fait en réalité des mois que les soignants sont pris à partie en ligne, à chaque débat médiatique: hydroxychloroquine, masques, confinement… Le vaccin contre la Covid-19 n’est donc que le dernier sujet explosif d’une longue liste. « Les médecins ont toujours été attaqués sur ce type de sujets, analyse Tristan Mendès-France. La rhétorique antivax est accusatoire, c’est la désignation de responsables. Elle est hystérisée par de nombreux discours mis en avant sur internet, comme le documentaire complotiste Hold-up. »
Reste à savoir comment la situation va évoluer dans les prochains mois avec la montée en puissance de la campagne de vaccination et in fine l’accès au grand public. D’autant que le gouvernement a choisi sur le sujet de placer les médecins en première ligne, se faisant volontairement discret. « C’est la clé de la confiance », a estimé le ministre de la Santé Olivier Véran dans le Journal du dimanche. Contacté par L’Express, le ministère n’a pas répondu.