Exit les suicides collectifs et les statues géantes, les gourous next gen se sont fait guérisseurs. Et c’est pas mieux.

Non, les nerds en tongs de la Silicon Valley ne sont pas les gars les plus innovants du monde. Pas plus que les Instagramers ne sont les plus au fait des dernières tendances. En termes de capacité de renouvellement, ni les uns, ni les autres n’ont réussi à égaler les gourous de sectes.

Certes, la version « multinationale » a vécu : les Madarom et autres Réaliens ont perdu en influence. Mais les businessmen de l’angoisse existentielle se sont réinventés : désormais, le monde des sectes est éclaté, structuré en « un ensemble de groupes plus petits, plus discrets, mais présents dans tous les champs de la société. À commencer par la santé », explique Serge Blisko, le médecin à la tête de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Et de préciser : « Ils proposent une offre alternative à la médecine. Cela peut prendre la forme de régimes alimentaires, psychothérapies diverses voire de coaching ». Et ça marche : 46 % des « demandes d’avis » reçues par la Miviludes concernent des pratiques à caractère médical. Ce qui est plutôt inquiétant. Car si vénérer un Christ Cosmique n’est pas mortel à court terme, arrêter ses traitements pour boire du pipi, ou essayer de vaincre un cancer à la seule force du mental, peut avoir des conséquences désastreuses.

Bien sûr, à une époque où l’on se méfie des vaccins, de l’industrie pharmaceutique et de la composition du pinard, rien de surprenant à ce que les nouveaux gourous surfent sur nos inquiétudes sanitaires. Sauf qu’ils ont pris ce virage il y a 20 ans. À une époque où les publicitaires ne pensaient qu’à vendre des plats tout-prêts et des barres chocolatés à des humains pressés qui plaçaient la réussite sociale bien au-dessus du bien-être. Bref, bien avant tout le monde, ils ont transformé la remise en cause des institutions, la déshumanisation de la médecine hospitalière et un profond besoin d’être rassuré, en business florissant.

Ce constat fait, rappelons quand même que le commerce des soins est aussi vieux que l’humanité elle-même. De même que la science, par essence, avance en permanence et finit parfois par avaliser ce qu’elle méprisait quelques années auparavant. Et donc que toutes les méthodes dites parallèles ne sont pas des charlataneries. En fait, le ministère de la Santé – pas vraiment connu pour son progressisme sur le sujet – propose même des fiches détaillant les plus prometteuses.

Mais arrêtons-nous plutôt sur les autres. Celles qui dépouillent et qui mettent sous influence. Et qui ont, entre autres, tué Domizzio Danieli en l’incitant à refuser de traiter son cancer du cerveau ou cette Néerlandaise prénommée Jeannette en lui conseillant d’arrêter totalement de s’alimenter.

Plaie n°1 : ceux pour qui « Tout est dans ta tête, tu sais… »

Décodage biologique, biologie totale ou encore psycho-bio-thérapie, nombreuses sont les pratiques dérivant de l’idée suivante : la maladie, c’est dans la tête. En langage plus scientifico-compatible, cela revient à dire que les souffrances physiques sont causées par un conflit ou un choc psychologique. Et comme vous n’êtes pas foutus de le régler, il salope l’organe relié à la partie du cerveau concernée. En clair, si vous avez un cancer, c’est de votre faute. On appréciera la délicatesse des mecs qui, en plus de vous dépouiller et de vous dire d’arrêter votre chimio, n’hésitent pas à vous culpabiliser.

Sans surprise, ça leur a d’ailleurs couté quelques ennuis avec la Justice. « Ryke Geerd Hamer, l’homme à l’origine de la théorie derrière ces différents courants, a été condamné en 2004 à trois ans de prison ferme pour escroquerie et complicité d’exercice illégal de la médecin », rappelle Serge Blisko.

Surtout, ce dernier dénonce la dangerosité absolue de ces théories quand elles sont appliquées à des patients atteints de maladies mortelles : « Il n’y a absolument aucune preuve, aucune étude, allant dans ce sens. Rien. Et même s’il existe des cas rarissimes de rémissions spontanées, il y a surtout une quasi-totalité de cas où il n’y a pas de miracle. C’est pour cela que nos cimetières et nos hôpitaux sont remplis de gens qui ne sont pas parvenus à se guérir par eux-mêmes ». Bien sûr, votre vie vous appartient et libre à vous de miser sur les accidents statistiques.

Plaie n°2 : les gourous de l’assiette

C’est indéniable, il y a un lien entre notre santé et notre alimentation. Et comme nous en sommes plus conscients que jamais, une flopée de guérisseurs autoproclamés propose de nous guérir avec de la bouffe. Le plus souvent des légumes et des fruits. Là encore, si vous n’avez rien de grave, vous ne risquez pas beaucoup plus qu’une bonne grosse coulante. Par contre, si vous remplacez la chimio, la trithérapie ou les injections d’insuline par des carottes crues, ça risque de mal finir. D’autant que, selon Serge Blisko, aucun régime ne peut s’appliquer à tous. Il suffit de regarder à quel point nous sommes inégaux face à la bouffe pour le comprendre : « La réalité, c’est que nous sommes encore au début de la recherche sur la nutrition. De plus, sans analyse de sang, sans recherche approfondie sur le patient concerné, et donc sans notion de médecine profonde, il est impossible d’établir un régime adapté à la santé de quelqu’un. »

Parmi ces pratiques, on a une préférence pour l’« instinctothérapie », qui recommande de se limiter à une consommation d’aliments crus sélectionnés « à l’instinct », comme l’auraient fait nos ancêtres. Le concept est attirant (d’autant qu’il est très simple), mais il hérisse le poil du président de la Miviludes, qui rappelle : « le confort et la technologie modernes ont complètement modifié nos besoins ancestraux. Ils nous permettent donc de nous y adapter, bien plus intelligemment qu’en revenant en arrière ».

Plaie n°3 : ceux qui espèrent vivre d’amour et d’air frais

À toute tendance, il existe une contre-tendance. C’est ainsi qu’est né le respirianisme. Là encore, la théorie repose sur une idée simple : arrêter complètement de s’alimenter. Oui, oui. Certains assurent que l’on peut tout à fait vivre en ne se nourrissant que de la sorte d’énergie fondamentale présente dans l’air. Et ce, pour toujours. On est donc très loin du jeûne religieux et/ou spirituel – toujours raisonnable et limité dans le temps – présent dans de nombreuses religions. Par respect pour vous, on ne vous donnera aucun autre argument que les équations suivantes : ne pas manger = mort. Et, ne pas boire = mort encore plus rapide.

Plaie n°4 : Les tours operator du néo-chamanisme

Soyons clairs : se rendre au fin fond du Pérou pour prendre de l’ayahuasca sous la houlette d’un tour operator spiritualiste n’est pas forcément une bonne idée. « Au-delà des pépins physiques auxquels s’exposent ceux qui ne supporteraient pas l’ingestion, nous avons constaté un risque de problèmes psychiatriques lourds suite à ces expériences. Notamment des cas de suicides et de décompensation psychiatriques ». Quant à l’argument de la pratique millénaire, il disparaît à la seconde où vous réaliserez que ni vous, ni votre famille ne fait ça depuis des millénaires. Et que vous n’y êtes peut-être donc pas prêts, ni physiquement, ni psychologiquement.

Et une plaie en bonus : les bonimenteurs de la pisse

Enfin, à mi-chemin entre le statut de trolls ultimes et celui de recordmen de la plus belle arnaque de tous les temps, se trouve tous ceux qui prétendent nous soigner en nous faisant boire de la pisse. Relisez ces derniers mots. Encore une fois. Normalement, vous avez déjà envie de vomir. Mais le pire, c’est que cela pourrait même vous intoxiquer.

À titre informatif, précisons que cette pratique est tellement répandue qu’elle porte un nom : l’Amaroli. C’est plus chic que « boire son pipi » et ça pourrait vous servir en cas d’intoxication – pour ne pas mourir de honte devant un l’interne des urgences. Avant de succomber à une indigestion d’urine.

source :

https://www.vice.com/fr/article/a3akdk/mais-pourquoi-les-sectes-veulent-elles-nous-guerir?utm_source=vicefrtw

Jean-Baptiste Bonaventure

mai 30 2018, 6:05pm