Propulsé au Sénat en même temps que la loi immigration, le projet de loi de lutte contre les dérives sectaires y a subi quelques liftings malvenus selon les principales associations de lutte contre les dérives sectaires. Coup politique, mauvaise rédaction d’articles, pressions de l’extérieur… Les mouvements sectaires ont encore de beaux jours devant eux.
Peut-on déjà parler de pétard mouillé ? Élaboré à la suite des Assises contre les dérives sectaires qui se sont déroulées en mars 2023, le projet de loi de lutte contre les dérives sectaires du gouvernement, étudié par le Sénat en décembre dernier, se voulait être une réponse à l’augmentation du nombre de signalements effectués auprès de la Mission interministérielles de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) depuis la crise sanitaire du Covid-19. Problème : il s’est retrouvé vidé de sa substance par le Palais du Luxembourg provoquant l’ire des associations.
Sur les sept articles proposés, il n’en reste plus que quatre. L’article 1er du texte qui proposait de créer un nouveau délit de placement ou de maintien en état « de sujétion psychologique ou physique » ? Supprimé. « Le Conseil d’État avait donné un avis pourtant favorable à cet article, se désole auprès de Charlie Catherine Katz, présidente de l’Unadfi (Union nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes). Il était peut-être un peu trop généraliste dans sa formulation mais on aurait pu le modifier afin de restreindre son champ d’action plutôt que de l’enlever sans discussion possible. » De fait, rédigé tel quel, l’article 1 pouvait s’appliquer à diverses situations, des violences conjugales à l’autorité d’un professeur. Mais pour Catherine Katz, il aurait suffit de deux mots pour recadrer le débat : « manœuvre d’endoctrinement ». « À partir du moment où l’on parle d’endoctrinement, on ne parle, par exemple, plus de couple : le mari ou l’épouse n’ayant pas de doctrine ! Il y avait un double avantage à ajouter ces deux mots : cela limitait l’article aux dérives sectaires et c’était un langage juridique. »
L’article 2 qui instaurait une circonstance aggravante « d’abus de vulnérabilité » pour certaines infractions ? Supprimé. « Ces articles ont été supprimés car nous avons estimé en Commission des lois, puis en séance, que l’arsenal pénal existant permettait déjà de sanctionner les auteurs de ces infractions », justifie Lauriane Josende, sénatrice LR et rapporteuse du projet de loi. Si certains voient dans ces retoquages une volonté de « torpiller le gouvernement », pour cette dernière, celui-ci a surtout voulu aller trop vite mais pas assez fort : « Ce texte est là pour des effets d’annonce, il est trop prématuré. » Et de citer les travaux de Jacques Mézard, ancien sénateur et ministre et actuel membre du Conseil Constitutionnel. En 2013, l’ex-encarté au Parti Radical de Gauche avait ainsi produit un rapport de 300 pages contenant près de 40 propositions sur « l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé ». Las, le gouvernement n’a pas daigné piocher dedans.
La santé, ce point sensible
C’est précisément sur le domaine de la santé que les sénateurs ont fait de la résistance. L’article 4 du projet de loi, également supprimé, visait à punir d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ceux qui se rendaient coupables de « provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé des personnes visées alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elles, compte tenu de la pathologie dont elles sont atteintes, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique. » Comprenez : si un charlatan vous enjoint à abandonner votre chimiothérapie pour votre cancer du côlon pour la remplacer par du jus de carottes, c’est la sanction. Une disposition crucial dans une France post-Covid, où les charlatans se sont multipliés dans le domaine dit du « bien être », à grand renfort de théories du complot et de discours pseudo-scientifiques.
Mais pour le Sénat,cette disposition a été jugée non essentielle, les sanctions pour « exercice illégal de la médecine » ou de la pharmacie existant déjà. « Nous sommes dubitatifs, admet à Charlie Emmanuel, membre de l’association Gemppi qui lutte contre les dérives sectaires. Le Conseil d’État a estimé que cela ferait doublon avec les infractions déjà existantes mais l’article 4 ne recouvrait pas les mêmes faits. Selon eux, cet article priverait la liberté des individus de choisir leur parcours de soin, selon nous, il condamne les personnes qui produisent un discours mensonger d’abandon de soins. Nous ne visons pas les croyances, mais l’abus de croyance d’autrui. » Une analyse partagée par Catherine Katz : « Les enquêteurs spécialisés comptaient sur cet article. Les oppositions du Conseil d’État, puis du Sénat, sont, à mon sens, le fait d’une méconnaissance de ce qu’est une emprise mentale. »
Méconnaissance… ou complaisance ? Car légiférer sur le domaine de la santé entraîne systématiquement une levée de boucliers et tractations de part et d’autre. Lauriane Josende, elle, assume ses décisions : « Je comprends la colère des associations mais nous, notre travail c’est de dire quand les choses sont mal faites. On ne peut pas bricoler à la va-vite sur ce sujet. La meilleure chose à faire c’est de prendre le Code pénal tel qu’il existe et de renforcer la répression avec des peines complémentaires, avec le bannissement numérique par exemple. Le gouvernement nous parle de lutter contre les gourous 2.0 mais il n’y avait pas un mot sur les moyens d’usage numérique dans le texte ! » La sénatrice l’assure : la Commission a tout tenté pour trouver une nouvelle formulation à l’article 4 qui pourrait convenir à tous les sénateurs, sans succès. Et pour cause : selon Jean-Pierre Jougla, avocat et ancien vice-président de l’Unadfi, « tous les lobbies de dérives sectaires sont montés au créneau ».
Vous avez un mail non lu
Si Lauriane Josende affirme n’avoir cédé à « aucune pression » des lobbies, elle admet volontiers en revanche avoir été approchée. « Tous les sénateurs ont reçu des mails, principalement de la part des professionnels de la santé. J’ai moi-même découvert à cette occasion à quel point on touchait un sujet sensible. » Selon nos informations, les boîtes mails des membres du Palais du Luxembourg se sont remplies en un rien de temps… Comme avec ce mail issu d’un syndicat de médecins s’insurgeant que l’article 4 « compromet directement la pratique de la médecine par les médecins disposant d’une expertise particulière comme les acupuncteurs, homéopathes, etc. » et qu’il « pénaliserait également tous les lanceurs d’alerte ». Oui, vous avez bien lu : un syndicat de médecins défendant des pratiques alternatives et non scientifiques comme l’acupuncture et l’homéopathie.
Cette analyse, on la retrouve dans l’amendement demandant la suppression de l’article 4 déposé par le sénateur LR Alain Houpert. Ce même Alain Houpert qui, en 2020, apparaissait dans le documentaire complotiste Hold-Up pour y appeler les médecins à « se rebeller ». Fervent défenseur de Didier Raoult et lui-même médecin radiologue de formation, le sénateur, qu’un parlementaire décrit à Charlie comme « complètement conspirationniste », avait fait parler de lui pendant la crise sanitaire en conspuant la gestion de la crise sanitaire par les pouvoirs publics, tout en soutenant le mouvement Laissons-les prescrire, qui défendait un traitement à base de miel, de vitamine D, d’azithromycine et d’hydroxychloroquine contre le Covid-19.
Cet engagement lui vaudra une interdiction d’exercice de la médecine pendant neuf mois par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Bourgogne-Franche-Comté pour « fautes déontologiques ». Contacté par Charlie, le sénateur affirme « toujours refuser de laisser les lobbyistes, qu’ils soient citoyens ou économiques, influencer ma position sur des articles de loi ». Pour lui, cet article 4 « constituait une atteinte grave à la liberté d’expression mais aussi à la réflexion scientifique ».
En parallèle de ces mails intempestifs, et des sénateurs qui reprennent leurs arguments, il existerait, selon Francine Caumel, vice-président du CCMM (Centre contre les manipulations mentales), « des pressions » insidieuses : « J’ai été très troublée d’apprendre l’existence d’une pétition initiée par le CAP LC (Coordination des associations de particuliers pour la liberté de conscience, ndlr) qui milite pour que les articles supprimés ne réapparaissent pas dans la version votée par l’Assemblée Nationale ». Le CAP LC, organisation non gouvernementale européenne proche de la Scientologie, fait ainsi partie d’une myriade d’organisations qui, sous couvert de la défense des libertés religieuses, vise à légitimer les sectes comme étant de simples collectifs convictionnels.
La prévention à l’ordre du jour
Est-ce à dire que le projet de loi, étudié en ce moment même par l’Assemblée nationale, a été vidé de sa substance ? C’est « oui » pour Jean-Pierre Jougla, qui estime que « les articles retenus sont purement démagogiques ».Plutôt « oui mais » pour le Gemppi qui se félicite des ajouts au texte conférant enfin un statut législatif à la Miviludes : « La loi, si elle est votée, rendra indépendante la Miviludes et non plus sous le boisseau du ministère de l’Intérieur. C’est important, cela permet de la pérenniser car on ne sait jamais qui sera au pouvoir demain et de lever tous doutes sur leurs actions. » Une disposition qui vise à redonner du pouvoir à une institution, jadis directement rattachée au Premier ministre et rétrogradée sous le ministère de l’Intérieur peu avant la crise du Covid. Inscrite dans la loi, la Miviludes aura plus de mal à disparaître : pour l’heure, il suffit d’un simple décret pour l’éjecter.
Même son de cloche chez Charline Delporte, présidente du Caffes (Centre national d’Accompagnement Familial Face à l’Emprise Sectaire) qui espère désormais que 2024 rimera avec « prévention » : « Les gens sont bien sensibilisés aux ravages de la drogue ou au harcèlement scolaire par exemple. Alors à quand une vraie campagne de prévention contre les dérives sectaires ? Il est urgent de faire de la sensibilisation, surtout avec les Jeux Olympiques qui arrivent. Certains mouvements attendent déjà impatiemment devant le Stade de France ! »
source : CHARLIE HEBDO
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