Elle est « anéantie ». Son fils, Xavier Dupont de Ligonnès, dont on a perdu la trace le 15 avril à Roquebrune-sur-Argens (Var), est toujours activement recherché. Geneviève, elle, ne quitte plus son appartement versaillais. Mais l’histoire familiale est passée au crible. Cette dame « très croyante », engagée dès l’âge de 7 ans dans la « croisade eucharistique », se voit aujourd’hui pointée du doigt. Soupçonnée d’avoir fondé un groupe sectaire. Et élevé son fils dans un climat « anxiogène ».
Depuis des années, l’octogénaire affirme recevoir des messages de Dieu. Des textes qu’elle copierait en onciale*, sur des cahiers, au feutre bleu ou rouge. Ces « révélations » seraient ensuite données à ses proches dans un classeur plastifié. Les premières datent de 1971-1972. Elles auraient été réunies dans un livret, Message d’amour et de miséricorde, œuvre de rédemption, tiré à 11.000 exemplaires en 1974. Le chanoine Ridolfi, directeur de conscience de Geneviève, aurait par la suite validé leur caractère sacré.
Parole divine
En 1979, quand ce chanoine rapporte un miracle – une statuette du Christ pleurant des larmes de sang – Geneviève et ses amis y croient. À la mort du prêtre, en 1987, la « messagère » continue à porter la parole divine au sein de son groupe de prière, baptisé « Philadelphie ». Ou encore « le Jardin », chaque membre portant un nom de fleur : Pensée, Violette…
Une partie de la famille de Geneviève, peu portée sur ce type de spiritisme, préfère couper les ponts avec la « messagère ». Xavier, lui, grandit dans cette foi. En mars 2010, il en aurait d’ailleurs parlé sur un site Internet, sous pseudo : « Je faisais partie d’un petit groupe de personnes regroupées autour d’une ‘messagère’ recevant des ‘révélations privées’ […] Il était hors de question d’imaginer que cette messagère puisse simuler ou être folle : c’était ma propre mère. »
L’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) affirme, elle, avoir eu connaissance du groupe en 1995. Pointant « de nombreux critères de type sectaire : domination d’une personne sur les membres du groupe, escroquerie mentale et financière, rupture avec la famille… ». Quelques personnes rompent avec Geneviève à ce moment-là. Les témoignages alors recueillis évoquent « une tendance à se couper de leur entourage », une femme « froide, possessive et très manipulatrice ». Un père de famille avait même confié que, s’il était resté dans ce milieu, il aurait certainement été amené à détruire son ménage et toute sa vie sociale pour obéir aux fameux « messages ».
D’après des propos tenus en 1995, Geneviève de Ligonnès « considère que Dieu est père et mère à la fois, que Lucifer a été pardonné, qu’il n’y a plus d’enfer. Un melting-pot d’hérésies que les membres écoutent comme des paroles d’évangile ». La doctrine est jugée à ce point délirante qu’à l’époque le service psychiatrique des hôpitaux de Rennes et le procureur de la République d’Avranches (Manche) sont avertis. L’Unadfi a été à nouveau saisie par des familles sur ce dossier ces deux dernières années.
« Nécessité des sacrifices? »
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) évoque elle aussi « un groupe de prières fermé, initié par Geneviève Dupont de Ligonnès », avec des « risques de dérives sectaires ». Xavier, estime son président Georges Fenech, a « certainement baigné dans ce climat très mystique, très anxiogène sans doute ». Une éducation qui a pu laisser des traces. Si le fuyard ne croit plus, il s’interrogeait encore, semble-t-il, en avril 2010, toujours sur Internet… sur la « nécessité des sacrifices » : « En quoi Dieu a-t-il besoin, ou envie, qu’on Lui offre la mort d’une bête, d’un enfant, d’un homme… de son fils? »
Autour de Mme de Ligonnès, la défense s’organise. « Geneviève n’a rien d’un gourou. Elle vit sa foi, retirée dans sa famille à Versailles. Elle n’a pas de vie mondaine et ne reçoit aucun groupe à son domicile », réplique son avocat, Stéphane Goldenstein. Des dons? « Il n’y a jamais eu de distribution monnayée de messages. » Les déscolarisations? « Des parents ont retiré deux enfants de l’école, mais ils ont suivi des cours par correspondance. Il n’y a pas eu de répercussion sur leurs études. » Des ruptures professionnelles? « Il y a eu un cas en 1995, sur la base d’un enthousiasme excessif. Mais la personne a repris le travail huit jours après. »
Problème de garde d’enfants
Quant à l’Apocalypse, un ami de Geneviève se veut rassurant : « Le message d’amour et de miséricorde, a été défini comme relevant du genre apocalyptique par le chanoine Ridolfi. Mais c’est loin d’être anxiogène. Cela véhicule une espérance quotidienne, telle l’attente du Messie chez les juifs pieux. » Au final, le groupe, qui rassemble aujourd’hui une dizaine de personnes, n’aurait donc, estime-t-il, rien de sectaire. Les accusations sur ce thème, assure un proche de la « messagère », auraient débuté à un moment où la famille se déchirait pour un problème de garde d’enfants. Le juge, saisi en 1987, n’avait pas jugé cela inquiétant : « Dès lors qu’une pratique religieuse ne crée pas de troubles graves à l’ordre public, il n’y a pas lieu de porter une appréciation quelconque sur celle-ci. » Après le drame de Nantes, on peut s’interroger…
* Écriture en capitales aux contours arrondis, utilisée du IVe au VIIe siècle.
Source : Le Journal du Dimanche – Dimanche 22 Mai 2011 par Marie Quenet –