La décision des facultés de médecine de Lille et d’Angers de suspendre ou d’arrêter l’enseignement de l’homéopathie, et celle d’une pharmacienne, en Allemagne, d’interrompre la vente de produits homéopathiques, bouleversent les consciences.
La Faculté de Médecine de l’Université de Lille, dans le nord de la France, a annoncé début septembre que son université ne dispenserait pas de diplôme universitaire d’homéopathie pour l’année en cours. Cette décision a été prise « dans le cadre d’une réflexion scientifique et pédagogique », indique le professeur Didier Gosset, doyen de la faculté, cité dans Le Figaro. « Force est de constater que nous enseignons une médecine fondée sur les preuves – on tient à une rigueur scientifique, absolue -, et force est de constater qu’en parallèle l’homéopathie n’a pas évolué, que c’est une doctrine qui est restée en marge du mouvement scientifique, que les études sont rares sur l’homéopathie, qu’elles sont peu solides, maintenir notre enseignement serait le cautionner », explique-t-il.
Il ne s’agit pour l’instant que d’une suspension temporaire. Comme précisé dans un tweet publié le 31 août sur le compte @medecine_Ulille, la faculté de médecine attend que la Haute Autorité de Santé (HAS) prenne position sur l’encadrement de cette pratique et de son enseignement. Son avis est attendu d’ici à la fin février 2019.
En attendant, après l’université de Lille, celle d’Angers vient d’annoncer sa décision de prendre elle aussi ses distances avec cette pratique médicale, et son enseignement. Le vice-doyen de la faculté de médecine d’Angers, Frédéric Lagarce, l’a annoncé sur les réseaux sociaux en ces termes : « juste un petit mot pour vous annoncer que la Fac d’Angers supprime définitivement le DU d’homéopathie ». Donc, sans attendre, de toute évidence, l’avis de la HAS.
Tribune contre les « médecines alternatives »
Au lendemain d’une tribune publiée le 18 mars sur Le Figaro, signée par 124 professionnels de santé, le ministère de la Santé a demandé à la HAS de se prononcer sur l’efficacité de la pratique homéopathique et le système actuel de remboursement des produits homéopathiques en France. Dans leur tribune, les signataires, qui ont également lancé le site web No #FakeMed, alertent sur la tentation de pratiquer des soins médicaux « sans fondement scientifique ». Cette tentation « a toujours existé », affirment-ils, elle « a été, et est toujours, nourrie par des charlatans en tout genre qui recherchent la caution morale du titre de médecin pour faire la promotion de fausses thérapies à l’efficacité illusoire ».
Les professionnels de santé rappellent que les Codes de déontologie des professions médicales et le Code de la santé publique « interdisent le charlatanisme et la tromperie » et « imposent de ne prescrire et distribuer que des traitements éprouvés ». Ils dénoncent également des remboursements de 30%, voire 90% dans certains cas, comme en Alsace-Moselle. « Ceci finance une industrie prospère dont les représentants n’hésitent pas à insulter gravement ceux qui les critiquent », déplorent les auteurs de la tribune. Ils citent à ce propos une interview publiée en 2015 dans le journal lyonnais Le Progrès avec le directeur général des Laboratoires Boiron – le leader mondial des préparations homéopathiques – Christian Boiron, 71 ans, selon lequel il existe « un Ku Klux Klan contre l’homéopathie ». Ce dernier a récemment annoncé son départ du groupe familial au 1er janvier 2019.
Examen de conscience
Alors que les médecins homéopathes ont déposé des plaintes auprès de l’Ordre des médecins envers les 124 signataires (aujourd’hui plus de 3.000), qualifiant leur tribune d’ »insultante et anti-confraternelle », un article publié le 13 août sur Neonmag rappelle que quatre Français sur dix ont recours aux « médecines alternatives et complémentaires » (MAC) et que la confiance vis-à-vis des généralistes et spécialistes a diminué respectivement de 2 et 4% par rapport à 2015.
Le succès des traitements alternatifs, relève le site, devrait inciter la médecine classique ou allopathique à un examen de conscience. « Les polémiques autour du lévothyrox, de la Dépakine ou le vaccin Meningitec ont alimenté la méfiance des Français », explique l’article. De plus, il est constaté que les patients rejettent de plus en plus le paternalisme, voire l’attitude « maltraitante » d’une partie du personnel médical. « Nous avons en France une médecine psychologiquement légère », estime Serge Blisko, président de la Miviludes (l’organe interministériel de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). Il invite les médecins à prendre le temps de « parler aux gens ».
Le débat en Allemagne
Même dans la mère patrie de l’homéopathie, l’Allemagne – le fondateur, Christian Friedrich Samuel Hahnemann, est né en 1755 à Meißen, en Saxe – la question fait débat. Un débat animé dans lequel est entré l’ancien ministre fédéral de la famille, Kristina Schröder (CDU), qui a publié le 9 août dans Die Welt un article au titre évocateur Homöopathie ist Mumpitz – und gefährlich, c’est-à-dire « L’homéopathie est stupide – et dangereuse ».
Alors qu’une étude de l’Université Johannes Gutenberg à Mayence, publiée dans la revue Social Psychology, affirme que ceux qui croient aux théories du complot seraient plus enclins à recourir à un naturopathe, le débat s’est rallumé après la décision de la propriétaire d’une pharmacie à Weilheim (Haute-Bavière), Iris Hundertmark, de ne plus vendre de remèdes homéopathiques, par souci « d’honnêteté ».
« Il n’y a aucune preuve scientifique que ces remèdes homéopathiques sont efficaces », estime la pharmacienne. Elle a donc décidé de continuer à les vendre, mais seulement sur commande et prescription médicale. Interviewée par le Münchner Merkur, Iris Hundertmark constate que beaucoup de gens confondent l’homéopathie avec la phytothérapie, c’est-à-dire avec la thérapie des plantes médicinales, alors qu’un monde sépare ces deux branches. Elle rappelle que « les médicaments à base de plantes contiennent des ingrédients actifs mesurables ».
Quelques réactions
Pour le Dr Karl Breu, porte-parole des médecins du Landkreis de Weilheim-Schongau, en Bavière, la décision d’Iris Hundertmark est la « conséquence logique » du débat qui agite l’Allemagne en ce moment. Selon des directives de l’Ordre fédéral des pharmaciens, rappelle-t-il, « les pharmacies ne peuvent vendre que des médicaments dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée ».
Porte-parole des pharmaciens du district régional et membre du Conseil pharmaceutique de Haute-Bavière, le Dr Wolfgang Kircher, est quant à lui plus critique. Il se dit troublé par le « caractère absolu de l’argument émis par la pharmacienne ». Il y voit une « généralisation ». Et les généralisations, dit-il, « sont tout aussi ascientifiques ». Oui, reconnait-il, certaines préparations sont probablement « discutables », mais « c’est au pharmacien responsable de distinguer les différents remèdes et d’en informer le client ».
Pour Matthias Riemerschmid, naturopathe au Penzberg, « les concepts et les opinions médicales peuvent aussi coexister pacifiquement », chose que « presque personne ne semble avoir remarqué », relève-t-il. Il suffit selon lui, de « bien connaître les possibilités, mais aussi les limites des deux procédés ». Et il cite l’exemple d’un « appendice perforé » qui est un cas de médecine d’urgence, face aux maladies chroniques qui « peuvent certainement être traitées par la naturopathie ou l’homéopathie ».
De l’autre côté de la Manche
En Grande-Bretagne aussi, le climat n’est pas des meilleurs pour ceux qui affectionnent l’homéopathie. Y compris les membres de la famille royale, comme le prince Charles, qui s’occupe également des animaux de sa ferme à Highgrove en leur servant des préparations homéopathiques. Le mois dernier, la dernière entreprise de santé régionale à fournir encore des soins homéopathiques en Angleterre dans le cadre du National Health Service (NHS), a annoncé la fin de ce service.
Comme l’a rapporté la BBC, le Clinical Commissioning Group (CCG) responsable de la région de Bristol, North Somerset et South Gloucestershire a décidé de mettre fin aux traitements homéopathiques financés par le Service Sanitaire National, sauf en cas de « circonstances exceptionnelles ». En avril dernier, le Royal London Hospital for Integrated Medicinea pris le même chemin. Le seul à pratiquer encore ces traitement est le Glasgow Centre of Integrative Careen Écosse.
source :
Paul De Maeyer | 11 septembre 2018 aleteia.org