{Sandrine Briclot, le jeudi 13 août 2009}
{{« La prise de conscience de la réalité du phénomène sectaire en France, et de ses dangers, est directement liée à la survenance de faits divers particulièrement sordides, dont le plus emblématique fut probablement le double massacre de l’Ordre du Temple solaire en 1994 et 1995 » (extrait du rapport parlementaire présenté le 21 juin 2006 à l’Assemblée nationale par Georges Fenech, député et magistrat, actuel président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, Miviludes). Voici l’histoire.}}
Le vallon porte un nom à faire fuir. Mais cela, Robert Arnaud n’en a cure : le chasseur aime arpenter le Trou de l’Enfer, niché dans la forêt de Saint-Pierre-de-Chérennes (Isère), pour y traquer le sanglier. Ce samedi 16 décembre 1995, la neige fraîchement tombée ne l’arrête pas non plus. Arrivé sur le parking du foyer de ski de fond, point de départ de sa battue, Robert Arnaud range son auto à côté de quatre autres véhicules – « Trois étaient immatriculées en Suisse, une autre dans le Vaucluse », confiera-t-il à Serge Pueyo, l’envoyé spécial de France-Soir.
Le samedi suivant, 23 décembre, le chasseur remonte au Trou de l’Enfer. Sur sa route, d’ordinaire déserte, il croise une flopée de gendarmes. Les militaires, eux aussi, se sont étonnés de la présence des voitures « étrangères », toujours garées. Et ils sont sur les dents depuis le coup de fil de leurs homologues helvétiques. Les Suisses sont formels : les berlines appartiennent aux membres d’un mouvement à caractère sectaire, l’Ordre du Temple solaire (OTS). Seize personnes, selon eux, sont portées disparues depuis quelques jours.
Le Temple solaire. Ç’aurait pu être le titre d’une nouvelle aventure de Tintin reporter mais, malheureusement, il n’en est rien. L’Ordre est en effet placé sous haute surveillance des services de renseignement suisses depuis les hécatombes de Cheiry et de Granges-sur-Salvan, l’année précédente. Le 5 octobre 1994, les policiers avaient fait de macabres découvertes dans ces deux villages, distants de 120 kilomètres. A Cheiry, dans le canton de Fribourg, les secours avaient extrait 23 corps calcinés d’une grange incendiée. Les victimes avaient les mains liées et un sac plastique autour de la tête… A Salvan, dans le Valais, deux chalets ont brûlé. A l’intérieur : 25 cadavres. Parmi eux, Joseph Di Membro, 60 ans, et Luc Jouret, 49 ans. Les deux hommes étaient les fondateurs de l’Ordre du Temple solaire, un groupe ésotérique qui dit perpétuer le cérémonial moyenâgeux des Templiers et verse, en réalité, dans le prêche apocalyptique. Leur credo : rejoindre Sirius – une étoile où siégeraient les maîtres invisibles de l’OTS – avant la fin du monde, prévue, selon les gourous, en 1998… Un voyage sans retour que seul permet un « suicide » collectif.
Le 5 octobre 1994, toujours, cinq autres adeptes de l’OTS trouvaient la mort à Morin Heights, au nord de Montréal (Canada). Parmi eux, un bébé et ses parents, visiblement victimes d’un meurtre rituel.
Dans le massif du Vercors, les gendarmes sont donc sur le qui-vive. Et si la France était à son tour touchée par la folie mystique ? Un hélicoptère est affrété ; il survole le Trou de l’Enfer. Quelques minutes plus tard, le pilote donne l’alerte : seize corps jonchent le sol de la clairière. Treize adultes et trois enfants, étendus autour des restes d’un brasier éteint, comme les rayons d’un soleil noir. Parmi eux, Patrick, 26 ans, fils du célèbre champion olympique de ski Jean Vuarnet, et sa mère Edith, 61 ans. Autour du foyer, des revolvers, des fusils et un bidon d’essence. Comme à Salvan et à Cheiry, certains adeptes ont été assassinés par d’autres qui, ensuite, se sont suicidés. C’est ce que conclura l’instruction du dossier en France, tandis qu’au Canada cinq autres personnes trouvaient la mort dans les mêmes circonstances.
La justice s’interrogera en outre sur le rôle d’un « troisième homme ». Michel Tabachnik, célèbre chef d’orchestre, ne cachera pas avoir assisté à certaines cérémonies de l’Ordre. « Mais je n’ai jamais été impliqué dans ce qu’on pourrait appeler la hiérarchie de l’OTS », martèlera-t-il. Poursuivi pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre des assassinats », Michel Tabachnik sera relaxé par le tribunal correctionnel de Grenoble en juin 2001. Un jugement confirmé en appel en décembre 2006. Officiellement, l’Ordre du Temple solaire n’existe plus. Au total, la secte aura entraîné pas moins de 74 hommes, femmes et enfants dans ses « transits vers Sirius ».
Edition France Soir du jeudi 13 août 2009 page 12