CHRONIQUE / En 1976 et 1977, un meurtrier en série sème la terreur à New York. Ses victimes sont principalement de jeunes femmes brunes. Sa signature: des balles de calibre 44, rarement utilisées dans ce genre de crimes.
Le meurtrier cible aléatoirement des femmes de 18 ou 19 ans et des couples qui s’embrassent dans leurs voitures. Il s’amuse à semer des pistes en expédiant ici et là des lettres manuscrites.
L’histoire est suivie comme un feuilleton partout dans le monde.
Après des mois de recherches, la police met la main au collet de David Berkowitz, qui répond simplement: «Vous m’avez trouvé.» En pleine année d’élection, le maire de New York s’en glorifie et tout le service de police bombe le torse de fierté devant ce coup fumant. New-yorkais, n’ayez plus peur, dormez tranquilles.
Considéré par ses voisins comme «un homme gentil», Berkowitz était un postier de 24 ans, qui avait fait son service militaire. Il prétendait que Satan lui parlait à travers le chien du voisin, Sam Carr, pour lui ordonner de commettre ses crimes. Une histoire à dormir debout, qui contribuait à rendre le personnage encore plus dérangé et monstrueux.
Le «fils de Sam» était trouvé, il a avoué ses crimes, aussi bien clore le dossier au plus tôt, question de dissiper toute inquiétude dans la population.
Maury Terry, un employé de IBM et journaliste indépendant, ne se contente pas de ce dénouement un peu simple. Disponible sur Netflix depuis une semaine en anglais et en français, la minisérie documentaire Les fils de Sam: l’horreur sans fin (The Sons of Sam: A Descent into Darkness) raconte sa quête de la vérité, à laquelle il consacrera tout le reste de sa vie. Une quête obsessionnelle, oui, mais non moins rigoureuse.
Comme dans tout bon true crime, on découvre que l’enquête policière a été bâclée et qu’on a levé les yeux sur des indices importants.
Constatant que les différents portraits-robots constitués après chacun des six meurtres ne ressemblent pas du tout à Berkowitz, Terry conclut que d’autres individus étaient impliqués dans cette série de meurtres; il y aurait eu plus d’un «fils de Sam».
Des indices trouvés dans les lettres du tueur le mènent vers une thèse voulant qu’il était sous l’emprise d’une secte satanique, The Process Church, à laquelle était associée le célèbre criminel Charles Manson.
La série de quatre épisodes d’une heure est captivante et se regarde bien d’un trait. Par un drôle de procédé et parce que le principal intéressé est aujourd’hui décédé, on a confié la narration à l’acteur Paul Giamatti, qui personnifie Maury Terry. C’est comme si le journaliste nous racontait l’histoire, telle qu’il l’a vécue.
Plusieurs de ses collègues et amis témoignent, sans complaisance. Son ex-épouse admet que l’affaire a détruit leur couple. Terry ne vivait que pour cette enquête, 24 heures par jour.
D’autres admettent qu’il a perdu les pédales, qu’il a fait de mauvais choix, notamment en acceptant les invitations aux talk-shows les plus sensationnalistes de l’époque.
Cette instrumentalisation du phénomène a certainement contribué à miner sa crédibilité, à le faire passer pour un illuminé, de la jaquette de son bouquin The Ultimate Evil, hyper criarde, jusqu’à ses empoignades verbales à l’antenne avec des animateurs avides d’attention. On sent à un certain moment que tout ça dérape, même lorsque Terry parvient à obtenir des entretiens en prison avec Berkowitz.
Riche en images d’archives, Les fils de Sam: l’horreur sans fin nous replonge dans le New York du milieu des années 70, une ville alors en très mauvaise posture, où on dénombrait jusqu’à 11 000 crimes graves par année.
À travers les épisodes, on croit puis on doute des versions soulevées par Maury Terry. À la caméra, un chef de police de l’époque ridiculise encore aujourd’hui sa thèse voulant que Berkowitz ait agi avec des complices.
C’est aussi le portrait d’une presse en pleine transformation à New York, dans ces années où trois quotidiens se disputent la faveur populaire: le Times, le Daily News et le très sensationnaliste New York Post, alors fraîchement acquis par Rupert Murdoch et qui n’hésite pas à transgresser l’éthique journalistique pour vendre des copies. Comme en publiant une photo de Berkowitz, dormant dans sa cellule, obtenue d’on ne sait où, au risque de poursuites judiciaires.
Amer de n’avoir jamais pu aller au bout de l’histoire et de ne pas avoir été reconnu à sa juste valeur, Maury Terry est décédé en 2015. Personnage singulier et difficile à cerner, David Berkowitz a maintenant 67 ans, toujours derrière les barreaux.
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12 mai 2021 par RICHARD THERRIEN