L’accablant rapport américain.
C’est encore un rapport bien accablant sur la situation des droits de l’homme au Cameroun que le département d’Etat américain a publié le 11 mars dernier. Dès le résumé, la longévité du président Paul Biya, la crise anglophone et ses victimes, la lutte contre Boko Haram ou encore les atteintes graves aux libertés publiques (liberté d’expression, liberté de la presse, liberté de manifestation publique) sont mises en avant.
«Les questions importantes relatives aux droits de l’homme comprenaient: les exécutions illégales ou arbitraires, y compris les exécutions extrajudiciaires, par les forces de sécurité, les séparatistes anglophones armés et les combattants de Boko Haram ; les disparitions forcées par les forces de sécurité ; la torture par les forces de sécurité et des groupes armés non étatiques ; les détentions arbitraire par les forces de sécurité et des groupes armés non étatiques ; des conditions de détention difficiles et potentiellement mortelles ; les prisonniers politiques; l’indépendance du pouvoir judiciaire; les pires formes de restrictions à la liberté d’expression, à la presse et à Internet, y compris la violence, les menaces de violence ou les arrestations ou poursuites injustifiées contre des journalistes (…) la violence à l’égard des femmes, en partie due à l’inaction du gouvernement; violence à l’encontre de lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres ou intersexués (LGBTI) et le travail des enfants », indique le résumé du rapport. Le document est réparti en sept sections qui, chacune, comporte un certain nombre de chapitres.
La section 1 évoque à travers 7 différents chapitres les atteintes à l’intégrité physique des personnes. Celles-ci sont répertoriées aussi bien dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, dans le cadre de la crise anglophone ; dans la partie septentrionale du pays, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, que dans le reste du pays, avec notamment l’arrestation de centaines de personnes entre janvier et juin 2019 dans le cadre des marches organisées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc), à la suite de l’élection présidentielle d’octobre 2018.
Le rapport s’appuie sur des rapports d’Ong locales et internationales, mais aussi sur la presse. Dans le cadre de la crise anglophone, il fait par exemple état de la mort de 13 personnes dont sept commerçants, brûlées vives en mars 2019 dans l’arrondissement de Ndu, alors qu’elles revenaient d’un voyage au Nigeria. Ce rapport relaie aussi les accusations formulées à l’endroit de l’armée, qui serait à l’origine de la disparition d’un certain nombre de séparatistes et d’adversaires politiques.
On cite notamment ici le cas de Franklin Mowha, le leader d’une Ong qui aurait disparu alors qu’il était en mission à Kumba en août 2018. Autre élément à charge contre les forces de défense et de sécurité, les maltraitances que des militants du Mrc ont déclaré avoir subi au Secrétariat d’Etat à la Défense (Sed), après avoir été arrêtés en juin 2019. Le cas de Mamadou Mota, le premier vice-président du Mrc, est ici évoqué. Le rapport du département d’Etat s’intéresse aussi aux conditions de détention dans les prisons, les arrestations arbitraires, les lenteurs judiciaires, etc. Il revient notamment sur les prisonniers politiques, en citant notamment les cadres du Mrc, mais aussi Marafa Hamidou Yaya, détenu depuis 2012, malgré une décision du groupe de travail des Nations unies en 2016, qui présentait sa détention comme une violation des lois internationales.
En même temps, on évoque les attaques perpétrées par les séparatistes contre les forces de défense et de sécurité. D’autres exactions des séparatistes, comme les enlèvements et d’autres tortures physiques sont également relevées. Dans le grand Nord, le rapport des Etats-Unis relève les exactions de Boko Haram, qui a continué à tuer des civils. Le rapport évoque le cas d’enfants soldats, y compris des jeunes filles, qui auraient été enrôlées par les comités de vigilance dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Le rapport parle également de répression contre des Camerounais résident à l’étranger, évoquant notamment des pressions exercées sur certains pays de résidence de séparatistes anglophones et d’autres opposants. Ici, on rappelle l’arrestation au Nigeria d’Ayuk Tabe et de ses partisans.
D’après le département d’Etat américain, les libertés publiques, pourtant garanties par la constitution, ont souvent été violées en 2019, que ce soit de façon implicite ou explicite. Ici, il est surtout fait allusion aux différentes manifestations publiques interdites, mais aussi d’atteintes à la liberté de la presse. Mais, les atteintes à la liberté de la presse ne viennent pas que du côté du gouvernement. Le rapport cite un journaliste qui a affirmé qu’il était désormais difficile de travailler comme journaliste dans les régions anglophones du fait de pressions venant également des séparatistes. Des cas d’abus à l’encontre des réfugiés sont également mentionnés.
Le rapport mentionne les élections qui se sont tenues en 2018, à savoir les sénatoriales et la présidentielle. Il fait surtout état de l’écrasante domination du parti au pouvoir, le Rdpc. Une domination expliquée par les restrictions subies par les partis de l’opposition, notamment un accès inéquitable aux médias, l’utilisation des ressources du gouvernement pour la campagne électorale, l’influence des chefs traditionnels, etc. De même, les Américains reviennent sur le découpage électoral, qui favoriserait le parti au pouvoir.
Des irrégularités dans les résultats du concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) sont relevées. Dans la section consacrée à la corruption, le rapport rappelle surtout que le gouvernement a poursuivi l’opération Epervier lancée en 2006. Ce qui a conduit à l’interpellation d’Edgard Alain Mebe Ngo’o et de son épouse. Le rapport rappelle aussi que depuis 1996, la Constitution prévoit la déclaration des biens pour les membres du gouvernement, mais qu’elle n’a jamais été appliquée.
La section 5 du rapport est consacrée à l’attitude du gouvernement vis-à-vis des enquêtes internationales et non gouvernementales sur les allégations de violations des droits de l’homme. Elle dénonce le fait que les officiels entravent l’activité des Ong locales en harcelant leurs membres, en limitant leur accès aux prisonniers, en refusant de partager les informations et en menaçant le personnel des Ong.
«Les défenseurs des droits de l’homme et des activistes reçoivent des menaces anonymes par téléphone, sms et e-mail », indique le rapport. Il précise que le gouvernement n’a mené aucune action pour empêcher de telles situations. Au contraire, il critique les rapports des organisations internationales des droits de l’homme à l’instar d’Amnesty International, Human Rights Watch ou encore International Crisis Group ajoute le département d’Etat.
Un certain nombre de discriminations concernant les femmes, les enfants, les handicapés, les personnes vivant avec le VIH et d’autres minorités sont citées. Si les autres discriminations, telles que le harcèlement sexuel, l’accès des filles à l’éducation… sont souvent revenues, l’une d’elle détonne dans ce rapport. Il s’agit de l’antisémitisme. Comment ? En fait, le rapport du département d’Etat n’a pas voulu passer à côté de la sortie du ministre délégué à la Justice, Jean de Dieu Momo, qui avait évoqué les Juifs au cours d’une émission de télévision. Une sortie qui avait été mal prise par les autorités israéliennes.
SOURCE: https://www.w24news.com