« C’est d’abord un énorme business » : un expert décrypte la candidature à la présidentielle du « pape du crudivorisme »
En annonçant sa candidature à la présidentielle, le youtubeur catalan Thierry Casasnovas cherche surtout « à contourner son contrôle judiciaire et capter encore plus de monde », selon Tristan Mendès France, enseignant, expert en réseaux sociaux et collaborateur à l’Observatoire du conspirationnisme.
Un habitant du Vallespir à l’Élysée ? Le youtubeur catalan Thierry Casasnovas vient d’annoncer la création de son mouvement politique ainsi que sa candidature à l’élection présidentielle de 2027. Ce Perpignanais, pseudo- naturopathe installé dans le Vallespir (Pyrénées-Orientales), est suivi par près de trois millions de personnes sur YouTube.
Il est mis en examen depuis deux ans, notamment pour exercice illégal de la médecine, abus de faiblesse et abus de confiance. Depuis de nombreuses années, Thierry Casasnovas tient des propos antivaccins, anti -médicaments, et se présente comme un défenseur du crudivorisme (le fait de consommer uniquement des aliments crus pour rester en bonne santé). Il a fait l’objet de centaines de signalements auprès de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Pour décrypter son discours et analyser sa démarche, Tristan Mendès France, enseignant en numérique, maître de conférences associé à l’université Paris-Cité et collaborateur de l’Observatoire du conspirationnisme, répond aux questions de « ici Roussillon ».
Êtes-vous surpris de voir Thierry Casasnovas faire désormais irruption dans le domaine de la politique ?
Tristan Mendès- France : Non, ça me surprend pas. C’est clairement une stratégie de sa part pour essayer d’agréger un maximum d’audience autour de lui. D’autant plus qu’il est aujourd’hui sous contrôle judiciaire assez strict, et donc évidemment contraint dans son expression publique. Il veut donc essayer de contourner cela en tentant de rentrer dans le champ politique. Encore une fois, c’est plus une posture qu’autre chose : ça lui permettra de faire du bruit et, évidemment, d’amener à lui plus de gens vers son discours et son business.
Jusqu’à présent, Thierry Casasnovas était surtout connu pour ses vidéos très controversées sur le thème de la santé. Malgré tout, selon vous, est-ce qu’il faisait déjà tout de même de la politique ?
C’est un individu qui, sans aucun doute, a une empreinte politique extrêmement forte, et ce depuis quasiment le début. Il a commencé son aventure sur YouTube il y a plus de dix ans maintenant. Aujourd’hui, il est clairement classifié à l’extrême droite. Il a des affinités avec des individus extrêmement problématiques, comme Alain Soral, qui a été condamné pour racisme et pour antisémitisme. Il est aussi proche de Dieudonné, qui lui a remis, à une certaine époque, ce qu’on appelle la « quenelle d’or ». Dieudonné, qui lui-même a été condamné pour antisémitisme. Il fricote depuis de nombreuses années avec l’extrême droite la plus radicale, qui le reçoit, le relaie et lui donne encore plus de visibilité.
« Un business qui brasse plusieurs millions d’euros »
Il y a effectivement cette affinité avec l’extrême-droite, mais il y a également toute une partie du discours qui tourne autour de l’écologie, voire du survivalisme, de la fin du libre-échange. C’est un mélange de beaucoup de choses, en fait…
Oui, il porte en lui, disons, un discours qui est essentiellement anti- système. Il va effectivement prôner des idées qui ne sont pas loin du survivalisme, et qui relèvent aussi d’un discours anti- État, avec l’idée qu’il faut se retirer de la société. Il va aussi un peu plus loin, sur le terrain de la philosophie, de la philosophie politique, autour de l’idée que l’individu est roi. Il y a quelque chose qui pourrait même entrer en résonance avec les citoyens souverains : cette mouvance qui ne reconnaît même pas l’autorité de l’État. Il est positionné sur cette souveraineté absolue de l’individu.
Quelles sont alors ses motivations ? Est-ce qu’elles sont politiques ? Est ce qu’elles sont financières ?
Les motivations de Casasnovas sont assez compliquées si on cherche à sonder son psyché. On peut le juger sur les faits et, avant toute chose, c’est un entrepreneur. C’est quelqu’un qui a un business qui peut brasser des millions d’euros. Il vend à la fois « des produits, des services, du conseil ». Avec cette candidature, il va produire du contenu en ligne qu’il va ensuite chercher à monétiser sur sa chaîne YouTube. C’est d’abord un énorme business.
» Youtube comme catapulte pour lancer quelque-chose »
Aujourd’hui, Thierry Casasnovas compte énormément de spectateurs, de suiveurs, de followers. La chaîne qu’il a fondée il y a maintenant une quinzaine d’années, Régénère, sur YouTube, rassemble quasiment 3 millions de personnes. Mais est-ce si évident que ça, de transformer des spectateurs en militants politiques ?
Lorsqu’on a une grande visibilité sur les plateformes sociales, c’est un support qui peut être assez utile pour essayer de galvaniser des troupes, pour essayer d’amener à soi un socle minimal et commencer un mouvement. Maintenant, ça ne se traduit pas toujours forcément dans les urnes. On a d’autres personnages publics qui ont une forte empreinte en ligne, comme messieurs Asselineau ou Philippot, qui ont une présence assez spectaculaire sur les plateformes sociales, mais qui n’ont pas réussi à traduire ça dans les urnes, avec moins de 1 % pour chacun d’entre eux aux élections auxquelles ils se présentent. Mais encore une fois, le fait d’avoir près de 3 millions d’utilisateurs sur YouTube est quand même une catapulte qui va clairement lui permettre de lancer quelque chose. On ne sait pas jusqu’où ça ira. Je ne sais même pas s’il espère vraiment devenir président. Je pense qu’il va profiter de cette séquence pour accumuler encore plus de visibilité, plus d’audience, et capter encore plus de monde pour les ramener vers son business.
Comment expliquer cette fascination que peut exercer Thierry Casasnovas sur de très nombreux individus ? Peut-on aller jusqu’à parler d’emprise ?
Alors c’est une vraie question qu’on peut se poser. Casasnovas a commencé il y a plus de dix ans. Il était précurseur, c’est d’ailleurs ce qui fait une partie de son succès. Mais ce qui marche assez bien avec lui, c’est d’abord un charisme assez évident. Et le fait que, dans ses vidéos, il essaie de pousser un message d’espoir qui vise particulièrement les personnes en fragilité ou qui ont des problèmes de santé, avec des méthodes charlatanesques.
Ceux qui tombent dedans vont vraiment s’accrocher à lui comme à un dernier espoir. Ce sont des gens qui, parfois, sont dans des situations de santé assez graves, assez dramatiques, et qui vont le percevoir comme une bouée de sauvetage.
Donc il y a quelque chose d’un peu inquiétant quand quelqu’un, qui a beaucoup de charisme, s’adresse à des personnes fragiles et leur propose toujours un discours avec des solutions, de l’espoir, tant qu’on l’écoute et qu’on suit ses différentes méthodes.
Peut-il y arriver ? Dans ces vidéos, Thierry Casasnovas fait très souvent référence à Donald Trump dont il admire visiblement le discours anti-système. Selon vous, notre pays dispose-t-il des garde-fous suffisants face à ce genre de personnages ?
Il est clair que de nombreuses mouvances plutôt extrêmes vont essayer de profiter de ce moment Trump en se disant que les discours anti- système sont relativement porteurs à l’international. On a donc des profils comme Casasnovas qui vont tenter leur chance dans cette redistribution politique. Alors honnêtement, il a très peu de chances d’arriver au bout et d’être un candidat crédible pour la présidentielle. Mais le jeu de la candidature à la présidentielle, pour beaucoup de candidats, ce n’est pas d’être élu, c’est de profiter de ce moment-là pour passer leurs messages, pour être vus d’un maximum de personnes. Donc ce sont plutôt des moments de levier qui peuvent donner une visibilité assez exceptionnelle à des individus qui restent assez marginaux dans la société. C’est pour eux un moyen de se catapulter auprès d’une audience beaucoup plus vaste.
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