Face aux dérives sectaires, qui touchent aussi le milieu évangélique, appartenir à un réseau d’Eglises est-il vraiment un gage de sécurité? Pour Jean-Marc Potenti, président de la Communion des Eglises de l’espace francophone (CEEF), s’ouvrir au regard des autres permet d’éviter certains écueils. Entretien.
A l’heure des réseaux sociaux, comment la foi chrétienne peut-elle être pleinement proclamée?
Notre responsabilité est d’exprimer notre foi dans tout ce qu’elle peut avoir de dynamique, avec une réelle force de conviction en veillant à la façon de s’exprimer, d’enseigner ou de prêcher en public. J’essaie de m’exprimer en visant non seulement un public acquis à la foi, mais aussi l’auditeur - peut-être hostile - qui écoute pour la première fois. Il ne s’agit pas d’affaiblir nos convictions, mais de veiller à notre communication, sans pour autant être tiède ou tomber dans le compromis. C’est une mesure de sagesse que nous devons à l’Evangile mais aussi à ceux qui nous écoutent, avec la conscience d’être dans un contexte culturel et spirituel particulier que l’on ne peut se permettre d’ignorer.
Mais l’on peut avoir la meilleure des communications, le plus juste des messages, la plus équilibrée des approches, l’opposition à la foi gomme toutes les nuances. Du coup, dès qu’on veut approfondir, rendre compte de réalités complexes, ça ne passe pas. Et cela tout en sachant que les réseaux sociaux amplifient tout ce qui peut être dit ou communiqué. Tout le monde peut être victime de la suspicion de fréquenter une secte. C’est vrai pour un individu, même le plus équilibré, le plus entouré, le plus sage des responsables, tout comme pour un réseau d’Eglises.
Et quand cette expression de la foi est défaillante?
C’est là que le réseau d’Eglises prend toute son importance. Le fait de vivre en réseau présente des forces et des faiblesses. Par définition, un réseau, c’est un lieu de diversité de sensibilités, de styles, de convictions, même s’il y a accord sur les fondamentaux. Pour autant, certains seront attentifs à ce genre de questions, comment communiquer, comment le monde nous perçoit et d’autres moins, pour ne pas dire pas du tout. Il faut être vigilant sans tomber dans la peur ou la crainte du monde qui nous entoure. Il ne s’agit pas de faire des compromis pour être bien vu, accepté, ce qui serait pernicieux. Mais il nous appartient de rendre compte de notre foi de manière compréhensible et juste.
Quelle est la force d’un réseau?
C’est l’attention mutuelle que l’on se porte, le souci les uns des autres, de la relation, de l’entraide, de la bonne santé de chacun. On est chacun au bénéfice du regard des autres. Dans ce sens, le réseau est un lieu de sécurité et de protection.
La sécurité dans un réseau est fondée sur l’ouverture au regard des autres, avec une pratique intentionnelle et régulière de la discipline d’ouverture aux autres, de redevabilité. Cela passe par le fait d’être ouvert à la remise en question: quel est le regard que vous portez sur moi, est-ce que vous voyez un signal d’alarme dans ce que j’enseigne, dans ce que je fais?
Cela demande de la part de celui qui est au bénéfice du réseau une réelle ouverture, une vraie disposition de cœur, tout à fait semblable à celle d’un disciple. Il y a aussi la responsabilité du groupe qui doit avoir le courage d’aborder les sujets qui peuvent fâcher ou posent problème avec les responsables.
Quel serait le principal risque de dérive?
Le risque vient quand il y a de la fascination pour un ministère, une personne, ce qui entraîne une distance qui le rend intouchable. Même s’il peut exister un certain degré de collégialité, l’équipe peut être centrée autour d’une seule personne. Dans ce cas, on perd la bénédiction
du réseau qui devient non plus une force mais une faiblesse car il n’y a plus de liberté de parole, de répréhension mutuelle.
Pour vivre pleinement la bénédiction du réseau, il faut autant que possible que chacun soit en sécurité dans son identité personnelle. Il faut être capable de dire et d’entendre la vérité, sans se sentir menacé par celui qui nous l’apporte.
Avez-vous un exemple de dérive qui a pu être contenue grâce à votre réseau d’Eglise?
Arthur, un responsable d’Eglise avait tout d’un «gourou». Ce n’était pas son intention, mais la dimension charismatique de son ministère pouvait le conduire à des excès tant dans ses paroles que dans son comportement, avec la tendance à donner des directions pour la vie des personnes. Tout cela de manière inconsciente.
La vie et les relations au sein d’une équipe lui ont permis d’éviter les dérives dans lesquelles il aurait pu tomber. Les échanges, les relations, la répréhension mutuelle, l’écoute mais aussi la diversité au sein du réseau sur tous les plans, tout cela a permis de corriger peu à peu ces aspects qui pouvaient être problématiques tout en apportant au réseau son dynamisme. Aujourd’hui, il dit lui-même avoir été protégé par le réseau, non seulement lui mais aussi tous ceux qui auraient pu être victimes de ses erreurs.
Propos recueillis par David Nadaud
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Ils profitent de la crise sanitaire
La crise sanitaire a généré beaucoup d’inquiétude et les mouvements sectaires semblent en avoir profité pour cibler et tenter d’attirer de nouveaux membres. Tel est le constat partagé tant par la Miviludes en France, que par le Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) en Suisse. En ce qui concerne les cadres idéologiques spirituels et religieux, il y en a pour tous les goûts, des survivalistes aux complotistes, des chercheurs de sens aux chercheurs de vérité, des plus libertaires à la droite la plus extrême. Au milieu de tout ça - parfois justement, parfois injustement - près de 380 Eglises évangéliques ont été signalées en France. L’un des reproches qui leur est souvent fait et qui les rend plus facilement suspects: être un petit groupe isolé sans réseau, ou pire - aux yeux des autorités - que leur réseau soit étranger. (DN)