Les associations des victimes de dérives sectaires constatent «un accroissement de l’offre» de «groupes déviants» sur Internet.
Confinement oblige, les mouvements sectaires sont moins présents sur le terrain. Mais la pandémie est loin d’avoir restreint leur champ d’action, bien au contraire. Alors que, durant le confinement du printemps, les institutions compétentes n’ont pas enregistré de hausse des saisines, depuis le début du second confinement, la Miviludes et le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) alertent sur une hausse globale d’appels. Les associations des victimes des sectes constatent également «un accroissement de l’offre» de «groupes déviants» sur Internet, dont les sollicitations sectaires sont atypiques : la Miviludes confie avoir observé une multiplication de cas où «des personnes montrent tous les signes de l’emprise alors qu’elles n’ont pas été physiquement en contact avec la personne qui fait autorité sur elles».
En octobre 2020, la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, avait déjà alerté sur le risque de recrudescence des dérives sectaires face à la crise sanitaire, évoquant «une floraison de petites structures» dans un entretien pour Le Parisien. Pour la présidente du CCMM Annie Guibert, «ce sont des petits gourous qui exploitent et instrumentalisent les peurs irrationnelles des citoyens pour de grands mouvements sectaires».
L’isolement et la perte de repères
«Avec le confinement, on est isolé, on parle moins, et, comme on ne se réunit pas, on réfléchit moins à plusieurs. Or, plus on éveille le débat, plus on échange, plus le risque de s’enfermer dans un mouvement sectaire diminue», affirme au Figaro la présidente de la CCMM. Depuis le début du second confinement, plus de la moitié des appels que reçoit la CCMM concerne des dérives sectaires. «On s’attendait à ce que le nombre de signalements chute avec le confinement, et paradoxalement non, c’est même le contraire», confirme au Figaro le président de l’Association pour la Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (Adfi) Île-de-France Daniel Sisco, qui observe une même tendance à la hausse dans le nombre de signalements.
Difficultés financières, détresse psychologique, angoisses existentielles… Autant d’éléments formant une certaine vulnérabilité très utile aux mouvements sectaires. «L’augmentation de l’anxiété et l’isolement sont des facteurs de vulnérabilité, or l’emprise sectaire se développe sur des vulnérabilités», explique au Figaro la Miviludes, soulignant que certains Français confinés «cherchent à rompre leur isolement et à tisser des liens à travers les réseaux sociaux». Les gourous du web assurent leur apporter des «propositions miraculeuses», et des «promesses d’explications, de solutions» face à la pandémie.
Mais hormis la vulnérabilité de la population inhérente au confinement, la recherche de spiritualité dont feraient preuve certains Français confinés constituerait également un angle d’attaque de choix pour les dérives sectaires. Ce besoin découlerait de la nécessité d’avoir un rythme de vie et une certaine ritualisation quotidienne, qui tend à disparaître avec le confinement. Pour le psychiatre Serge Hefez, les gourous profiteraient de la situation pour «proposer tout un accompagnement autour de la ritualisation et de la purification». «Le fait de faire cinq prières par jour rythme la journée, c’est quelque chose qui structure mentalement, qui ritualise la vie quotidienne, mais qui vient aussi se plaquer sur tous les questionnements».
Des gourous youtubeurs ciblant les jeunes
«La vidéo est le produit d’appel, la vitrine. Elle sert à attirer et, accessoirement, elle peut rapporter un peu d’argent avec la publicité. Mais l’essentiel est ailleurs» affirme au Figaro la Miviludes, qui indique que les gourous proposent aussi bien «des consultations personnalisées», que des webinaires (séminaires en ligne) et des «formations payantes avec des facilités paiement». À travers Youtube, Facebook ou encore Twitter, l’internaute est au départ «vivement encouragé à rejoindre le groupe des donateurs pour participer à un magnifique projet dont il tirera des bénéfices», affirme la Miviludes. Puis on le pousse à partager les publications, «pour aller plus loin dans l’initiation ou la révélation». «Une grande attention est apportée au nouvel arrivant qui va bénéficier d’une prise en charge personnalisée. Dans un premier temps cela peut-être réconfortant, mais très vite les sollicitations et les relances sont envahissantes», ajoute la Miviludes, rappelant que la plupart de ces groupes sont «très agiles sur les réseaux» et largement «initiés au webmarketing».
« De plus en plus de jeunes ont du mal à se projeter dans l’avenir, alors ils vont chercher un radicalisme religieux face à une angoisse existentielle »
Serge Hefez, psychiatre
Leur principale cible constitue les jeunes confinés, qui «vont chercher un radicalisme religieux face à une angoisse existentielle», explique le psychiatre Serge Hefez, qui enregistre au sein de son service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière un accroissement de demandes pour des consultations pour dérives sectaires et radicalisation. «De plus en plus de jeunes ont du mal à se projeter dans l’avenir, à trouver du sens. On observe une pensée presque paranoïaque qui infiltre la population, et surtout les jeunes, qui se posent beaucoup de questions».
Une «rhétorique complotiste»
Derrière ces gourous du net, dont la plupart affichent plus de 500.000 abonnés sur Youtube, se cachent bien souvent des mouvements apocalyptiques et millénaristes, pour qui la crise sanitaire fait le jeu de leur expansion. «Ceux qui proposent des solutions alternatives voient dans la crise l’illustration de l’impasse d’une société basée sur la science, et ceux qui promeuvent le développement personnel présentent la crise comme une opportunité à saisir. Tous s’adaptent pour répondre aux inquiétudes et proposer des solutions», soutient la Miviludes auprès du Figaro.
Comme à la Miviludes, le président de l’Adfi Île-de-France Daniel Sisco a constaté durant ce second confinement «une explosion de l’offre sectaire», mais «pas au sens traditionnel du terme»: beaucoup de groupes déviants se sont formés «autour du bien-être et de la santé», à tel point que ces domaines représentent aujourd’hui «40 % des signalements» réceptionnés par la Miviludes. En cette période de crise sanitaire, «le thème de la santé est une porte d’entrée particulièrement efficace pour créer une dépendance», mais aussi une devanture alléchante aux «rhétoriques complotistes» qui basent leurs propos sur «la corruption de la société» dont il faudrait «s’isoler pour se purifier et se réaliser».
source :https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-reconfinement-fait-il-le-jeu-de-l-emprise-sectaire-20201119