Un an et demi après leur pérégrination en Syrie, deux adolescents toulousains partis de leur propre initiative en janvier 2014 pour faire le jihad avant de revenir 21 jours plus tard du pays du shâm, seront-ils jugés pour terrorisme ? Dans son réquisitoire définitif, le parquet antiterrorsite de Paris vient d’envoyer un signal clair. Il estime qu’il y a suffisamment d’éléments pour renvoyer devant un tribunal, Y et A, âgés de 15 et 16 ans au moment des faits, pour «participation à un groupement terroriste.» Dans le cas où la juge d’instruction suivrait l’ordonnance de renvoi du parquet, ce serait la première fois, en France, qu’un tribunal pour enfants aurait à juger des mineurs de retour des zones de combat en Syrie.
Déjà en 2014, l’affaire du départ de ces deux adolescents avait fait grand bruit dans un contexte national où le nombre de candidats français au jihad affolait les statistiques et inquiétait les autorités.
L’aventure syrienne de A. et Y. se confond avec des dizaines d’autres histoires d’adolescents accros aux réseaux sociaux et affichant des velléités de départ pour la hijra, cet exil en terre musulmane pour y pratiquer un islam rigoriste.
Tâches ménagères
Le 6 janvier 2014, les deux adolescents, élèves de seconde aux lycée des Arènes, s’envolent vers la Turquie pour rejoindre la Syrie où les attend un troisième homme qui leur avait donné la feuille de route via internet. A., le plus jeune, utilise la carte bancaire de son père pour payer le voyage. Mais une fois arrivés en Syrie les deux lycéens partis pour «aider les victimes de Bachar-El-Assad et faire de l’humanitaire», déchantent assez vite. Durant les trois semaines passées dans un camp, en recul des zones de combat, ils n’ont qu’un seul objectif : fuir au plus vite. Ils sont employés à des tâches ménagères et contraints de faire des tours de garde munis d’une Kalachnikov. Leurs activités restent très éloignées du projet à visée «humanitaire» pour lequel ils avaient adhéré au départ, à grand renfort de vidéos propagandistes visionnées sur leur ordinateur à Toulouse. En Syrie, ils auraient séjourné dans un groupe affilié au Jabhat Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. Du reste, le parquet antiterroriste motive son renvoi en tentant de prouver la nature terroriste du groupe salafiste Jabhat Al-Nosra. Les deux adolescents affirment n’avoir jamais participé à des combats, ni à des entraînements. Concernant Y. qui a repris le chemin de l’école depuis son retour, «il n’a jamais eu la volonté de combattre et c’est une fois sur place qu’il a réalisé où il se trouvait, très loin de ce qu’il s’était imaginé», affirme son avocate, Me Agnès Dufètel-Cordier. Des adolescents enrôlés par une organisation terroriste pour en faire des «enfants soldats» ? C’est en tout cas la lecture qu’en fait le père de Y. qui milite aujourd’hui, avec son fils, au sein d’une association pour éradiquer, à Toulouse et en France, l’endoctrinement religieux à l’origine des départs de jeunes gens vers la Syrie (lire encadré). «Aujourd’hui, mon client, collabore avec la justice. Il est suivi très régulièrement dans le cadre de son contrôle judiciaire par des psychologues et des assistantes sociales qui évaluent au quotidien son évolution», poursuit l’avocate toulousaine qui espère obtenir un non-lieu dans cette affaire. Y. 17 ans aujourd’hui, prépare son bac. Délégué de sa classe, il suit un cursus tout à fait normal à Toulouse. Son ex-compagnon de route, A., 18 ans, originaire d’une famille pratiquant un islam rigoriste a eu à nouveau affaire à la justice dans une histoire d’agression sur une adolescente. Il aurait été à l’origine de l’endoctrinement de Y. Lui aussi se défend d’avoir voulu rejoindre les rangs d’Al-Qaïda.
{{Un père en colère}}
«Ces jeunes ont commis une erreur et ont su faire marche arrière quand ils ont vu où ils mettaient les pieds. Ce n’est pas en les renvoyant devant un tribunal pour les juger comme terroristes que l’on va les aider à tourner la page…»
Très en colère après la décision du parquet antiterroriste, le père de Y., milite au sein de l’association jeunesse républicaine contre l’endoctrinement et pour la fraternité (AJREF) qui tient ses permanences à l’Espace des diversités et de la laïcité, à Toulouse. Association dans laquelle s’est engagé également Y., son fils, lui aussi très actif auprès des familles dont les enfants ont tenté de partir en Syrie. «On ne peut pas assimiler ces jeunes à des terroristes. Ils ont été les premières victimes de l’endoctrinement, via les réseaux sociaux. J’ai le sentiment qu’ils vont payer pour tous les autres. Je suis abasourdi par cette décision surtout que l’on m’avait plutôt rassuré sur les suites judiciaires.
Mon fils n’avait nullement l’intention de participer à des combats ou à des opérations militaires. Il n’a jamais adhéré aux thèses extrémistes ou salafistes. Aujourd’hui, il dissuade de nombreux jeunes de partir en Syrie en leur expliquant qu’ils se trompent de combat. Est-ce cela un terroriste ?», questionne, M. Ben, le père de Y.
source : ladepeche.fr