Le gouvernement a instauré, mardi et pour trois mois, des consultations destinées à avoir un débat apaisé sur le sujet. Certains dénoncent toutefois une opération de communication, alors que la loi « séparatisme », controversée, est en discussion au Parlement.
A peine lancés et déjà vivement critiqués. Le gouvernement a donné, mardi 20 avril, le coup d’envoi des Etats généraux de la laïcité. Censés durer trois mois, ils sont présentés comme un moyen de toucher la jeunesse et d’avoir un débat apaisé sur ce sujet.
« Le principe de laïcité doit être réaffirmé », a déclaré Marlène Schiappa, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, en lançant l’événement au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à Paris, en présence de six essayistes, universitaires ou philosophes.
Ce « trésor inestimable », ce « ciment de la citoyenneté », « n’est en aucun cas une arme contre les religions », a-t-elle insisté, en concédant que « la discussion » sur ce sujet « est inflammable », alors qu’elle « devrait tous nous réunir » et que « différentes approches existent ».
Ce principe, « pas seulement juridique, mais aussi philosophique et politique », fait aujourd’hui « l’objet de remises en cause » et d’« entorses », a-t-elle affirmé, plaidant pour se donner « de nouveaux outils pour lutter contre les phénomènes d’entrisme, contre le prosélytisme abusif ».
Concrètement, la ministre a annoncé la tenue, jusqu’à l’été, de plusieurs tables rondes et groupes de travail sur les thèmes suivants : la liberté d’expression, la recherche, la jeunesse, l’intégration citoyenne, les droits des femmes. Des « cartes blanches » seront aussi confiées à des associations, comme la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), « pour faire vivre le débat ».
En outre, le gouvernement a lancé une grande consultation auprès de 50 000 jeunes, invités à répondre à la question « Comment faire vivre la laïcité au quotidien ? ». A la fin de l’été, les résultats seront restitués lors d’un forum, tandis que les initiatives et bonnes pratiques de terrain seront rendues publiques.
Diversité des conceptions
La ministre a de plus annoncé, mardi sur BFM-TV, le lancement d’un « fonds Marianne pour la République », de 2,5 millions d’euros, visant à « financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et les plates-formes en ligne ».
« Il ne s’agit pas de rechercher un hypothétique accord (…), mais de faire en sorte que se parlent ceux d’entre nous qui parfois s’invectivent », a-t-elle souhaité. Un propos plus policé que son intention, annoncée quelques jours plus tôt dans Le Journal du dimanche, de vouloir « sortir de la tenaille entre d’un côté les identitaires d’extrême droite et de l’autre les indigénistes et Europe Ecologie-Les Verts [EELV] ».
Preuve de la diversité des conceptions de la laïcité, les six intervenants au lancement ont défendu des propos parfois aux antipodes. Le philosophe Henri Peña-Ruiz a défendu un « universalisme », un principe d’« émancipation » et d’« intérêt général ». Gaspard Koenig a appelé à « cesser de mettre cette question [de la laïcité] au cœur du débat public » et à ne pas y associer des « injonctions » qui n’ont « rien à voir » avec elle, comme l’égalité femmes-hommes. L’essayiste Caroline Fourest a souligné que la laïcité était « en danger (…), en pleine crise des réveils religieux, fondamentalistes ».
Concurrence entre ministres
La question délicate de la laïcité à la française oppose régulièrement deux camps : les partisans du respect de la liberté religieuse tant qu’elle ne trouble pas l’ordre public, d’une part, les tenants d’une limitation plus poussée de la liberté religieuse, notamment du port de signes religieux comme le voile islamique, d’autre part.
Parmi les seconds, la concurrence est rude entre ministres faisant assaut de propositions, tel Gérald Darmanin à l’intérieur, pour qui la laïcité doit être le « remède » pour soigner un pays « malade » du séparatisme islamiste, mais aussi le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a confié au Monde vouloir lancer un think tank sur la laïcité en vue de la présidentielle de 2022.
Marlène Schiappa, ministre sous tutelle de M. Darmanin, occupe le terrain et fait des propositions pour remplacer l’Observatoire de la laïcité. Cette instance présidée pendant huit ans par l’ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco, est accusée par certains politiques ou membres du Printemps républicain d’avoir été trop laxiste contre l’islamisme. Matignon doit annoncer dans les prochaines semaines le nouveau dispositif qui succédera à l’Observatoire.
« Objet d’agitation médiatique »
A peine annoncés, ces états généraux étaient déjà sous le feu des critiques. « On ne fait pas un débat après une loi », a ainsi dénoncé lundi sur France Info l’eurodéputé EELV Yannick Jadot, en référence au projet de loi luttant contre le « séparatisme », adopté en première lecture la semaine dernière par le Sénat et voulu comme un marqueur du quinquennat Macron.
« Marlène Schiappa lance les “états généraux de la laïcité” après que son gouvernement en a fait un outil de stigmatisation des musulmans » avec la loi « séparatisme », a aussi estimé la sénatrice (EELV) Esther Benbassa.
La CFDT a demandé d’« arrêter de faire de la laïcité un objet d’agitation médiatique permanent ». Le syndicat de Laurent Berger, invité par la ministre, lui a fait savoir que « ce genre d’initiative était mal choisie alors que la loi contre le séparatisme est encore dans les tuyaux (et pose bien des problèmes) ». Aurélien Taché, député ex-La République en marche (LRM), voit, lui, dans ces Etats généraux « une opération de communication grotesque ».
Interrogé par l’Agence France-Presse, le président de la Licra, Mario Stasi, qui y participera, s’est placé, lui, sur le terrain de l’apaisement.
« Si le débat se déplace de ce déversoir de haine, d’invectives que sont les réseaux sociaux, vers un travail approfondi mettant côte à côte différentes approches de la laïcité » et permettant de « sortir avec des propositions concrètes dans le respect de la loi 1905, si c’est cela les états généraux, je n’y vois que des avantages », a dit M. Stasi.