Les sorcières sont de retour! Dans le sillage de la wicca, mouvement spirituel néo-païen, nombre de femmes et d’hommes revendiquent désormais fièrement ce titre. Depuis les années 1970 et la révolution hippie, les petites-filles de Carabosse sont féministes et altermondialistes.

Sitôt que l’on prononce le terme de « sorcellerie » , l’imagination s’emballe. Mais alors qu’on associe volontiers à ce mot magie noire, chaudrons et vieilles femmes effrayantes, la wicca n’a rien à voir avec cela. Ce mouvement spirituel, officiellement reconnu comme une religion à part entière aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, est encore relativement confidentiel en France. Ses adeptes, qui invitent à célébrer la nature, se disent plus volontiers néo-païens que sorciers. Pourtant, c’est bien à la sorcellerie que le mot wicca renvoie, puisqu’il dérive du verbe wiccian , lequel, en vieil anglais, signifie « ensorceler » . Ce néologisme a été forgé au XIXe siècle par un Britannique excentrique et passionné d’occultisme, Gerald Brousseau Gardner (1884-1964).

Son but : redonner vie à ce qui constituait, selon lui, la religion des origines de l’Europe, pacifique et vouée au culte de la fertilité, avant qu’elle ne soit mise à mal par les tenants du christianisme. S’il a toujours soutenu ne pas avoir inventé la wicca, affirmant qu’elle lui avait été transmise par un groupe d’initiés qui en perpétuait la tradition depuis le Moyen Âge, la réalité est tout autre. De fait, pour ressusciter le paganisme pré-chrétien, Gardner s’est appuyé sur le folklore et l’ethnologie, ainsi que sur le corpus ésotérique florissant de son époque. Indéniablement charismatique, Gardner fonde un premier coven (rassemblement d’adeptes de la wicca) en Angleterre. C’est en son sein qu’est rédigé ce qui constitue, aujourd’hui encore, la « Bible » des wiccans : le Livre des ombres. Les initiés, autant des hommes que des femmes – la complémentarité entre les deux sexes étant un principe fondamental de la pensée wiccane -, se déclarent sorciers. Ils viennent de milieux très diversifiés et s’adonnent à des célébrations rituelles, souvent nus, parfois en pleine nature, honorant la Grande déesse et le Dieu cornu. À partir du coven de Gardner essaiment d’autres cercles wiccans dans les années 1960. Dans les années 1970, cependant, la wicca va connaître une métamorphose importante aux États-Unis. De courant marginal, elle devient un véritable phénomène de société. Un phénomène porté par la contre-culture américaine, qui trouve dans le néo-paganisme des points de convergences intellectuelles. Par l’attention qu’elle porte au respect de la nature, par l’importance qu’elle accorde aux femmes, la wicca interpelle les mouvements féministes. « Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler » , dit un slogan de cette époque. Ou encore : « Tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues! » … D’où la naissance de covens exclusivement féminins (comme celui fondé en 1971 par Zsuzsanna Emese Budapest), voire officiellement saphiques.

Ni orgie ni magie noire 

La contestation politique fait également son entrée dans la wicca, avec la participation à des actions visant à dénoncer la domination des hommes, la violence, les armes ou les structures perçues comme capitalistes, telle l’Organisation mondiale du commerce. Dans la droite ligne du mouvement hippie, des wiccans soutiennent les thèses écologistes et la liberté sexuelle : Otter Zell, fondateur de l’Église de tous les mondes – premier groupe néo-païen à avoir été reconnu comme une religion par l’administration américaine -, invite ses membres à faire l’expérience « d’un contact total avec l’âme de la terre » . Et de préciser que ce contact peut être atteint par le jeûne, l’extase religieuse, la prise d’hallucinogènes ou la jouissance sexuelle. Green Egg , le magazine de cette Église, fait l’apologie de « la polyharmonie, des couples ouverts, des échanges d’amants » . Toutefois, si les wiccans des années 1970 se sont fréquemment montrés libres dans les moeurs, il ne faudrait pas en déduire qu’ils le sont encore actuellement. Rares sont désormais les covens qui se déroulent nus. Et si aucun tabou ne frappe la sexualité, perçue au contraire comme sacrée, cela ne signifie pas pour autant que les wiccans ont une vie sexuelle débridée. Même ce qu’ils nomment « le Grand rite » , censé mimer l’union entre le Dieu et la Déesse, n’est accompli, dans l’immense majorité des cas, que de manière symbolique, en plongeant un athame (épée représentant le principe masculin) dans un calice (associé à la féminité).

Un autre cliché doit être battu en brèche : à l’exception du Cercle initiatique de la Licorne-Wicca occidentale, et bien qu’il convienne toujours d’être prudent, les covens ne sont pas des sectes. La tolérance vis-à-vis des autres religions y est généralement de mise. Il convient d’ailleurs de distinguer sorcellerie et satanisme, les deux étant antinomiques – puisque la wicca s’inspire de la mythologie païenne, alors que Satan est issu de la tradition judéo-chrétienne. Les rites wiccans n’ont donc rien à voir avec la magie noire. Il s’agit plutôt de célébrations du cycle de vie et de mort de la nature, qui suivent la roue de l’année, c’est-à-dire le calendrier wiccan – lequel s’inspire de l’ancien calendrier des peuples germaniques et de celui des peuples celtiques. Vingt-et-une fêtes ponctuent l’année, parmi lesquelles huit sabbats – ce terme étant un clin d’oeil au folklore médiéval, qui nommait ainsi les réunions de sorcières – et douze ou treize esbats correspondant aux nuits de pleine lune. Les célébrations permettent aux wiccans d’être pleinement conscients de la notion d’éternel retour. La vie est conçue comme un cycle : elle s’éteint en hiver pour ressusciter au printemps et connaître un apogée à l’été, avant de décliner à nouveau. Cela dit, la wicca invite aussi à faire usage de la magie blanche, les néo-païens estimant être capables d’utiliser à leur profit l’énergie vibratoire qui emplit le monde et les êtres. Ils peuvent recourir à des charmes, voire à des attaques psychiques, pour tenter d’influer sur une situation. Divination et techniques de guérison (reiki, phytothérapie, etc.) font également partie de leur arsenal de « sorciers » et de « sorcières » .

un million aux États-unis 

Combien sont-ils, justement, à se déclarer comme tels? L’absence de structure centralisée rend difficile toute estimation. Ce qui est sûr, c’est que ce nouveau mouvement religieux est beaucoup plus populaire dans les pays anglo-saxons qu’en France. Une enquête de 2008 situe le nombre de wiccans aux États-Unis à environ un million de personnes. Le phénomène va croissant, sous l’influence de certaines séries télévisées qui, comme Charmed , ont popularisé la magie en présentant les aventures de séduisantes « sorcières » . Journaliste et auteure du livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes (La Découverte, 2018), Mona Chollet remarque : « Aujourd’hui, les sorcières sont partout. Aux États-Unis, elles prennent part au mouvement Black Lives Matter (contre les meurtres racistes commis par la police), jettent des sorts à Donald Trump, protestent contre les suprémacistes blancs ou contre la remise en question du droit à l’avortement. » Si le mouvement est plus discret en France, il ne concerne cependant pas des personnes en marge de la société. Les sympathisants de la wicca sont souvent… des sympathisantes, jeunes, intégrées dans une vie professionnelle et un tissu familial. Des jeunes femmes en quête d’une spiritualité et d’un activisme conforme à leur quête d’authenticité. Telle cette adepte qui nous confie avoir trouvé dans la wicca une manière d’être « en harmonie avec le monde qui [l’] entoure, dans une sage union que les humains ont oubliée. »

À lire

Sorcières, la puissance invaincue des femmes Mona Chollet (La Découverte, 2018)

Wicca Christian Bouchet (Pardès, 2004)

Le Livre des ombres Gerald Brousseau Gardner (Camion noir, 2007)

La Wicca Scott Cunningham (Éditions du Roseau, 1999)

Femmes, magie et politique Starhawk (Les Empêcheurs de penser en rond, 2003)

 

Parcours d’une altermondialiste, de Seattle aux Twin Towers Starhawk (Les Empêcheurs de penser en rond, 2004)

source : Le Monde des Religions, no. 90 Sorcières Par Virginie Larousse – le 26/06/2018

http://www.lemondedesreligions.fr/papier/2018/90/la-wicca-les-petites-filles-de-carabosse-26-06-2018-7309_243.php