Lutte contre les sectes : la Miviludes déménagée en douce
La première décision concrète du gouvernement Castex serait-elle un coup en douce ? C’est l’avis des proches de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et du monde associatif engagés dans la lutte contre les sectes : vendredi 10 juillet, sur les coups de 16 heures, le personnel de la Miviludes, stupéfait, apprenait au détour d’un mail que son déménagement aurait lieu la semaine suivante. Sa destination ? Un bâtiment de l’avenue de Ségur dépendant de Matignon, supposément « provisoire » avant un nouveau changement d’adresse d’ici à deux mois. « Mais on sait que le provisoire a souvent vocation à durer », ironise un proche du dossier. L’équipe, passée de 14 à 8 membres et privée de président depuis près d’un an, perd au passage ses liaisons téléphoniques – les lignes fixes n’étant pas transférées, tout comme les ordinateurs et surtout de précieuses archives, accumulées depuis plus de deux décennies. « Personne ne sait qui aura la garde de ces documents ultra-sensibles », s’alarme un fonctionnaire de Matignon. « Je m’en servais toutes les cinq minutes, impossible de travailler sans y avoir accès », déclare à Marianne Georges Fenech, qui dirigea la Miviludes entre 2008 et 2012.
« Pour des soucis de commodité et afin d’éviter une dégradation des archives de la Miviludes, ces dernières seront transportées directement dans les locaux du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) » [qui doit absorber la Miviludes, NDLR], précise à Marianne le ministère de l’Intérieur. Nouvelle surprise pour les membres de la Miviludes, qui n’en auraient pas été avisés, et qui devront donc remplir leur mission à bonne distance de leur documentation. En prime, tous sont encouragés à passer en télétravail avec leur propre ordinateur, dénué de connexion sécurisée. Une placardisation qui ne dit pas son nom ?
Il faut dire que depuis le 30 septembre dernier et l’annonce de l’absorption de la Miviludes par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), rien ne va plus. Considérée comme une dissolution de facto, l’opération, rendue officielle par un décret du 15 juillet, ampute en effet la Miviludes de l’autorité supérieure qu’est Matignon, dont elle dépend depuis sa création. Cette spécificité lui conférait toute sa latitude interministérielle ainsi qu’une large liberté d’action, qui lui permettait de recevoir les victimes de sectes et leurs familles en toute discrétion.
« Avec le protocole de sécurité de Beauvau, qui oblige à renseigner son identité complète, on risque de perdre beaucoup de témoins potentiels soucieux de leur anonymat et inquiets du label ‘‘ministère de l’Intérieur’’ », prévient un spécialiste de la lutte antisectes : « Certains veulent seulement se confier sans pour autant lancer des poursuites. Le rôle répressif de ce ministère pourrait les en dissuader. »
Budget riquiqui
Officiellement, la mission fait les frais d’une politique de réduction de la dépense publique fidèle aux recommandations de la Cour des comptes. Pourtant, le prétexte passe mal à propos d’une structure habituée à faire des miracles avec un budget riquiqui de 500.000 euros par an, et dont les fonctionnaires venus de divers ministères jouent un rôle décisif dans la lutte contre les dérives sectaires. C’est par exemple à leur action que l’on doit la mise au jour, en septembre dernier, de 350 essais cliniques illégaux sur des malades d’Alzheimer et de Parkinson, conduits, moyennant finances, par une organisation mystique. « La Miviludes a fait ses preuves, rappelle Georges Fenech. Elle était un exemple unique dans le monde, qui a inspiré de nombreux gouvernements dans le monde entier. »
Avec plusieurs milliers de signalements de mouvements sectaires chaque année, 500.000 Français victimes dont 50.000 à 80.000 enfants, la Miviludes aurait donc dû être renforcée plutôt que « vidée de sa raison d’être », dixit Georges Fenech. « Outre des mères éplorées qui nous contactent pour nous faire part du départ d’un conjoint en Syrie avec leur bébé, le Covid nous a donné beaucoup de travail », explique Charline Delporte. Ces derniers temps, on a ainsi vu fleurir sur internet des annonces de remèdes farfelus vendus par des pseudo-médecins ou d’authentiques gourous. « 40% des affaires liées à des dérives sectaires ont trait à la santé », constate Georges Fenech*.
« Canard sans tête »
Plus troublant, un rapport de la commission d’enquête sénatoriale « sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre » était dévoilé le 7 juillet dernier. Or, la première des 44 propositions n’est autre que « le rétablissement de la Miviludes. » Mais c’est précisément le contraire qui se passe, plus encore depuis que le CIPDR est également privé de dirigeant : son secrétaire général, le préfet Frédéric Roze, vient d’être nommé directeur de cabinet de Marlène Schiappa au nouveau ministère de la Citoyenneté. À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun successeur n’a été désigné. « C’est pire qu’un flottement. L’ensemble est devenu un canard sans tête », nous confie un proche de la Mission.
Dès lors, se pose une question qui brûle les lèvres de tous nos interlocuteurs : qui veut la peau de la Miviludes ? « Ce délitement de la lutte antisectes est porté par des influences occultes, au plus haut niveau de l’État. La Miviludes dérange », estime Georges Fenech. Un avis partagé par l’ancien député Jean-Pierre Brard, également actif dans ce combat : « Des groupes de pression très puissants sont à l’œuvre, juge-t-il, citant spontanément l’Église de scientologie (qui a dépensé 33 millions pour implanter son siège de 7.000 mètres carrés à Saint-Denis), les témoins de Jéhovah et l’anthroposophie. Né au début du XXe siècle et riche à milliards, ce mouvement international aux relents mystico-scientifiques était mentionné en 1999 dans un rapport parlementaire sur « les sectes et l’argent ».
L’anthroposophie a ouvert des écoles, dont une a été fondée par l’ancienne ministre de la Culture Françoise Nyssen. On la retrouve dans de nombreux secteurs de l’économie, notamment la santé, via un médicament à base de gui censé traiter le cancer, sans qu’aucune preuve scientifique n’ait jamais été apportée. Parmi les autres mouvements susceptibles de sortir le champagne à l’annonce du démantèlement de la Miviludes, citons ces églises évangéliques, financées par des fonds en provenance des États-Unis, qui prolifèrent sur le territoire en multipliant des thérapies de conversion mues par une homophobie pourtant punie par la loi. Enfin, une myriade de groupes sectaires a érigé le complotisme en véritable foi et fait d’internet un puissant instrument de prosélytisme. « C’est sans doute l’alliance de divers courants qui a eu raison de la Mission », estime l’un de ses proches.
« Ce rapprochement s’appuie sur la nécessité de renforcer le partage de compétences entre la Miviludes et le CIPDR », nous répond le ministère de l’Intérieur, qui justifie le micmac du déménagement par « des travaux qui ont dû être interrompus durant la crise sanitaire ». Selon le service communication de la place Beauvau, la fusion « maintient l’intégralité des missions d’observation, de coordination des actions de prévention et de lutte, de formation, d’information du public et de mise en œuvre de l’aide aux victimes du phénomène sectaire. Et il confirme la dimension interministérielle, le nom, la totalité des agents, le site Internet et la documentation de la Miviludes. Avec ce nouveau décret, le gouvernement œuvre pour que la lutte contre le phénomène sectaire soit appréhendé dans toutes ses évolutions. Il améliorera le service rendu au public, renforcera la coordination sur le terrain, et apportera une plus grande efficacité dans le soutien apporté aux associations spécialisées et à la recherche dans ses domaines. »
Des éléments de langage auxquels ne croient pas les acteurs de la lutte antisectes. « C’est un recul terrible de notre État laïc, et même une démission », résume ainsi Jean-Pierre Brard. « Le rôle social de protection de l’État est abandonné », prolonge Georges Fenech.
source : Par Thomas Rabino