Restons Zen !
Expérimentée à l’école, la méditation de pleine conscience est dénoncée par un appel de la Ligue des droits de l’homme cosigné par des syndicats, associations de parents et groupes luttant contre les dérives sectaires. Pratique à risques, gadget ou progrès pédagogique ?
« La ‘‘pleine conscience’’ ou ‘‘présence attentive’’ est ‘‘une pratique entièrement laïque dont le but est d’entraîner les capacités d’attention et de discernement à ce qui est présent dans l’instant (…) et d’aider ainsi à acquérir une meilleure stabilité intérieure », explique dans son rapport remis en janvier 2021 au ministre de l’Éducation nationale le député Gaël Le Bohec (LREM). Sous l’impulsion du parlementaire, cette pratique aux relents de New Age devait être étendue en septembre dernier à 240 classes de CM2, de 6e et de 5e, sur le modèle des sessions dispensées aux 5 000 élèves de La Rochelle et dans divers collèges où prolifèrent les « ateliers bien-être » et autres séances de « bodyscanning ».
Dans le même temps, Initiative Mindfulness France, un « think tank » dont « dont la mission vise à sensibiliser les décideurs publics sur les bienfaits que peut apporter la Pleine conscience », aurait, selon son dernier rapport d’activité, touché 23 000 enfants. Et ces jours-ci, le conseil scientifique de l’Éducation nationale doit valider la mise en place d’« ateliers » de méditation dans les académies volontaires.
PERTE D’ESPRIT CRITIQUE
De quoi inquiéter la Ligue des droits de l’homme, des syndicats enseignants (FSU, Unsa Éducation, Fédération de l’éducation CGT), l’une des principales fédérations de parents d’élèves (FCPE), ainsi que les plus importants groupes de lutte contre les dérives sectaires (Undafi, Caffes). Au total, quinze organisations signent ce 18 janvier une lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer afin de « mettre un terme sans délais » à cette « expérimentation » : « La pratique sur des enfants mineurs d’une méthode qui peut aboutir à un conditionnement avec perte d’esprit critique et assujettissement de l’individu engendre des risques importants qui ne peuvent être négligés », alarment les signataires. Et leur courrier de souligner qu’entre 2018 et 2020, « la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a fait l’objet de douze saisines pour des problèmes liés à la MPC concernant des mineurs ».
Qu’en est-il du côté des écoles ? « Même s’ils ne pensent pas mal faire, les professeurs qui introduisent la MPC en classe sont souvent formés par un webinaire de trois heures », constate Stéphanie de Vanssay, conseillère nationale de l’Unsa, qui pointe des « contre-indications médicales, notamment la dépression, difficile à détecter chez des enfants. » Pour Marie Drilhon, présidente de l’Association de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (ADFI) Yvelines, « aller chercher en soi des ressources pour se sentir mieux, comme le veut cette méthode, pose problème chez des enfants victimes de violences familiales : ne pouvant améliorer leur sort, ils risquent de culpabiliser ! »
ESOTÉRISME
Cofondatrice du syndicat des Directeurs d’écoles et adepte de la MPC en classe, Christine Ibanez assure qu’au contraire, « la pratique incite les enfants à exprimer leurs émotions et à se confier ». En trois ans, cette autodidacte de la méditation, « formée au contact d’une amie pédopsychiatre » et « inspirée » par le psychanalyste et neuropsychiatre Boris Cyrulnik, constate « un net progrès chez les élèves » : « Moins de stress, plus de communication », résume l’enseignante de CE2, à l’origine d’un « coin zen » dans sa classe où les élèves « agités » sont libres de prendre deux minutes de pause. Des initiatives qui ont suscité l’intérêt de Jean-Michel Blanquer, en visite dans son école varoise.
Pour la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), c’est aussi « l’entrisme dans le cadre scolaire de ‘coachs’ non-agréés par le rectorat et susceptibles de manipuler des enfants » qui se révèle dangereuse. En juin dernier, la LDH s’indignait déjà dans un précédent communiqué qu’en « entrant dans l’école publique, la Méditation de pleine conscience [vienne] tacler de plein fouet la Loi de séparation des Églises et de l’État ». Christine Ibanez s’en étonne : « Je n’ai aucune religion », précise-t-elle.
En ligne de mire des « antis », les racines bouddhistes et parfois sulfureuses de cette technique développée depuis les années 1960 : « On transmet des éléments de croyance ésotériques autour des énergies », dénonce Stéphanie de Vanssay. De fait, l’américain Jon Kabat-Zinn, docteur en biologie moléculaire du MIT et créateur de la MPC mentionné sur le site du député Le Bohec, fut un temps présenté comme le « leader » de l’institut Esalen, « matrice », selon la LDH, « de nombreuses psycho-sectes qui inondent la planète depuis les années 70 ».
AU DÉTRIMENT DES MATIÈRES ENSEIGNÉES ?
Le caractère scientifique de la MPC, brandi par ses promoteurs, serait ainsi sujet à caution : « La méta-analyse publiée en 2015 par la revue Plos One, montrant que ça guérissait tout plein de choses a été dépubliée en 2019 », avertit Hugues Gascan, directeur de recherches au CNRS dans le domaine de la santé, qui évoque « un travail totalement bidonné. À l’inverse, précise-t-il l’ensemble des autres méta-analyses montre une absence d’effets significatifs, voire des effets délétères à moyen terme. »
Autre reproche récurrent, celui d’initier à une pratique controversée au détriment de vrais moyens. « Ça n’enlève rien aux maths ni au français », répond Christine Ibanez, qui « consacre dix minutes par jour à la méditation en classe ». Dans le cadre de l’expérimentation conçue par le député Le Bohec, les professeurs auront néanmoins à remplir de complexes grilles d’évaluation… Parviendront-ils à rester zen ?
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Par Thomas Rabino
Publié le 18/01/2022 à 12:01