CATHERINE COROLLER
QUOTIDIEN : jeudi 3 avril 2008
Les sectes sont-elles un «non- problème» en France comme l’a affirmé, en février, Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy – des propos partiellement démentis par la suite ? «Il y a en France des centaines de milliers de victimes de groupes sectaires», lui a indirectement répondu, hier, Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, dans une interview à la Croix. Ajoutant : «Tout le monde est exposé […]. Il est essentiel de protéger la société contre ces organisations qui coupent les individus de leurs repères, de leur entourage, et abusent d’eux au plan mental, physique, financier.»Dans son rapport annuel qui sera remis ce matin au Premier ministre, Jean-Michel Roulet, président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) plaide dans le même sens. «L’Etat ne peut pas, l’Etat ne doit pas se désintéresser de la lutte contre ces mouvements qui déploient des moyens considérables pour pouvoir se livrer, en toute impunité, à leurs activités malfaisantes.»
«Lobbying intensif». Particulièrement visées, la scientologie (lire page 4) et les Témoins de Jéhovah. La Miviludes les accuse de mener, avec d’autres mouvements comme la secte Moon ou les raéliens, un «travail de sape contre la politique française de lutte contre les sectes et de tous ses acteurs». Ces églises pratiqueraient un «lobbying intensif» au sein d’instances internationales comme l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) pour monter les autres Etats contre la France. Résultat : cette dernière est régulièrement montrée du doigt comme pratiquant une politique attentatoire aux libertés individuelles par le département d’Etat américain dans ses rapports annuels sur la «liberté religieuse dans le monde» et sur «les droits de l’homme dans le monde», mais aussi par le Conseil de l’Europe et l’ONU. «Au plan national, des lobbies comme la CAP (1), le CICNS (2), voire même certains universitaires, les relayent», poursuit la Miviludes.«faux souvenirs induits». Selon la Mission de lutte contre les sectes, ce «phénomène dangereux est le fait de praticiens ramenant systématiquement toutes les difficultés de la personne à des souvenirs occultés souvent depuis la prime enfance, de maltraitances tels l’abus sexuel (viol, inceste) dans l’entourage familial, au cours de rites sataniques ou encore d’expérience d’enlèvements par des extra-terrestres». La Miviludes s’inquiète encore du satanisme, dont elle avait déjà souligné la montée dans son rapport 2004. Avant même sa présentation, ce passage du rapport a été contesté par le sociologue Olivier Bobineau, auteur d’un ouvrage tout juste paru sur le sujet (1). Tandis que la Mission de lutte contre les sectes chiffre le nombre des personnes en contact avec cette mouvance à 25 000 dont 80% seraient âgés de moins de 21 ans, le chercheur estime à «une dizaine le nombre de satanistes affiliés à des courants et à une centaine les satanistes non affiliés, pratiquant de manière informelle et régulière».
Dans leur combat, les responsables de cette mission sont soutenus par les parlementaires membres du groupe d’études sur les sectes. Certains parmi ces derniers siègent d’ailleurs au conseil d’orientation de la Miviludes. Suite aux propos de Nicolas Sarkozy sur la «laïcité positive», tous craignent qu’au nom d’une conception de la liberté de conscience inspirée du modèle américain, la France n’ouvre la voie à un retour en force des religions.
Les parlementaires se sont sentis visés a utant par les propos d’Emmanuelle Mignon, que par ceux de Michèle Alliot-Marie. La ministre de l’Intérieur chargée des cultes a déclaré en février vouloir «décomplexer la lutte contre des dérives sectaires» et «assurer la liberté de croyance de tous». Dans la foulée, Alliot-Marie a affirmé que ce n’est «pas à la Miviludes de définir une politique, ni de mener des actions de répression.»
{{Renforcer la lutte.}} Réplique immédiate du député PCF Jean-Pierre Brard : «Au nom de la « liberté de conscience », Mme Alliot-Marie a publiquement désavoué la Miviludes dont les investigations auraient été trop audacieuses au goût du gouvernement.»
Depuis 1995, les parlementaires se considèrent comme le fer de lance de la lutte contre les sectes. Cette année-là, ils publient un premier rapport sur le sujet. Une liste de mouvements jugés sectaires y est jointe, qui fait polémique. Des églises protestantes évangéliques s’y font épingler sans réelle raison. «Notre liste a été très utile à l’époque pour populariser la lutte contre les organisations sectaires, et les magistrats s’en sont servi», affirme aujourd’hui Philippe Vuilque, député PS et actuel président du groupe d’étude sur les sectes. Deux autres rapports parlementaires ont suivi. Et les députés et sénateurs envisagent d’en faire un troisième. «Plusieurs d’entre nous ont souhaité qu’il porte sur la scientologie qui mérite une commission d’enquête à elle seule», poursuit Philippe Vuilque.
Histoire de renforcer encore les moyens de lutte contre les sectes, Bernard Accoyer, président UMP de l’Assemblée nationale, va présenter aujourd’hui aux députés une proposition de loi visant à accorder aux témoins des commissions d’enquête parlementaires la même protection juridique qu’aux personnes appelées à témoigner devant les tribunaux. Selon lui, plusieurs victimes de sectes ont été attaquées en diffamation dans le passé par les mouvements qu’elles dénonçaient.
(1) Coordination des associations & particuliers pour la liberté de conscience.
(2) Centre d’information et de conseils des nouvelles spiritualités.