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Paru le samedi 19 juin 2010

Paul Michel, procureur général de Bastia, estime qu’il faut encore renforcer la protection des mineurs. « On parle, par exemple, de prise de drogue initiatique », dans une île où le recours aux stupéfiants est un marché qui prospère.Il y a un an environ, l’actualité corse sortait des sentiers battus pour se focaliser dans la Plaine orientale, à Vescovato, où les projecteurs judiciaires mettaient en lumière une communauté qui avait pour nom La famille Ave Maria de l’enfant Jésus, « animée » par une aide-soignante psychologiquement fragile, voilée et toute vêtue de blanc, qui se faisait appeler « La Messagère ». Une messagère divorcée « sur ordre de la Vierge » qui lui apparaissait de temps à autre.

La virginité de son casier était plus aléatoire puisque des soupçons d’abus de confiance et d’escroquerie ont pesé sur cette association qui attirait des fidèles de toute l’Europe. Dans un registre différent, celui de « la plus large tolérance dans la plus stricte indépendance », Bastia et Ajaccio accueillent la semaine prochaine deux conférences dites exceptionnelles du Grand maître de l’Amorc – ancien et mystique ordre de la Rose-Croix – qui prône un enseignement accessible à tous et à tous ceux qui sont en quête de spiritualité et d’humanisme.

{{Le cas exemplaire des Témoins de Jéhovah}}

Tout ceci ne semble pas… très catholique, parfois à tort, quand on ne dispose pas de toute la connaissance souhaitée, parfois à raison quand les moyens du prosélytisme dépassent les bornes.

Aussi, la venue, lundi à Bastia, de Georges Fenech, homme politique et magistrat, et surtout président de la Miviludes, la mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, relance le problème des dérives sectaires en Corse. « On a connu quelques affaires, mais ce n’est pas un phénomène très répandu. Cependant, la menace guette sous de nouvelles formes, notamment les publics les plus fragiles et plus particulièrement les jeunes. Il ne faut surtout pas baisser la garde », prévient Paul Michel, le procureur général.

Une douzaine de sectes ont été recensées dans l’île dont la plupart sont intimement liées à la pratique religieuse comme l’Assemblée de Dieu dans la région bastiaise ou les Témoins de Jéhovah qui, selon les autorités « représentent la quasi-totalité du mouvement sectaire dans l’île ».

Ils sont près d’un millier, ce qui paraît beaucoup rapporté à la démographie insulaire. Leur présence, plus ou moins admise (un collectif a eu gain de cause devant le tribunal administratif en s’opposant à la construction d’un temple à Lucciana) est emblématique du dilemme juridique type.

Pour un responsable associatif, les Témoins de Jéhovah « créent des dérives sectaires, rejet de certaines lois, refus de la transfusion sanguine, endoctrinement des enfants ».

D’un autre côté, un policier modère : « Pour intervenir, les autorités doivent être confrontées à une infraction punie par la loi, l’escroquerie ou l’atteinte à l’intégrité physique ». En un mot, pas de mesures coercitives sans trouble de l’ordre, ce qui est le cas ici, jusqu’à présent.

{{Pratiques sectaires d’un genre nouveau}}

Le danger est ailleurs. Le procureur général estime qu’il faut encore renforcer la protection des mineurs. « On parle, par exemple, de prise de drogue initiatique », dans une île où le recours aux stupéfiants est un marché qui prospère. La Miviludes a consacré dans son dernier rapport tout un chapitre aux droits de l’enfant face aux croyances des parents. Elle insiste aussi sur toutes les dérives possibles liées à la nutrition et met en garde contre l’action d’une nouvelle génération de gourous qui prônent l’abstinence alimentaire et toutes sortes de privations, les stages associant le jeûne et la marche jusqu’à l’épuisement, ou encore l’abandon des médecines classiques au profit de régimes censés guérir de tous les maux, y compris du cancer.

Sans parler, dans une société traversée par de fortes crises, du recours à des guides bidons de néochamanisme. En préconisant des thérapies parallèles et soi-disant inoffensives pour atteindre le bien être du corps et de l’esprit, certaines pratiques sectaires avancent masquées. L’île est déjà concrètement concernée. « Il faut éviter que la Corse devienne une terre de prédilection pour ces nouvelles dérives. Il faut informer, prévenir, veiller », insiste Paul Michel. Avec détermination et, bien sûr, sans sectarisme.

Georges Fenech : « Les premiers gourous de soins alternatifs arrivent dans l’île »

{{Votre visite en Corse se justifie-t-elle vraiment ?}}

Tout à fait. C’est la première fois que le président de laMiviludes se déplace en Corse. Les visites de terrain sont primordiales et celle-ci répond à un certain nombre d’inquiétudes sérieuses qui apparaissent, mais aussi au souhait de Paul Michel, le procureur général, très impliqué dans la lutte contre les dérives sectaires et qui est un membre éminent de notre conseil d’orientation. Si le contexte d’insularité et une plus forte cohésion sociale constituent de bons remparts, la Corse est suffisamment concernée pour accentuer notre vigilance.

En quoi l’île est-elle concernée par le phénomène sectaire ?
Je viendrai non seulement recueillir des informations précises, mais aussi développer le rapport que j’ai récemment remis au Premier ministre pour dire qu’il y a des avancées considérables, mais surtout insister sur les évolutions préoccupantes comme la prolifération de mini-structures liées aux soins alternatifs et aux psychothérapeutes autoproclamés qui coupent les gens des soins conventionnels et les exposent à des risques de santé très graves. Nous avons déjà pu constater que la Corse est touchée par la création de ces cabinets, source de dérives dangereuses.

Le procureur général évoque aussi des prises de drogue initiatiques chez les jeunes…
Il faut faire très attention à la circulation de certaines plantes comme l’iboga, un arbuste psychotrope très puissant qui vient du Gabon et l’ayahuasca consommé traditionnellement par les chamans des tribus indiennes d’Amazonie. Et on a pu constater sur internet que certains sites faisaient, sur ces deux substances, quelques références à la Corse.

{{Les Témoins de Jéhovah sont à classer parmi les sectes ?}}

On ne parle plus de sectes en France,mais de dérives sectaires. Je sais que cette communauté a de très nombreux adeptes dans l’île. Mais nous surveillons tout ce qui peut se passer à l’intérieur de ce type d’organisations, notamment au niveau de la santé et de l’éducation des enfants.

{{Quel effet a votre politique de prévention puisque le phénomène sectaire ne cesse de s’aggraver ?}}

Nous avons en effet recensé 500 à 600 mouvements alors que le rapport de la commission parlementaire, qui date de 1995, en citait 172. Mais si nous n’avions pas agi pour contenir le phénomène, la situation serait bien pire encore.

{{Il existe une liste noire ?}}

Non, pas de liste noire,mais des dossiers référencés qui nous permettent de répondre aux pouvoirs publics et même des citoyens lorsqu’ils nous interrogent.

{{L’affaire médiatique de l’église de scientologie a fait peser des suspicions d’infiltration de l’institution judiciaire.
Fantasme ou réalité ?}}

Il existe des organisations qui prônent l’infiltration de tous les lieux de pouvoir, le politique comme le judiciaire. Il y a eu sans doute des tentatives mais pas de cas avérés. Cela relève du renseignement intérieur.

{{Les situations de crise actuelle ont un effet néfaste ?}}

Malheureusement oui. Toutes les crises, économique, pandémique, climatique, génèrent des gourous de tout crin. Certains oracles s’emparent actuellement du calendrier maya pour annoncer la fin apocalyptique du monde le 21 décembre 2012…

{{La Corse vous paraît-elle suffisamment armée pour faire face à tout ça ?}}

Je tiens à féliciter la Corse pour la tenue très régulière de ses cellules de vigilance. Dans ce domaine, au niveau des régions, la Corse fait partie des tout meilleurs élèves. En revanche, je regrette l’absence de certaines associations qui font un excellent travail au niveau de l’accueil et de l’information. Je pense plus particulièrement à l’association de Défense des familles et de l’individu qui ne dispose plus d’antenne dans l’île. Son retour me paraît souhaitable.

Jean-marc Raffaelli