Le procès qui s’ouvre cet automne à Bordeaux, à partir du 24 septembre durant deux à trois semaines, va mettre au jour une affaire d’emprise mentale des plus stupéfiantes. Soupçonné d’avoir placé sous sa coupe toute une famille d’aristocrates du Lot-et-Garonne, Thierry Tilly, 48 ans, y comparaîtra pour «escroquerie, séquestration, acte de torture, extorsion de fonds et abus d’état de faiblesse». De la grand-mère jusqu’aux petits-enfants en passant par les parents, il aurait asservi tout un groupe durant une dizaine d’années, en le ruinant au passage. Château, appartements, placements, tout a disparu. Soit un préjudice estimé à près de 5 millions d’euros.

Au terme de neuf années d’instruction achevée, selon nos informations, depuis le 16 avril dernier, l’affaire ne cesse d’intriguer, tout comme la personnalité des prévenus et des victimes. Comment une famille éclairée a-t-elle pu être manipulée par Thierry Tilly, qui avec un visage avenant à la Bill Gates, intelligent et hypermnésique, s’est forgé un caractère insolent bâti sur une biographie inventée.

Quand il se présente en 1997 à Ghislaine de Védrines, qui dirige une école de secrétariat à Paris, il est responsable d’une société de nettoyage industriel. Très vite, il se dit agent secret d’une organisation mondiale. Puis à toute cette famille, il indique que, lui, le général de cette armée secrète, a été mandaté pour protéger les grandes familles méritantes, comme eux, les Védrines. Ces derniers représentent en effet une grande lignée aristocratique protestante. Des nobles fiers de leurs ancêtres mais qui vivent aussi avec leur temps. Ils ont certes gardé le château de Monflanquin, mais tous semblent avoir les pieds sur terre. À l’époque, Ghislaine travaille donc, son frère, Philippe, est cadre d’une compagnie pétrolière et son autre frère, Charles-Henri, est gynécologue à Bordeaux. Ce dernier s’était même lancé en politique en 1995, figurant sur la liste d’Alain Juppé lors des municipales. Il y a plus fantaisiste.

Dénuement et châtiments
Pourtant ces trois-là s’embarquent sans retenue dans les délires de Tilly, entraînant avec eux leur vieille mère de plus de 80 ans, depuis décédée, leurs enfants, leurs conjoints respectifs, excepté l’un deux: Jean Marchand. L’époux de Ghislaine de Védrines a assisté impuissant au naufrage de onze membres de sa famille, parmi lesquels se trouvaient aussi ses deux enfants.

Aux ordres de Thierry Tilly, tous ont fini dès 2001 par vivre claquemurés dans le château. Au programme: dénuement et châtiments. Puis, Thierry Tilly part en Angleterre. Fait incroyable: le gourou présumé n’est plus là mais tous restent à sa merci. «Tilly a fait de l’emprise mentale à distance», raconte Jean Marchand. D’ailleurs, comme un seul homme, une partie du groupe traversera la Manche en 2008 pour rejoindre son protecteur à Oxford. De nouveau, tous sont sous-alimentés et les uns châtient les autres. L’une d’elles, Christine de Védrines, est particulièrement maltraitée. Elle restera ainsi plusieurs jours éveillée, debout sur un tabouret. Seule contre tous. Les autres se relaieront pour lui broyer les lobes d’oreille et l’empêcher de dormir, comme elle le racontera plus tard au juge. Ce groupe a finalement quitté le monde de la folie fin 2009 après avoir été «exfiltré». Une opération commando menée à Oxford avec l’aide d’un criminologue et d’une psychanalyste. Au terme d’une approche délicate, ces derniers sont parvenus à convaincre les reclus d’Oxford de partir. Un seul les a suivis sur-le-champ, les autres ont regagné la France plus tard.

Après l’arrestation de Thierry Tilly, qui nie tout en bloc, l’enquête a fait apparaître trois autres noms dont celui de Jacques Gonzales, adepte de croyances ésotériques comme le Channeling (en contact avec l’au-delà, NDLR). À 65 ans, il serait présenté comme le gourou du gourou. À la tête d’une fondation humanitaire au Québec, il aurait récupéré une partie de l’argent des Védrines. «Mais il pensait qu’il s’agissait de dons», indique son avocate, Me Sylvie Reulet, en précisant que son client, à la différence de Thierry Tilly, n’a jamais eu de démêlés avec la justice. «On ne devient pas escroc à 60 ans!», dit-elle. «Mais qui est le gourou de qui? C’est bien la question», estime pour sa part Me Édouard Martial, l’avocat de Jean Marchand. Aujourd’hui, les Védrines sont ruinés. Quant à Jean Marchand, il a renoué avec ses enfants et sa femme, mais, confie-t-il, «plus rien ne peut être comme avant».

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LE FIGARO.fr 20 avril 2012 / Par Angélique Négroni