Le gouvernement français aurait-il pu s’épargner une dépense d’1,8 millions d’euros ? La question se pose alors que la bataille juridique qui opposait depuis quinze ans l’association des Témoins de Jehovah (TJ) à l’Etat français vient de trouver son épilogue.
Les Témoins de Jehovah affirment avoir reçu, le 11 décembre, un chèque de « 6 373 987, 31 euros », correspondant aux sommes saisies en 1998, 4,5 millions, augmentées des intérêts et des frais de justice. Après la décision de la CEDH de juillet 2012, le gouvernement avait trois mois pour faire appel, faute de quoi, il disposait encore de trois mois pour rembourser les sommes saisies.
Le contentieux, arrivé devant la CEDH après des années de procédures judiciaires en France, portait sur la question de savoir si les offrandes –dons manuels- devaient ou non bénéficier de l’exonération fiscale qui prévaut pour les dons et legs faits aux associations cultuelles. Après la publication du rapport parlementaire sur les sectes en 1996, -qui pointait la dangerosité des TJ mais dont le contenu a été par la suite reconnu sans fondement juridique-, l’association avait fait l’objet de contrôles fiscaux, débouchant sur une taxation de ses dons manuels.
« Fin d’une période tragique »
Après des années de procédure judiciaire, la cour européenne avait infligé, en juin 2011, un camouflet à la France en estimant qu’elle avait violé la liberté de religion. La CEDH reconnaissait alors que l’article du code général des impôts, invoqué par le gouvernement français pour la taxation, n’était ni assez « précis » ni assez « prévisible ». Sans reconnaître de pratique discriminatoire à l’encontre des TJ, la cour avait toutefois admis qu’il y a eu « ingérence dans le droit de l’association requérante à la liberté de religion » dans la mesure où les dons taxés « constituaient la source essentielle de son financement».
« Avec ce remboursement, le gouvernement censure la politique menée depuis quinze ans, estime l’avocat des TJ, Philippe Goni. On en finit avec cette période tragique faite pour détruire l’association et au cours de laquelle les juridictions françaises n’ont pas joué leur rôle. La levée des hypothèques sur les bâtiments appartenant aux TJ [également décidées en 1998] devrait logiquement suivre ».
Guy Canonici, responsable des TJ en France, qui revendique quelque 250 000 membres, espère que cette décision mettra un terme « à toutes sortes de critiques dont les TJ ont été régulièrement l’objet. On nous a trainés dans la boue, accusés de fraude fiscale ». Et, s’il se dit « naturellement satisfait de cette décision », il « regrette que la France ait été condamnée, sur la base d’actions d’individus et de courants de pensée intolérants ».
La Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) considère toujours problématique le refus de transfusion sanguine par les Témoins de Jéhovah. Georges Fenech, son ancien président, redevenu député, et particulièrement investi dans la « vigilance » à l’égard des TJ, prend acte de cet épilogue mais ne désarme pas. « Il s’agissait d’un litige de nature fiscale mais des inquiétudes subsistent sur leurs pratiques en matière de santé ou d’éducation des enfants ». M.Fenech devrait prendre la tête d’un prochain groupe de travail sur les sectes, à l’Assemblée nationale.
Un ultime contentieux oppose désormais les TJ à l’administration sur la question des aumôniers de prison. Après plusieurs refus du ministère de la justice de permettre au ministres du culte de se rendre auprès des détenus, la décision est entre les mains du Conseil d’Etat, qui doit se prononcer prochainement. Dans le contexte actuel, M.Goni a « bon espoir » que ce dossier trouve aussi un épilogue positif pour l’association qu’il défend.
source : 14 décembre 2012
Le Monde (Blog)
Stéphanie Le Bars