Remontant dans ses souvenirs, Bernard Touchebeuf est allé très loin. Il s’est vu dans le ventre de sa mère, quand il n’était qu’un fœtus de trois mois. Un moment de quiétude qui a viré au cauchemar quand il a aperçu une aiguille à tricoter qui cherchait à le tuer. «Elle était bleue», raconte-t-il.
Ce brillant consultant en management de 58 ans a bel et bien cru à cet incroyable voyage dans le temps. De 1984 à 2007, il est tombé, selon lui, entre les mains d’un soi-disant thérapeute qui lui aurait imposé de «faux souvenirs induits». Ces pratiques d’emprise mentale vont être abordées dès ce mardi en correctionnelle à Paris au cours du procès de Benoît Yang-Ting, autoproclamé humanothérapeute et poursuivi à 77 ans pour abus de faiblesse ainsi que son épouse. «Alors qu’il y a eu pléthore de procès de ce genre aux États-Unis, c’est la première fois en France que les juges vont se pencher sur ces procédés», souligne Claude Delpech, présidente de l’association Alerte faux souvenirs induits.
Par le biais de cette technique, précise cette dernière, les charlatans parviendraient à convaincre leurs victimes de l’existence de souvenirs refoulés, car douloureux, qui expliqueraient leur mal-être. Le plus souvent, des affaires de viol ou de maltraitance dont les auteurs sont les parents. Les êtres aimés deviennent brusquement des bourreaux.
C’est ce qu’a vécu Bernard Touchebeuf, pris, selon lui, durant vingt-deux ans dans la nasse de Benoît Yang-Ting. Une longue période au cours de laquelle il a perdu gros: 750.000 euros et tant d’années avec ses parents, avec lesquels il avait rompu. «J’étais persuadé qu’ils avaient voulu me tuer», confie-t-il. Ces terribles souvenirs lui auraient été imposés lors de sessions de trois semaines, tarifées 45.000 euros, et au cours desquelles il devait à peine manger, dormir et passer ensuite des heures, sur un divan, entièrement dévêtu. En parallèle de ces sessions coûteuses, il y avait aussi des séances à 320 euros de l’heure, des sanctions financières en cas de désobéissance au thérapeute. «Ouvrir son courrier quand cela était interdit était une faute. Il fallait verser 150 euros par lettre», indique Me Anne Colonna, avocate des parties civiles. «On était une dizaine d’adeptes et on avait tous fini par vivre près du praticien. Avec mon épouse, on s’était même installés dans le même immeuble parisien, deux étages au-dessus», raconte Bernard Touchebeuf.
Remède miracle
C’est en 1984 que ce dernier avait frappé à la porte de l’humanothérapeute. «Dès la première année, mon mariage était un échec», dit-il. La méthode de Benoît Yang-Ting s’était imposée à lui et à son épouse comme le remède miracle. «Mais j’ai commencé à ouvrir les yeux en 2005 quand ma fille de 7 ans a parlé d’attouchements par sa nourrice», poursuit-il. Il saisira la justice deux ans plus tard. «Toujours persuadée des bienfaits de ces pratiques, ma femme témoignera contre moi à l’audience, et ma fille vit avec sa mère», poursuit Bernard Touchebeuf.
Au cours du procès, Benoît Yang-Ting, qui conteste toute accusation et qui défend les bienfaits de sa méthode, affrontera deux victimes. «Soyons sérieux: ces dernières sont parfaitement éclairées. L’une est avocate et l’autre est consultant en management. Ces personnes n’ont rien de vulnérable», lance son avocat, Me François Gibault, en soulignant que les sessions n’avaient lieu que tous les trois ans. «Ils sont donc revenus à chaque fois de leur plein gré», dit-il. Quant aux souvenirs induits, l’avocat est catégorique: «Il faut encore démontrer que ces images du passé ont été soufflées par Benoît Yang-Ting.» Le procès devrait durer deux jours.
«On a fabriqué une mémoire à ma fille»
Christiane (le prénom a été changé) fait partie des centaines de parents en France qui ont vu leurs enfants se retourner contre eux, pris au piège des faux souvenirs induits. Pour elle, ce fut une lente dérive, jusqu’à la rupture. Aujourd’hui brillante avocate d’affaires qui avait rencontré des problèmes relationnels avec son ami, sa fille unique s’était adressée à un psychothérapeute en 2006. «J’ignore tout de ce spécialiste mais je sais qu’elle était allée consulter», indique Christiane, totalement démunie, et qui avoue n’avoir «rien vu venir». Tout d’abord elle a dû rendre des comptes à son enfant. «J’ai dû lui raconter par écrit mon accouchement et donc sa naissance.»
Puis, ce furent les accusations. Sans dire qu’elle a été victime, la jeune femme dénonce un grand-père et un oncle violeurs. Christiane se souvient des mots terrifiants de sa fille au téléphone: «Tu me fais peur. Je ne veux plus te voir.» Depuis, c’est la rupture: «Elle est à Londres, où elle gagne très bien sa vie, et quelqu’un abuse d’elle. On lui a fabriqué une nouvelle mémoire.»
Pour Claude Delpech, responsable de l’association Alerte faux souvenirs induits, il est impératif, pour éviter tout abus, de demander conseil à son médecin avant d’entamer une thérapie. «Quant aux parents dont les enfants sont manipulés, ils doivent alerter le procureur. La justice a été sensibilisée à ce genre de dérives», dit-elle en précisant que plus de 600 familles ont à ce jour frappé à la porte de son association.
SOURCE : LE FIGARO
Par Angélique Négroni