La proportion des cas de maltraitance parmi le total des hospitalisations des enfants de 0 à 5 ans a doublé en mars et avril 2020 par rapport aux 3 printemps antérieurs de 2017, 2018 et 2019.
Données scientifiques
Combien de temps faudra-t-il pour appréhender tous les effets négatifs, qu’ils soient psychologiques, sociaux, ou encore physiques, du confinement strict de mars 2020 ? Alors que plusieurs travaux ont souligné l’augmentation des violences conjugales à cette période, rares sont ceux à s’être penchés spécifiquement sur les maltraitances d’enfants. Une étude menée par des chercheurs de l’université de Dijon et du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations Paris-Saclay de l’Inserm, publiée le 28 août dans la revue Child Abuse & Neglect, pointe du doigt l’augmentation des cas de violences infantiles entre mars et avril 2020.
Plus exactement, leurs travaux montrent que la part d’hospitalisations d’enfants de 0 à 5 ans pour cause de maltraitances physiques sévères a augmenté de 50 % pendant le premier confinement. Pourtant, la prise en charge des enfants à l’hôpital, toutes causes confondues, a baissé de 30 % au même moment. Une situation alarmante, qui d’après les chercheurs concernés, est loin de s’arranger. Entretien avec Catherine Quantin, épidémiologiste et cheffe du service de biostatistiques et d’informations médicales au CHU de Dijon, qui a dirigé l’étude, et Yann Mikaeloff, professeur de pédiatrie et membre du centre de protection de l’enfance et de l’adolescence (CPEA) Val-de-Marne/ Hauts-de-Seine, également auteur de ces travaux.
Marianne : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser spécifiquement aux violences faites aux enfants de 0 à 5 ans pendant le premier confinement ?
Catherine Quantin : En pratique, on se doutait qu’il y avait une augmentation importante de la violence familiale pendant la période du premier confinement. On avait des remontées du terrain, des hôpitaux. Au niveau national, la Société française de pédiatrie évoquait une hausse des consultations pour maltraitance. Mais il n’y avait pas de travaux spécifiques sur l’augmentation des violences familiales à l’encontre des enfants en milieu hospitalier. Alors que justement, en France, nous avons la chance de disposer des données exhaustives de toutes les hospitalisations, que ce soit dans le public ou le privé.
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Ensuite, pour les 0 – 5 ans, nous savons qu’à ces âges-là, il est plus facile d’avoir des informations fiables : avant l’âge de la marche, un enfant se fait difficilement gravement mal tout seul. Autrement dit, s’il a de multiples traumatismes, c’est rarement parce qu’il a fait du sport ou à cause d’une simple chute.
Yann Mikaeloff : Pendant le confinement, il y a eu un tiers de signalement de violences faites aux enfants en plus auprès du 119, le numéro agréé, par rapport à l’année précédente. Je suis aussi neuropédiatre à l’hôpital. Les acteurs de la protection de l’enfance étaient en alerte rouge au début de la crise sanitaire. Les réanimateurs pédiatriques assuraient voir plus de bébés secoués, la protection de l’enfance était en grande tension.
Vous avez donc constaté une augmentation de la proportion des enfants hospitalisés pour maltraitance physique sévère, par rapport au total des hospitalisations ? Comment vous êtes-vous assuré que les cas relevaient de maltraitance ?
Catherine Quantin : Pendant le confinement, pour les enfants comme pour les adultes, les consultations et hospitalisations ont baissé, en l’occurence d’environ 30%. Or nous aovns constaté que les cas de maltraitance nécessitant une hospitalisation, eux, n’ont pas diminué. La proportion des cas de maltraitance parmi le total des hospitalisations des enfants de 0 à 5 ans a doublé par rapport aux 3 printemps antérieurs 2017, 2018 et 2019. Ensuite, pour nous assurer qu’il s’agit de maltraitance, il y a eu la validation d’un algorithme diagnostic combinant des codes d’hospitalisation, certains sont évidents de façon autonome, par exemple une strangulation, mais d’autres situations comme les fractures sont confortées par l’association d’autres codes pour poser le diagnostic de maltraitance.
Et ce n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg : notre algorithme différencie les cas indiscutables des cas suspects de maltraitance. Or dans notre évaluation, nous n’avons repris que les cas indiscutables, c’est donc forcément une fourchette basse. La réalité est sûrement beaucoup plus élevée. On a également relevé que les filles ont été autant touchées que les garçons, alors que ces derniers sont d’ordinaire davantage concernés.
Yann Mikaeloff : Oui, cette proportion élevée de filles concernées nous laissent penser que les coups ont été distribués sur les enfants sans distinction. La sévérité des atteintes physiques nous a aussi marqués. Les cas d’hospitalisations pour maltraitances ne sont pas des petites chutes. On parle de syndrome du bébé secoué, ce sont des maltraitances physiques gravissimes. Pour certains, leur pronostic intellectuel et moteur va les situer en déficience avec une assistance à vie, impactant tout leur parcours de vie.
L’Education nationale ne pouvait plus exercer son rôle de signalement, ce qui a donné lieu à une aggravation des violences. Toutes les structures habituelles étaient fermées. Les parents se sont retrouvés sous pression, avec un nouveau stress, de grandes incertitudes professionnelles pour certains… Même les parcs étaient fermés, il n’y avait plus d’échappatoire.
La situation semble-t-elle s’être améliorée depuis le premier confinement ?
Yann Mikaeloff : Nous n’avons aucun argument chiffré pour le prouver, mais ce n’est sûrement pas revenu à la situation d’avant la crise sanitaire. De nombreux signaux l’évoquent. Le 119 est encore alarmiste, les pédiatres voient aussi plus de syndromes du bébé secoué, certains acteurs de terrains évoquent encore des afflux. La protection de l’enfance parle d’ultra violence, loin d’être anecdotique. Nous sommes encore en crise sanitaire, et pour ce sujet de la maltraitance infantile, il y a urgence renforcée de vigilance et d’action. Un observatoire opérationnel de suivi régulier national et régional est indispensable pour adapter les actions et la prévention.
Catherine Quantin :On souhaite étudier les confinements suivants, mais j’ai du mal à trouver les financements pour ce sujet. Le CHU de Dijon ne peut pas prendre en charge ces travaux nationaux, donc on ne sait pas si on pourra effectuer les mêmes analyses. Malheureusement, le manque de financements montre le peu d’intérêt accordé à ce sujet. C’est pour cette raison que nous voulons constituer un observatoire national.
De quoi s’agirait-il ?
Yann Mikaeloff : Nous proposons la mise en place d’un observatoire de la maltraitance infantile, qui reprendrait la méthodologie de cette étude sur le premier confinement. Avec les bons indicateurs, en s’appuyant sur les signaux des appels au 119, on pourra avoir une appréciation régulière de la maltraitance aux niveaux régional et national, et tirer la sonnette d’alarme lorsque c’est nécessaire. Il s’agirait d’un outil essentiel, pour tous les partenaires de la protection de l’enfance, offrant une surveillance systématique. Et permettant de ne pas laisser ce fléau se développer
source :https://www.marianne.net/societe/sante/hausse-de-maltraitance-infantile-pendant-le-confinement-les-chiffres-qui-le-prouvent
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