S’il y a bien une jonction entre groupes djihadistes et dérives sectaires, la notion d’emprise psychologique n’explique pas à elle seule la radicalisation constatée chez les djihadistes. D’autres enjeux entrent en ligne de mire, notamment la quête identitaire.
Les attentats perpétrés en France en 2015 ont fait surgir un enjeu de taille auprès des autorités : en amont de la lutte antiterroriste, il a surtout fallu parler (dé)radicalisation. Dès lors, une question, parmi les nombreuses qui ont surgi, s’est imposée : les groupes djihadistes sont-ils régis par les mêmes mécanismes psychologiques que les sectes ?
Moins d’une semaine après les attentats du 13-Novembre 2015 à Paris, l’anthropologue controversée Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), fut l’une des premières à faire le lien entre secte et djihad. «Par internet, Daech applique au départ des techniques d’endoctrinement sectaire pour amener le jeune à fuir le monde réel, puis à le rejeter», déclarait-elle dans une interview à La Tribune de Genève. Et d’ajouter : «C’est un projet totalitaire qui emploie des méthodes de type sectaires», en allusion à l’organisation terroriste.
L’emprise psychologique, une hypothèse légitime mais pas essentielle
«Le lien entre secte et djihad a été fait en France au plus haut sommet de l’Etat avec la mise en place de centres de déradicalisation, sur la base d’un programme qui ressemblait beaucoup au déconditionnement proposé dans le cadre de la lutte contre les sectes», nous rappelle Etienne Ollion, sociologue, chercheur au CNRS et auteur de plusieurs études sur les sectes en France. «De façon assez institutionnelle, les thèmes évoqués pour lutter contre les sectes et forgés par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, ndlr), expliquant très bien la manière dont se produisent les phénomènes d’emprise, ont été repris dans les premiers centres de déradicalisation qui ont ouvert dans les années 2015-2016, avant qu’ils ne ferment», ajoute le sociologue.
Etienne Ollion reconnaît des similitudes entre l’entrée dans le djihad et l’intégration à une secte religieuse, notamment des «changements de comportements rapides» et une adhésion à des actes irrationnels – «refuser de se soigner quitte à mourir par exemple» – ou, tout aussi irrationnel, commettre un attentat. Le chercheur émet toutefois des réserves sur deux points :
«Le premier, c’est qu’on ne parle tout de même pas des mêmes actes. Dans le cas du terrorisme, on est face à de la criminalité, à des attaques portées contre des tiers. Or dans le cas des sectes, il s’agit, la plupart du temps, d’actions qui se dirigent avant tout vers la personne elle-même.»
Le sociologue juge peu adaptée la notion d’emprise, estimant qu’elle balaye de nombreux éléments pourtant essentiels dans l’élaboration et la mise en place de mesures de lutte contre la radicalisation. «On est certes face à des profils différents, mais ce n’est pas n’importe qui qui intègre un groupe djihadiste ou une secte comme la scientologie ou les « témoins de Jéhovah ». En utilisant un terme un peu commun comme l’emprise, on s’empêche de voir les conditions qui font que telle personne va choisir telle voie ou pas», analyse Etienne Ollion.
Quête identitaire
La seconde critique que formule le chercheur à l’égard du concept d’emprise, c’est qu’il tend à «rejeter la responsabilité sur quelques personnes extérieures», en l’occurrence les imams radicalisés ou les gourous. «Là encore, on doit faire attention au fait qu’il y a certes des personnes particulièrement influentes, mais si on veut expliquer la manière dont ces logiques peuvent se mettre en place, il faut étudier les conditions de vie des personnes, leurs expériences et trajectoires de vie. Ce n’est pas simplement en mettant l’accent sur quelques personnes qui ont effectivement joué un rôle important qu’on va réellement comprendre ce qui se passe, ni empêcher certains actes de se produire.»
«Accuser les gourous ou les imams, c’est se dédouaner de sa responsabilité en tant que société ou Etat. Il faut concevoir ce système à travers sa version la plus radicale, plutôt que de penser qu’il y a quelques moutons noirs et des personnes faibles.»
Pour Wael Garnaoui, doctorant en psychanalyse et psychopathologie à l’université Paris Diderot, il y a bien «un croisement entre ce qui se passe dans les sectes religieuses et les groupes djihadistes». Il ajoute : «L’ »Etat islamique » a développé une idéologie basée sur une identité très rigide et une interprétation très superficielle des textes coraniques. Il est arrivé en disant : »nous sommes là pour accueillir les vrais musulmans ». Fethi Benslama (psychanalyste tunisien, ndlr) a appelé cela le »surmusulman », basé sur un inconscient musulman», ajoute Wael Garnaoui.
Pour lui, les djihadistes qui ont rejoint Daech – «et peu importe qu’ils soient français, marocains ou tunisiens» – s’inscrivent dans une quête identitaire ; celle de l’«identité musulmane», faute de parvenir à se forger une identité au sein même de leurs pays respectifs, et ne se reconnaissant pas dans le modèle de société que leur offre, pour certains, l’Occident.
Dans le sillage d’Etienne Ollion, Wael Garnaoui nuance toutefois la notion d’emprise psychologique et de lavage de cerveau : «Certains s’engagent sans avoir forcément subi une emprise psychologique ou un embrigadement classique. Il y a à travers ces départs une quête de réparation psychique, mais aussi de reconnaissance politique. Un besoin et un désir d’identification à un nouveau groupe, un nouveau discours, un nouveau leader.»
source :
www.yabiladi.com/articles/details/85336/groupes-djihadistes-sectes-religieuses-memes.html