Laurent Gbagbo a beau avoir été arrêté le 11 avril après plus de quatre mois de crise – dont deux semaines de guerre – suivant son refus de reconnaître sa défaite au scrutin de novembre 2010, il a beau être détenu à Korhogo (nord) pour « crimes économiques », certains Ivoiriens gardent foi en lui, spécialement à Yopougon, son bastion dans l’ouest d’Abidjan.
« Ce n’est pas fini! », affirme à l’AFP Elie Ayéri, membre de l' »Eglise des merveilles de Dieu », brandissant un CD contenant le dernier message du pasteur ivoirien et « prophète » auto-proclamé Mamadou Koné, alias « Malachie », nom emprunté à un prophète de l’Ancien Testament.
Les « prophéties » attribuées à ce mystérieux et introuvable personnage dont le visage n’est connu qu’à travers quelques photos, ont rythmé la crise post-électorale. Contre l’évidence d’une chute probable puis avérée, elles ont laissé espérer jusqu’au bout au camp Gbagbo une « intervention divine » salvatrice.
La dernière en date de ses « révélations » lui vaut depuis août un mandat d’arrêt de la justice ivoirienne.
Dans un texte publié sur internet et dans la presse locale, il promettait rien moins qu’une nouvelle « guerre », un « grand vent de destruction », une
« catastrophe » dans la première semaine d’août, qui devait être le prélude à la libération de Laurent Gbagbo.
Conséquence: à Abidjan, où la communauté évangélique reste pourtant très minoritaire, des habitants inquiets avaient pris d’assaut les commerces pour faire des provisions avant l’Apocalypse annoncée.
« J’ai rempli mon frigo pour trois mois », se souvient Victoire Golly Yaba, une mère de famille qui se dit « traumatisée ».
colporteurs de balivernes
Peine perdue: la « prophétie » s’est averée aussi fallatieuse que les précédentes.
Toutefois, pour Yves Agnimel, pasteur à la « Chapelle évangélique des délices de l’arrière-saison », elle « s’est accomplie en partie ». Ce professeur d’anglais en veut pour preuves la série d’accidents de la route très meurtriers qui ont bouleversé le pays début août.
Mais pour l' »apôtre » Jean Assémian, fondateur de la « Mission des royaumes de Dieu » (Mirod), une autre église évangélique, « les prophètes qui prennent leurs rêves pour la réalité jettent un discrédit sur la corporation ».
Il souhaite « assainir » un milieu « gangrené par des pasteurs +alimentaires+ » surtout guidés par la foi en l’argent.
Au sortir d’une décennie de crise politico-militaire, les quelque 20 millions d’Ivoiriens (40% de chrétiens, 40% de musulmans et 20% d’animistes, selon l’estimation courante), appauvris, « sont sans repères », souligne le sociologue Nestor Anidié Dakaud.
Il pointe le « problème d’éducation », « un terreau fertile pour la propagation des croyances et des prophéties en tous genres ».
L’ère Gbagbo avait vu fleurir les pasteurs parfois aussi clinquants que les « télévangélistes » américains, et dont Laurent Gbagbo et plus encore son épouse Simone étaient friands. De nombreux prêtres, pasteurs et imams exhortent à présent à ne plus mélanger religion et politique.
Mais, dans des cercles proches du pouvoir, certains veulent aller plus loin et en finir avec Malachie et ses alliés.
Il est temps de punir « les messagers » – « ces charlatans » – aussi bien que « les colporteurs » de ces « balivernes », c’est-à-dire la presse, juge Alphonse Soro, président de l’Alliance pour le changement (APC), une ONG locale.
Pour lui, Malachie est une « facette visible du machiavélisme de Laurent Gbagbo », dont l’ombre n’en finit décidément pas de planer sur un pays meurtri.