ENTRETIEN. L’ancien député s’alarme des dérives dans le milieu de la santé dite « naturelle ». Il fustige l’inaction et la complicité des pouvoirs publics.

 

« Je crois qu’on peut parler d’une nouvelle forme de séparatisme. » Georges Fenech s’inquiète de la progression des thérapies alternatives en France. Pour l’ancien président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), un mélange de lobbying et d’entrisme empêche le gouvernement de réagir. Il dénonce l’inertie des pouvoirs publics qui continuent d’accueillir avec angélisme dans les hôpitaux, les universités (et même à l’Assemblée nationale !) des praticiens aux méthodes non éprouvées. Après avoir publié Gare aux gourous (éditions du Rocher, 2020), Georges Fenech vient d’accepter de siéger au nouveau conseil d’orientation de la Miviludes voulu par Marlène Schiappa, aux côtés de Gérald Bronner ou encore de Cynthia Fleury. Pour l’ancien député, il est urgent d’agir.

Le Point : Pourquoi les thérapies alternatives sont-elles en expansion ?

Georges Fenech : Il y a plusieurs facteurs. Il y a d’abord une vague de fond « New Age », qui se répand depuis les années 1970 en Europe sous la forme d’une recherche de « retour à la nature » et puis, plus récemment, la multiplication des discours complotistes, qui s’appuient sur de réels scandales sanitaires. Le Mediator, la vache folle ou le sang contaminé ont, quelque part, entamé la confiance des Français. Un exemple : si un patient atteint d’un cancer veut chercher des méthodes pour se soigner sur Internet, le site de l’Institut national du cancer n’arrive qu’en troisième position des résultats. Donc vous avez tout de suite accès à des méthodes alternatives à l’oncologie traditionnelle. Et on le voit bien, d’ailleurs, avec le Covid : vous vous retrouvez avec une profusion de techniques parallèles pour guérir en vingt-quatre heures. Il suffit d’aller voir sur le Web : tous ces mouvements « thérapeutiques » se sont mis en branle pour proposer des jus de citron en guise de traitement.

Comment l’alimentation conduit-elle à des dérives thérapeutiques ?

Toutes ces pratiques nutritionnelles de crudivorisme, de jeûne ou d’instinctothérapie sont en apparence inoffensives sauf qu’elles peuvent avoir des conséquences dramatiques au long terme : problèmes cardiaques, anémie, insuffisance en vitamines… On le voit bien chez les enfants qui suivent le régime strict de leurs parents : ils présentent d’importants retards de croissance. Et, quand ces méthodes sont utilisées en parallèle d’une maladie grave ou d’autres activités comme la randonnée, le danger est réel. L’affaiblissement physique de la personne peut conduire à affaiblir sa capacité à résister ou à comprendre ce qui lui arrive. C’est la voie royale pour exercer une emprise sur quelqu’un. Peu à peu, la personne va se transformer, perdre son libre arbitre et se sentir appartenir à une communauté.

Pourquoi fustigez-vous cette « mode du bien-être » ?

Derrière cette mode du bien-être, ce n’est pas uniquement le fait de guérir une pathologie, c’est aussi l’idée qu’il faut accéder à une santé parfaite. Il y a une dimension spirituelle, philosophique dans tout ça. Les gourous l’ont très bien compris et ils utilisent cela pour manipuler leurs adeptes. Vous avez aussi tous ces traitements qui, au départ, sont indolores financièrement et qui le deviendront petit à petit, sous la forme de procédure de plus en plus pratiquée ou de stages.

Quelquefois, cela peut aller très, très loin : j’ai le souvenir d’une avocate qui avait engouffré 300 000 euros auprès de son « thérapeute ». N’importe quel milieu social peut être visé. Une fois qu’on est sous emprise, c’est très compliqué d’en sortir, parce que c’est le logiciel qui a été transformé, c’est la vision du monde. Vous allez me dire que je suis un inquisiteur, que je vois des sectes partout, mais il y a certaines pratiques très en vogue, comme le yoga ou la méditation, qui peuvent être un point d’entrée terrible. Et pourtant, à l’école, on fait désormais des séances de méditation. On le pratique même à l’Assemblée nationale, ce qui m’inquiète beaucoup. D’autant plus qu’on a un groupe d’études sur les sectes, que j’avais présidé jusqu’en 2017, qui n’existe plus… On est en train de céder devant les charlatans.

Vous dénoncez un certain « entrisme ». Dans quels milieux précisément ?

Les mouvements les plus influents cherchent à occuper des fonctions importantes dans les lieux de pouvoir. On a des exemples de responsables de la haute administration qui servent de relais à ces courants philosophiques. Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, a, par exemple, organisé un grand colloque au ministère de la Santé en juin 2019 pour vanter les mérites de la méditation en pleine conscience, qui guérirait toutes formes de stress. Dans le milieu économique, il y a un réel entrisme aussi, par le biais de la formation professionnelle. Sur les quelque 60 000 organismes que compte notre pays, 4 000 sont des faux-nez de mouvements sectaires.

Vous allez, par exemple, suivre une formation de coaching et, à un moment donné, on va vous distiller des préceptes tout à fait intrigants. Et on estime qu’il y a à peu près 4 000 médecins en France qui se livrent à des pratiques alternatives. Ils ne le disent pas trop, ils continuent à exercer la médecine conventionnelle… Mais, à côté de ça, ils proposent d’autres méthodes. Donc le patient ne sait pas, il peut se trouver embarqué dans des thérapies qui n’ont jamais, en réalité, prouvé leur efficacité et se dire « après tout, puisqu’on permet à ces discours de se tenir et que parfois on les encourage même ». Mais on n’est plus dans la médecine de Pasteur, on tombe dans un monde totalement ésotérique, celui de Steiner et d’autres penseurs du XVIIIe ou XIXe siècle.

Vous dites que les pouvoirs publics ont baissé la garde. Pourquoi ?

Aujourd’hui, la quasi-totalité des facultés de médecine délivre des diplômes ou des unités de valeur pour le reiki ou la kinésiologie… Ça donne un vernis officiel qui vous permet d’avoir une plaque. Pour moi, c’est un vrai scandale et je me demande pourquoi le ministère de l’Enseignement supérieur ne remet pas de l’ordre. Vous imaginez même que, dans les hôpitaux de Paris, on leur a ouvert la porte. Ces pseudo-thérapeutes viennent soulager, soi-disant, les souffrances des malades.

En fait, ils servent un peu de cobayes, j’ose employer le terme ! Ça a été reconnu par la directrice de l’AP-HP à l’époque devant la commission d’enquête sénatoriale. Il y a manifestement une défaillance. S’il n’est pas homologué, s’il n’a pas eu de contrôle par la DGCCRF, le moindre jouet que vous mettez en vente dans un supermarché ne passe pas. Là, vous allez dans un salon du bien-être, de la médecine naturelle, vous allez voir toutes sortes d’appareils extraordinaires, mais il n’y en a pas un seul qui va soigner votre pathologie… Manifestement, on ne s’intéresse pas à notre bien le plus précieux au prétexte que nous sommes dans un domaine de liberté.

La médecine conventionnelle est-elle responsable de ce rejet ?

Il y a une responsabilité du corps médical, notamment de la médecine hospitalière, qui ne prend pas suffisamment en compte le malade comme une personnalité entière. Elle va traiter le mal sans se préoccuper de la psychologie. Les gourous thérapeutiques ont parfaitement compris qu’en proposant « une méthode holistique » ils allaient attirer les malades. Ils proposent de prendre en charge la souffrance psychologique : la crainte, la peur, l’anxiété… quand les oncologues n’ont pas forcément le temps de le faire. Malheureusement, les professionnels de la médecine ne se rendent pas forcément compte de l’ampleur de ces phénomènes. Je crois beaucoup en notre corps médical et je pense que le sursaut, tôt ou tard, viendra, à condition évidemment que les pouvoirs publics restent vigilants.

Ces dérives sont-elles assez surveillées et punies ?

Il y a une surveillance générale, il y a un maillage du territoire, notamment avec les renseignements territoriaux et tous les correspondants de la Miviludes auprès des préfectures, des parquets généraux, des départements, des régions… La France est une exception dans le monde, on est les seuls à avoir un tel système. Et puis il y a aussi tout le tissu associatif (Unadfi, CCMM) qui recueille beaucoup d’informations et peut les transmettre à la Caimades (cellule d’investigation en matière de dérives sectaires), qui est une police spécialisée au sein de la police judiciaire en capacité de mener des enquêtes approfondies.

Donc on a les outils, mais souvent les victimes ont peur de déposer une plainte : « Est-ce qu’on va me croire ? Est-ce que je ne vais pas passer pour quelqu’un de naïf ? » Elles ont peur pour leur réputation, et se demandent si elles vont y arriver, seules face à une organisation. Mais, surtout, il ne faut pas désespérer, faire un signalement à la Miviludes et s’entourer d’un avocat. Parce que, dans les cas d’emprise mentale, il est parfois difficile d’apporter la preuve devant les tribunaux. Heureusement, les magistrats sont maintenant formés à ces questions-là.

source : Propos recueillis par Mégane Chiecchi le 07/04/2021 LE POINT