Affaires étouffées, plaintes classées… Plusieurs cas d’abus sexuels sur enfants ont été signalés au sein des écoles de la Fraternité Saint-Pie-X. Mais la communauté catholique intégriste vit en vase clos et la loi du silence règne.
André avait à peine 12 ans quand il a pris la plume, et dénoncé dans une lettre les « touchers impurs » dont il était victime depuis un an. En cause, l’abbé P., qui lui faisait le catéchisme, alors qu’il était dans une école de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), à Bruxelles. La lettre fut envoyée à un haut responsable de la Fraternité. Et puis plus rien.
« Mes parents étaient et sont toujours des fidèles de la Fraternité. Ils avaient minimisé. Pour eux, un prêtre était incapable de cela. Alors j’ai enfoui cette chose en moi. Mais quand j’ai vu, plus tard, que cet homme continuait à exercer, et ce, toujours en contact avec des mineurs, je ne pouvais plus me taire. J’ai voulu d’abord régler ça au sein de la Fraternité. En vain. J’ai du coup finalement porté plainte à la gendarmerie en 2012. »
La première plainte avait été classée pour prescription. Mais l’instruction a finalement été rouverte début janvier. Aujourd’hui, à 38 ans, André va, peut-être, être enfin obtenir justice. Pour tous les autres, également. Car lors de son enquête, auprès des responsables de la Fraternité, André a découvert qu’il n’était pas la première victime de l’abbé P.
Attouchements permanents
A la fin des années 1980, deux frères dans le Nord de la France sont abusés par le prêtre. La mère proteste auprès des autorités de la Fraternité, mais l’affaire est vite étouffée. La famille ne souhaite pas porter plainte. Le silence est aujourd’hui toujours de mise, puisque l’un des garçons, à suite la suite d’un accident, est dans le coma, tandis que l’autre est resté dans la Fraternité. André raconte :
« J’ai entendu parler d’autres victimes que ceux-là. Mais dans ce milieu, c’est la loi du silence. Je réalise surtout que si quelque chose avait été fait, après le signalement des premiers faits, j’aurais pu peut-être échapper à tout cela. »
Tout cela : ce sont ses attouchements permanents, ses attaques, qu’il préfère décrire, par écrit, de façon quasi clinique :
« Il me mettait tout le temps sur ses genoux, et puis ses mains passaient en dessous de mon bermuda. Un jour, il m’a emmené en voiture. Il a pris ma tête et l’a frotté contre son sexe à travers sa soutane. Je me suis retrouvé ensuite sous sa soutane. J’ai failli tomber sur le pédalier, la voiture a fait une embardée, j’ai eu très peur.
J’en ai alors parlé à mes parents, mais sans être peut-être assez précis, j’avais tellement honte. Dans le milieu de la ‘Tradition’, toutes ces choses sont impures. Envisager même qu’un prêtre ait une sexualité, c’est… impossible. »
André se rebiffe, dit à ses parents qu’il souhaite arrêter le catéchisme. L’abbé, sentant son emprise se desserrer, débarque alors chez lui.
« Il a expliqué à mes parents que je tournais mal. Leur a forcé la main pour m’embarquer dans un camp de scout en Vendée. Là, ça a recommencé. Il est venu dans ma tente. Je l’ai tapé. »
Un pilier des camps de scouts
Quand il arrive au collège, André veut dénoncer les faits. « D’autres garçons étaient au courant de la réputation de l’abbé », dit-il. L’homme est un pilier des camps de scouts.
« Il y avait déjà eu des signalements. Il avait visiblement pour habitude de laver les louveteaux dans la rivière. »
Mais les alertes ne semblent servir à rien. Pire, un avertissement lui interdisant tout apostolat avec les mineurs est finalement annulé. C’est que l’abbé P. est d’un tempérament « colérique ». Il proteste, veut continuer à encadrer des scouts. Obtient gain de cause.
Lors d’un entretien, qu’André a enregistré et que nous avons pu écouter, l’un des responsables de la Fraternité explique, gêné :
« Il y avait des campagnes de fidèles, car il a bien fait son travail, tenu sa chapelle. Il y a des lettres de parents qui le défendent, disent ‘laissez l’abbé P. s’occupe de scoutisme, il le fait très bien’. »
Dans une lettre datée de 2009, le même responsable se dit d’accord avec André, qui a reconstitué le parcours de l’abbé P. et a découvert que jusqu’en 2008, l’homme s’occupait encore de jeunes. De 1993 à 2002, il s’occupe par exemple de scouts en région parisienne. Il assiste alors l’abbé Cottard, qui sera mis en examen, puis jugé pour homicide involontaire, suite à la mort accidentelle en mer de trois scouts et du plaisancier venu les secourir. L’abbé P., ensuite affecté en Charente, continuera ensuite à s’occuper de mineurs, jusqu’en 2009, au moins, lors de pèlerinages par exemple.
Face à ce qu’avance André, le responsable de la Fraternité, embarrassé, reconnaît certaines défaillance mais explique aussi que « s’ajoute un autre élément présent dans la personnalité de l’abbé P., à savoir son entêtement, sa fourberie, sa sournoiserie d’imposer son apostolat et de tromper ses supérieurs. »
La loi du silence
Il faudra attendre 2014 pour que l’abbé P. soit jugé lors d’un abbé canonique, et interdit de tout apostolat auprès des mineurs. Soit près de 25 ans après les premiers faits. Un décret qui a été, fait étonnant montrant l’avancée des négociations avec Rome, validé en 2016 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le « tribunal » du Vatican. « Cela peut paraître long, mais nous n’étions au courant que de touchers impurs et d’attitudes trop proches, comme laver les scouts à la rivière », se défend l’abbé Thouvenot, porte-parole de la Fraternité Saint-Pie-X. Qui assure à « l’Obs » que dans l’instruction sur le cas d’André : « Nous allons coopérer avec la justice. »
La ligne de défense de Mgr Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X depuis 1994, est de toute façon claire : répéter inlassablement que les faits reprochés à l’abbé P. étaient antérieurs à sa prise de fonction. Ou comme il l’expliquait à André dans une lettre : « Sachez que je déplore grandement comme les choses ont été réglées par la Fraternité dans le passé. » Il lui offre d’ailleurs de lui payer les frais de médecins et de psychologue : « C’est là un devoir de justice et de réparation pour le tort grave qui vous a été fait. »
source :
https://abonnes.nouvelobs.com/societe/20170530.OBS0083/fraternite-saint-pie-x-andre-12-ans-et-les-touchers-impurs-de-l-abbe-p.html